Les Territoires Interdits de Tobe Hooper
(2017)
Tout récemment sorti (disponible depuis Février dernier), voici venir chez Playlist Society un essai sur le cinéma de Tobe Hooper, célèbre auteur de Massacre à la Tronçonneuse que l’on ne présente plus. Une œuvre analytique qui revient sur ce classique afin d’explorer les thèmes et sujets récurrents de son réalisateur. Titré Les Territoires Interdits de Tobe Hooper, l’ouvrage est pour ainsi dire le nouveau numéro d’une petite série qui compte maintenant plusieurs titres, comme L’Horizon de Michael Mann, Paul Verhoeven, Total Spectacle, Entre-Temps, Blake Edwards ou encore Terrence Malick et l’Amérique.
Comme les titres de ces livres l’indiquent, l’idée de cette collection est moins de s’intéresser à un film en particulier qu’à l’ensemble d’une filmographie, pour la décoder et finalement parler d’un artiste à travers l’étude de son œuvre. Et c’est heureux, car il faut le dire: Massacre à la Tronçonneuse est probablement l’un des films d’horreur les plus analysés du genre. Avec des dizaines de livres et documentaires, tout a été dit à son propos au point qu’il est permis de se demander l’intérêt d’un nouveau document, à moins d’être un véritable fanatique. Mais comme signifié plus haut, l’essai de Legrand traite surtout du cinéaste et n’évoque son opus majeur que par obligation – il s’agit, comme il le dit, de la pierre angulaire de son travail, la référence à travers laquelle il est, et sera, toujours jugé, quelque que soit ses autres choix artistiques ou professionnels.
Tout l’intérêt des Territoires Interdits réside ainsi dans le décryptage non pas de cette pièce unique dans la carrière du réalisateur, mais des éléments qui y reviennent sans cesse: des thématiques, des lieux, des personnages, des choix de mise en scène, etc. L’écrivain se réclame d’ailleurs de l’entomologie, comparant son travail à celui d’un scientifique qui examine et catalogue, cherchant le lien commun et essayant de comprendre pourquoi. Une quasi obsession, qui est est évidemment née du “choc” Massacre à la Tronçonneuse mais qui s’avère si grande qu’elle l’aura pousser à voir au-delà du film auxquels beaucoup s’arrête pour mieux s’intéresser au cerveau à l’origine sa création.
Alors évidemment, on ne coupe pas à l’analyse du long métrage et Legrand s’y réfère constamment, l’utilisant généralement comme point de départ pour toutes ses recherches. Ce n’est probablement pas un hasard si Jean-Baptiste Thoret, auteur de la fameuse étude Une Expérience Américaine du Chaos (probablement le livre de référence, chez nous), a été invité à écrire la préface de cette monographie. L’essayiste le cite plus d’une fois, et l’allergique de la répétition pourra s’inquiéter de voir l’œuvre revenir constamment au fil des pages, comme s’il était finalement impossible de parler d’autre chose lorsque l’on évoque Tobe Hooper.
C’est un peu ça en fait, car on le sait tous, Massacre à la Tronçonneuse reste une sorte de malédiction pour son réalisateur, qui n’aura jamais vraiment pu passer à un autre genre, ni même finalement à un autre film, tant ses détracteurs sont nombreux concernant le reste de sa carrière. Bien heureusement Legrand garde son concept en tête et ne l’utilise que comme un tremplin, pour mieux rebondir sur ses successeurs: Le Crocodile de la Mort, Les Vampires de Salem, Massacres dans le Train Fantôme, et bien évidemment Poltergeist sont explorés et comparés de fond en comble (ou presque) pour discerner le leitmotiv, le récurrent. Massacre à la Tronçonneuse 2 également, et c’est plutôt rafraichissant. Il y a beaucoup à dire sur cette suite pas toujours acceptée, et malheureusement l’auteur ne fait qu’en effleurer la surface puisqu’il doit vite passer à la suite.
Regrettable que d’autres films soient un peu sacrifiés par manque de place, et ainsi L’Invasion Vient de Mars et Lifeforce apparaissent moins fréquemment malgré plusieurs remarques passionnantes. Mortuary et le faux remake de The Toolbox Murders font de la quasi figuration quant à eux, l’écrivain n’en relevant que le minimum alors qu’il y avait sûrement matière à approfondir. The Mangler, Crocodile, Dance of the Dead (Masters of Horror, saison 1) et Djinn sont à peine évoqués, et aucune mention n’est faite de Combustion Spontanée, du bizarre Night Terrors et de The Damned Thing (Masters of Horror, saison 2). Des films mineurs, souvent ignorés, mais qui avaient justement là l’occasion unique de briller un peu. Dommage.
