Leprechaun – Limited Collector’s Edition (1992)

 

Leprechaun

Limited Collector’s Edition

(1992)

 

 

Techniquement, nous avons là le tout premier opus de la franchise Leprechaun, avant même le film original de Mark Jones. Conçu comme un gadget promotionnel durant la production, ce petit comic-book d’une dizaine de pages fut distribué en 1992, soit quelques mois avant la sortie officielle du long-métrage, et sert (supposément) de préquelle à l’histoire. En vérité les auteurs n’ont dû obtenir qu’une version tronquée du script puisque leur récit ne se raccorde pas vraiment avec le film sur les petits détails. Personne ne s’en souciera et pour cause: très peu savent de toute façon que cet ouvrage existe ! C’est bien dommage puisque, outre son lien avec la saga du farfadet meurtrier, ce Leprechaun version papier est une relique d’un ancien temps qui en dit long sur les stratégies marketing de l’époque pour les petites compagnies. Car autant les gros studios hollywoodiens pouvaient se permettre de claquer des millions de dollars dans la publicité afin de promouvoir leurs nouvelles sorties, autant les petits poissons n’avaient pas un centime à perdre tout en devant faire face à une rude concurrence tant chez leur semblable qu’avec les blockbusters et les téléfilms. Et en l’absence d’Internet, il fallait être créatif.

 

 

Mettre en place un comic-book est probablement l’une des méthodes les plus simples et effectives, d’une part parce que cela ne nécessite que très peu de personnes à mettre au travail, mais aussi parce que cela permet de toucher très vite un grand nombre de gens. Que ce soit les véritables lecteurs, les geeks qui se tiennent au courant de l’actualité ou le visiteur lambda de librairie qui peut tomber sur la chose en rayon entre deux revues ennuyeuses, il y a là un potentiel d’exposition à ne pas négliger. Qui plus est, à cette époque, de la même manière que les sorties vidéos étaient à la mode, le média “comics” était en plein boom, les lois de l’époque permettant à tout le monde de monter sa propre boite sans grand risque financier. Charles Band s’y est mis, Hollywood s’en est servi, aussi il semble logique que Trimark Pictures s’y attelle également. Celle-ci était d’ailleurs très soucieuse de présenter son Leprechaun et s’est lancée dans un véritable brainstorming de produits dérivés, proposant a peu près tout est n’importe quoi: figurines, parades, concours et même un jeu de société qui n’a finalement jamais vu le jour.

 

 

Pas surprenant que Leprechaun, la BD, ne ressemble finalement pas à grand chose. Vite produite et supposément distribuée en quantité limitée dans les boutiques spécialisées (quiconque connait son business des 90s sait que les mots “limité”, “spécial” et “collector” étaient artificiellement attachés à chaque bouquin dans l’espoir de le vendre plus vite – avec l’idée qu’ils vaudraient de l’or des années plus tard sur le marché), elle n’a pas fait l’objet de grands soins et apparait comme primitive, amatrice. Pas si loin finalement du film dont il s’inspire, puisque la réalisation de Mark Jones y était terriblement bancale et hasardeuse, le cinéaste débutant étant incapable de chorégraphier les scènes d’action (voir l’attaque au pogo stick ou la scène avec le héros prit dans le piège, ses amis le défendant en une bagarre improvisée et brouillonne). Avec ses graphismes simplistes et caricaturaux, le style de ce Leprechaun évoque en fait moins un comic-book que les bandes illustrées dans des journaux satiriques, comme le magazine Mad ou nos Marianne et Charlie Hebdo. Ici les couleurs sont fades et imprimées de la façon la plus “brute” et grossière possible.

 

 

Les cases de narration n’ont justement pas toujours de case, le lettrage se perdant dans le décors. Les illustrations alternes les cases minuscules où les détails se perdent, et d’autres bien trop grandes que l’auteur peine à remplir. Le découpage est chaotique et l’illustrateur tente parfois de jouer avec les perspectives ou les plans-séquences afin de retranscrire un effet cinématographique à la manière d’un storyboard… ce qui serait très bien si ce n’est que le nombre limité de pages et de place l’empêche de développer parfaitement l’effet de mouvement. Un peu comme si l’on regardait son idée de mise en page avant le produit final. Techniquement, c’est mauvais, on ne peut pas le dire autrement. Et le résultat se trouve hélas du niveau des pires comics indépendant qui fleurissaient durant cette époque, empoisonnant l’industrie par leurs horribles graphismes et leurs histoires ratées. Le fait est qu’il y a ici beaucoup de potentiel, mais que celui-ci est gâché par la nature même de la BD promotionnelle. Les personnes derrière l’objet n’ont jamais vu ce Leprechaun comme autre chose qu’un gadget.

