– A Nightmare on Elm Street –
LES DENTS DU CAUCHEMAR
L’enfant fixait l’écran, comme hypnotisé. Le film touchait à sa fin et il était littéralement plongé dans l’histoire. Il n’avait même plus conscience de la position délicate qui était la sienne et qui, pourtant, l’avait mis si mal à l’aise.
Alors qu’il aurait dû se trouver au lit depuis longtemps, il lui avait fallu ramper hors de sa chambre, ouvrir doucement la porte pour qu’elle ne grince pas, se frayer un chemin dans le noir à pas de loup et surtout ne pas réveiller le chien (ou marcher dessus), puis accéder à la salle où se trouvait la télévision. Là, il avait dû batailler avec la télécommande pour pouvoir baisser le volume au minimum dès que le poste fut allumé, et trouver un son audible mais très faible afin ne pas se faire entendre.
Chacune de ces actions avaient ravivées en lui sa crainte de réveiller ses parents malgré l’excitation de pouvoir regarder le film, le troublant au point d’entretenir une inquiétude constante. La lumière émise par la télé ne serait-elle pas visible ? Le son encore trop fort ? Et si le chien faisait du bruit ou que les parents se réveillaient sans raison ? Le moindre son, même insignifiant, le faisait sursauter, son cœur battait si fort qu’il se demandait s’il ne s’entendait pas à l’autre bout de la maison, dans le silence… Et puis la peur gonflait sa vessie et il se dandinait, mal à l’aise. Tiendrait-il sans aller au toilette ?
Les multiples publicités avaient mis sa patience à rude épreuve et il faillit presque abandonner. Mais quand le film commença, l’enfant oublia alors le monde qui l’entourait.
Le titre l’avait marqué. Les Dents de la Mer. Les scènes s’enchaînaient et les images s’imprimaient dans l’esprit du jeune spectateur: la fille hurlante, secouée dans tous les sens dans cette eau sombre, le geyser de sang et le matelas pneumatique crevé, le ponton arraché subitement… Et plus que tout, cette gueule béante entr’aperçu un instant pour gober un homme, juste avant qu’une jambe coupée ne sombre doucement dans l’eau…
Le requin n’apparut que brièvement mais l’enfant été terrorisé. Il s’attendait a le voir surgir à n’importe quelle instant, véritable figure du Mal, intelligente et sournoise. Avec son apparence aussi monstrueuse, sa taille et sa mâchoire impressionnante avec toutes ces dents, il était évident que cette créature le poursuivrait dans ses rêves.
Pourtant il ne détourna pas le regard, ne chercha pas a fuir. Il suivit la traque du grand blanc par les trois héros avec un frisson de plaisir, s’y sentant encore plus impliqué que dans n’importe lequel des Indiana Jones. ÇA, c’était de la grande aventure !
Enfin le requin mourut. Loin d’être rassuré, le petit garçon frissonna en voyant sa carcasse couler. N’avait-il pas entendu une sorte de grognement, comme un cri de dinosaure ? Le générique signa la fin du film et le charme fut rompu. Dur retour à la réalité. Avec milles précautions, il baissa le son et éteignit la télévision en priant pour que le gros interrupteur ne fasse pas de bruit. Il prit conscience du silence ambiant, et après tant d’agitation cela lui semblait bizarre. Après un tel déploiement de la magie du cinéma, la réalité lui paraissait mortellement ennuyeuse, et il aurait tout donné pour remonter à bord de l’Orca, au côté de Quint, Hooper et du shérif Brody. Mais cela ne changeait pas le fait qu’il avait tout intérêt à regagner son lit rapidement. Il serait difficile de se lever le lendemain mais le jeu en avait valu la chandelle, ça oui !
S’il se sentait en sécurité quant à son escapade de cette nuit, le petit garçon mis du temps à se détendre dans son lit. Autour de lui rôdaient les ténèbres de la nuit, cruelles et méchantes. Sournoises, comme le grand blanc. Sa peur de l’obscurité se mêla aux souvenirs de cette gueule énorme, aux yeux noirs, et il sentit son cœur battre aussi fort que durant le film.
Il visualisait les choses différemment désormais. Les silhouettes menaçantes des objets de sa chambre n’étaient plus les monstres de la nuit, et le noir n’était plus une entité maléfique. C’était un océan d’obscurité dans lequel on pouvait sentir la présence d’un gigantesque requin.
Refoulant autant que possible les souvenirs du film, l’enfant ferma les yeux avec force, comme si cela pouvait agir en une quelconque protection. Si seulement il pouvait s’endormir, il oublierait tout cela…
Confiant dans cette idée, il ramena les draps vers lui comme pour s’en recouvrir et attendit le sommeil. Et les rêves.