C’est encore plus frustrant lorsque l’on fait mentalement le rapprochement entre certaines analyse de l’essayiste et ces œuvres fantômes dont il ne parle pas, et qui pourtant auraient fourni de très bons exemples. Je pense notamment à Crocodile, en apparence bête film de monstre de Nu Image à une époque où elle produisait à rythme industriel (Shark Attack, Spider et Octopus, tous en même temps) mais que le réalisateur a par instant totalement fait sien. Comme lorsqu’il raconte l’histoire de l’hôtel abandonné d’où provient le monstre, qui fait écho tant au Crocodile de la Mort (à tel point que j’ai cru qu’il en s’agissait d’une suite indirecte, fut un temps) qu’à plusieurs de ses thèmes: la maison isolée, le rapport au passé dont la violence ressurgit dans le présent pour engloutir la jeunesse irrespectueuse, et jusqu’au principe des “hauteurs” puisque la bicoque apparaît plus loin sur la rive, tandis que les héros l’observe en contrebas de la rivière). La section “Des monstres si humains”, qui rappelle que de Leatherface à Gunther Twibunt, les antagonistes de Hooper sont bien souvent des victimes, aurait totalement pu inclure le saurien carnivore dans sa liste: en fait une femelle vengeant la destruction de ses œufs et pourchassant les responsables. Hooper épargne même la bête, qui au final retrouve son unique petit avant de repartir vivre sa vie !
Le passé tragique qui va donner quelques leçons se retrouve également dans Combustion Spontanée, Brad Dourif y incarnant une figure tragique dont les pouvoirs meurtriers proviennent d’une expérience datant de quand sa mère était enceinte de lui. Pas un monstre, malgré sa capacité de tuer, le réalisateur le prenant pour héros contre une agence gouvernementale dangereuse et cachotière…
Bref, sans dire qu’il s’agit de manques importants, il aurait été plaisant de voir Legrand faire son exploration jusqu’au bout, jusqu’aux moindres détails. C’est peut-être un choix conscient de sa part, surtout quant on voit la minceur de son livre – un simple essaie en format poche (130 pages environ), et pas un beau-livre encyclopédique.
Sans doute les mêmes raison qui le pousse parfois à mentionner des références générales à travers seulement un exemple ou deux. Psychose notamment, cité à maintes reprises mais sans que jamais une comparaison ne soit véritablement faite avec Le Crocodile de la Mort, qui pourtant partage le même lieu (hôtel / motel), le même gérant psychopathe (Bates / Judd) et le même point de départ (la fausse héroïne, vite assassinée au début du film, qu’un proche va vouloir retrouver).
C’est dommage et, en mon sens, l’unique défaut de ces Territoires Interdits qui se révèlent passionnant de bout en bout. Car si certaines études se révèlent convenues (beaucoup en ce qui concerne Massacre à la Tronçonneuse, car c’est une évidence à ce stade), d’autres sont uniques et très intéressantes.
Le rapport à la Machine, par exemple, décors presque vivant et grotesque qui fini bien souvent par “bouffer” ses habitants (Englund dans Mangler, Gunther dans Funhouse, les Sawyer dans Massacre à la Tronçonneuse 2). L’importance des cadavres et des sépultures, entre les profanations de Massacre à la Tronçonneuse et de Poltergeist au vol d’énergie vital de Lifeforce.
Legrand n’a pas son pareil pour décrire l’étrange labyrinthe de tentes et de stands qui piège progressivement les héros de Massacres dans le Train Fantôme, et il semble avoir relevé une certaine fascination de Hooper pour le Inferno de Dario Argento. De la scène de la piscine de Poltergeist, évoquant la plongée cauchemardesque dans les sous-sols inondés de Mater Tenebrarum, à l’hôtel caché à l’intérieur de l’hôtel de The Toolbox Murders, dont il faut décoder d’anciens symboles pour comprendre comment y accéder, reprise évidente à l’architecture secrète permettant d’accéder au repaire de la sorcière…
Bien vu aussi la façon de comparer le Poltergeist de Hooper à celui de Spielberg. Legrand évite de se perdre en explications (hors sujet) sur la question de “qui est responsable de quoi”, et préfère repérer les différents thèmes personnels de l’un et l’autre, avec juste la précision que le côté “horreur” se révélait aussi chez Spielberg à cette époque (dans le second Indiana Jones, un enfant se fait arracher le cœur à mains nues).