Il fut réveillé par une série de secousses régulières, comme si tout son lit s’était mis à tanguer. Ce qui l’alerta fut le petit bruit de clapotis qu’il entendait à chaque mouvement, un peu comme une barque sur l’eau. L’enfant ouvrit les yeux immédiatement, prit d’un mauvais pressentiment. Au-dessus de sa tête se dressaient les ténèbres, mais pas celle de sa chambre.
Un ciel noir immense s’étendait partout où il portait le regard. Un néant infini. Il ne se demanda même pas où il se trouvait ni comment il avait atterrie là. Il tourna simplement la tête pour découvrir ce qu’il soupçonnait: autour de lui, il n’y avait qu’un océan.
Les eux étaient sombres, noires, parcourues de vaguelettes. Et sous cette apparence calme se cachait quelque de terriblement dangereux. Une présence menaçante. L’enfant l’avait ressenti, il savait qu’un monstre se cachait là-dessous. Un grand requin blanc.
Il demeura parfaitement immobile, tâchant de ne pas céder à la panique qui grandissait en lui. Ça ne pouvait pas être possible. Comment avait-il pu se retrouver là, subitement, alors qu’il dormait ? Il ne se perdit pas dans la recherche d’explications. Peu importe ce qui se passait, la peur était bien là. Malgré tout son courage, il ne pu s’empêcher de trembler et il sursauta en poussant un petit cri lorsqu’une brusque secousse fit trembler son lit au moment même où le bruit se fit entendre: c’était comme si un objet lourd était tombé dans l’eau, ou était sorti de l’eau. Comme la tête d’un gros poisson, crevant la surface.
Ça n’avait duré qu’une seconde et le calme était revenu, mais il savait que le requin était là, juste à côté de lui, et qu’il l’avait repéré. Allait-il jaillir des profondeurs pour l’attraper ? Cette idée lui arracha des larmes. Il voyait très bien la tête conique du squale émerger des eaux ténébreuses pour atteindre le bord du lit. C’est à ce moment que le petit garçon se redressa d’un bond. Il lui était venu l’idée que, allongé, il était vulnérable, car sa tête posée sur l’oreiller se trouvait alors proche d’un des bords. Ainsi positionné, assis au centre du lit, les genoux contre lui pour ne pas laisser traîner ses jambes, il pourrait mieux surveiller ce qui se passait autour de lui et se tenir éloigné de l’eau.
C’est avec une infinie précaution qu’il se mis à cette tâche. A chacun de ses gestes, il avait peur d’agiter le requin et s’attendait à tous moments le voir passer à l’attaque. A chacun de ses gestes, le matelas tanguait si dangereusement qu’il cru qu’il allaient chavirer. Mais la bête ne donnait toujours pas signe de vie. Évidemment c’était une ruse, le petit garçon le savait bien. La créature était bien là, sous l’eau noire, et sûrement très proche de lui.
Tâchant de trouver une position un peu plus confortable mais suffisamment pratique pour se mouvoir en cas de besoin, il toucha du pied un objet solide dans le lit. C’était sa vieille lampe torche, que son père lui avait donné pour chasser les monstres et les ombres de sa chambre. Instinctivement, il la prit dans ses mains en la serrant très fort contre lui. Est-ce qu’elle pourrait chasser le requin ?
Un clapotis le fit sursauter et il braqua la torche devant lui. Il ne capta que les ondulations de l’eau mais comprit que quelque chose venait, encore une fois, d’effleurer la surface. Retenant son souffle, il promena le faisceau lumineux dans la zone, s’attendant à découvrir la tête monstrueuse de la créature hors de la surface, mais ce qu’il accrocha l’intrigua. Petite, la forme flottait paisiblement et dérivait vers lui. Ce n’est que lorsque la chose ne fut qu’à une dizaine de centimètres de son lit que l’enfant l’identifia: c’était un chapeau.
Un vieux chapeau usé. Il avait dû appartenir à quelqu’un, se dit le petit garçon qui subitement se sentit mal. S’il y avait un chapeau ici, c’est que la personne qui le portait s’était fait manger par le requin !
Retenant son souffle, il fixa la chose se rapprocher de lui progressivement. La simple idée qu’un objet puisse se trouver hors du matelas, dans l’eau, lui était insupportable. Cela lui donnait une impression d’insécurité, de vulnérabilité. Si un chapeau pouvait tomber à l’eau, alors cela voulait dire que lui aussi pouvait tomber dedans…
(…)
Texte inachevé, ce qui peut paraître assez inexplicable du fait que toute l’intrigue était planifiée à l’avance, et qu’elle devait être très courte. Conçu pour le projet Chroniques d’Ombre, cet écrit touche exactement au même sujet que celui de La Cicatrice, que je n’ai jamais fini non plus…
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