Les origines même du cinéma du réalisateur sont explorée dans l’avant Massacre à la Tronçonneuse avec Eggshells, mais surtout avec toutes les influences qui l’ont bercé depuis toujours: les Universal Monsters, les EC Comics, la découverte de Psychose, mais aussi la vie Texane elle-même, conservatrice et exigeante, la guerre du Vietnam et l’assassinat de JFK, qui le marqueront à vie.
Et s’il n’est pas aussi connu que son idole, Dominique Legrand est aussi intéressant à découvrir lorsqu’il parle de sa propre passion, de sa première confrontation avec le clan Tronçonneuse via affiches et images avant d’enfin découvrir le film pour la première fois. Bien sûr il n’est pas le sujet du livre et ne se met donc jamais en avant, mais il demeure intéressant de voir comment nait un projet comme Les Territoires Interdits, et comment il est sans doute impossible d’écrire – d’écrire véritablement – un ouvrage sans un minimum de dévouement et de respect.
Et par bonheur, ceux qui voudraient prolonger ce passage en particulier, au-delà de l’analyse, peuvent trouver un supplément de lecture sur le site de l’éditeur. Du contenu additionnel gratuit, justement intitulé Tobe Hooper, une Passion d’Enfance, où l’auteur se remémore ses premières découvertes des films du Texan. Rien d’extraordinaire en soit (certains mots sont même repris à l’identique de l’ouvrage principal), mais certains s’y retrouveront totalement.
Ne négligeons pas la présence de J.-B. Thoret au passage, puisque son texte, quoique que toujours très “poussé” dans l’écriture analytique, peut se targuer de beau moments, comme lorsqu’il explique ce que sont les “territoires interdits” du titre, ou quand il compare la scène du repas de Massacre à la Tronçonneuse à une parodie macabre de la scène du thé d’Alice au Pays des Merveilles. Comment n’ai-je pu penser à cela avant ?!
Enfin, je voudrait rassurer les non-accoutumés à la littérature d’étude, qui se posent peut-être quelques questions quant à l’accessibilité d’un tel ouvrage. Non, Les Territoire Interdits ne sont pas chiant, ni compliqués. La préface, comme déjà précisé, est ce qui demande le plus d’attention, mais les réflexions de Legrand sont engageantes, faciles à lire et à comprendre, jamais écrites dans un français élitiste comme en raffolent les lettrés un peu prétentieux. La seule chose que cela demande cependant, c’est d’avoir vu et de connaitre un minimum les films les plus évoqués: Massacre et sa suite, Poltergeist, Le Crocodile de la Mort et Funhouse. Au-delà de ça rien ne sera handicapant, et il y a peu de chance que vous achetiez cet essai sans vous être un minimum penché sur Tobe Hooper de toute manière…
Pour ne rien gâcher, le livre lui-même est un objet classe, fin et de petite taille, très facilement manipulable, et doté d’un papier de qualité. Des pages en gris clair séparent classieusement les différentes parties et il y a quelque chose d’absurde dans cette couverture minimaliste, sobre, texturée par son fort grammage, et qui pourtant aborde une impressionnante tronçonneuse sur le point de découper le titre !
Reste le prix, sensiblement élevé à priori (mais qui fait pour l’élégance du tout). 14 euros, ce qui reste très accessible mais tout de même un peu excessif au regard de la taille de l’ouvrage. Les plus pauvres pourront se rabattre sur la version numérique à 7 euros, mais franchement, qui arrive à lire des livres numériques ?
Un coût peut-être discutable et une analyse ignorant quelques éléments mineurs de la filmographie de son sujet, voilà les seuls et vagues défauts des Territoires Interdits de Tobe Hooper que je peux relever. Rien de bien méchant, et au contraire je ne peux qu’encourager ce type de publication dans notre pays, lequel en manque encore fortement. Ce n’est pas comme si nous croulions sous les documents français à propos du cinéaste Texan ou de Massacre à la Tronçonneuse, et l’approche de Dominique Legrand est suffisamment unique pour s’en démarquer de toute façon.
Il va sans dire que ce livre est fortement recommandé, même s’il ne changera sans doute rien à la réputation de Tobe Hooper, qui restera hélas l’homme d’un seul film aux yeux du monde.
L’écrivain et son sujet de prédilection
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