 

 

Et c’est dommage car, ici et là, on peut relever un esprit punk et cynique qui aurait plu aux adolescents rebelles comme aux amateurs d’humour noir. Il y a quelque chose de surréaliste dans le monde dépeint dans ces pages, où les personnages semblent trop souriant, trop difformes, trop over-the-top. Comme ce type qui se fait engueuler par une bourgeoise et semble très heureux de la voir être atrocement mutilée par le lutin. Cela évoque l’esprit 2000 AD dans ce qu’il avait de plus parodique et irrévérencieux (et immature). On soulignera d’ailleurs l’ironie d’une BD américaine qui aurait la gouaille d’une revue british pour une intrigue se déroulant intégralement en Irlande. Celle-ci réintroduit le personnage de Daniel O’Grady, le responsable des évènements dans le film. Ici il n’est pas un citoyen américain revenant au pays pour enterrer sa mère, mais un simple fermier qui découvre par hasard l’arc-en-ciel menant à l’or du Leprechaun. Il dérobe le chaudron remplit de pièces (que l’on aperçoit que dans l’intro du film, le trésor étant rangé dans une bourse le reste du temps) et va les vendre chez un spécialiste pour la somme de 120 000 dollars. Ce qui est une directe contradiction avec le long-métrage où il cache les pièces dans l’urne funéraire qu’il rapatrie en Amérique.

 

 

Lorsque le lutin se rend compte du vol, il pique évidemment une colère (le narration explique que son rôle est apparemment de “protéger” l’or) et retrouve la trace du bijoutier en possession des pièces. Mais celui-ci a tout vendu et le Leprechaun part alors en quête des clients, tuant chaque voleur de façon horrible mais extraordinaire grâce à ses pouvoirs magiques. Au bijoutier, il transforme chacun de ses doigts en serpents qui vont évidemment le mordre. Il décapite une bourgeoise en lui arrachant son collier, un type à le crâne qui explose façon feux d’artifice. Le petit monstre voyage même dans le cerveau d’un endormi pour le terroriser à coups de visions apocalyptique, le faisant mourir de peur dans son sommeil. Le reste n’est évidemment pas montré puisque l’on ne peut pas tuer une centaine de personnes en huit pages. L’histoire se termine par le voyage de O’Grady vers les États-Unis, celui ne retournant pas chez lui mais allant au contraire s’y installer afin de “vivre le rêve”, inconscient que le farfadet s’est glissé dans la soute à bagages afin de le suivre. Et la seule raison pour laquelle celui-ci poursuit l’Irlandais, c’est parce qu’il possède une dernière pièce d’or sur sa personne, utilisée par se faire une dent en or.

 

 

Le récit ne s’emboite donc pas du tout avec celui du film même si le spectateur étourdit ou inintéressé n’en fera pas grand cas. De toute façon il faut reconnaitre une différence éclatante avec la version cinéma, qui est ici l’utilisation des pouvoirs du gnome. Dans Leprechaun, le vol de son or et dix ans de sommeil ont privé la créature de la plupart de sa magie et elle doit se contenter d’attaques physiques pour se débarrasser de ses ennemis. Ici elle possède les mêmes dons que le sorcier de Warlock ou le Djinn de Wishmaster et peut altérer la réalité à sa guise, permettant alors tout un tas de choses qui préfigurent ce que l’on verra dans les prochains films de la série (et particulièrement Leprechaun 3). En essence le personnage est respecté, parlant en rimes, se montrant particulièrement sadique et désirant son or plus que tout autre chose. Sans rire, voilà qui en remontre encore une fois au pathétique Leprechaun: Origins qui s’est engagé dans une voie tellement différente que l’on cherche encore à comprendre l’intérêt de l’associer à la franchise – si ce n’est que les producteurs sont aussi avare que les protagonistes de la saga.

 

 

La bande-dessinées fut essentiellement composée par William Clausen, artiste indépendant dont le “talent” ne lui a pas permis une grande carrière. Son autre essai dans le média tient même de la blague puisqu’il s’agit d’une de ces imitations improbables des Tortues Ninjas, grand modèle dans le registre “idée ridicule qui fait gagner des millions de dollars”: Cold-Blooded Chameleon Commandos. Promis, si je mets un jour la main dessus, je vous en parle ! Citons également le mini-comic Alf #3, qui n’a rien à voir avec la série et rend hommage à Richard Alf (grande figure de l’industrie et fondateur du célèbre San Diego Comi-Con) et apparemment un petit passage sur le Silver Surfer de Marvel, sans doute son moment de gloire. Il n’a ici qu’un crédit d’illustrateur et rien n’indique qu’il soit responsable du script, mais c’était bien souvent qu’un auteur indépendant faisait les deux en même temps. D’ailleurs le seul autre nom qui apparait est celui d’un Shel Dorf pour le lettrage. De son propre aveu, il n’est intervenu qu’après une première tentative de la part de Trimark, où les dessins étaient recopiées à travers les photos du film. Il fut engagé après avoir réalisé la couverture, qui est pourtant totalement reprise de l’affiche originale…

 

 

Pour conclure, j’amènerai justement le lecteur à jeter un œil sur la version du poster imprimé à la fin de la BD. Le même que d’habitude, mais où l’on peut lire, tout en bas, une accroche promotionnelle évoquant le fameux jeu de société vidéo (façon Atmosphear) qui devait être conçu.Dans un monde meilleur, celui-ci aurait vu le jour, tout comme d’autres comics Leprechaun d’aussi mauvaise qualité. Parce que si Cold-Blooded Chameleon Commandos peut aller jusqu’à cinq numéros, il n’y a pas de raison pour que le lutin sanguinaire ne fasse pas mieux ! Mais la “chance de l’Irlandais” ne semble pas avoir été de son côté. Ni en 1992, ni en 2009 lorsque Bluewater s’emparera des droits pour une nouvelle série qui ne fonctionnera pas bien. Ce second Leprechaun papier ne sera presque qu’exclusivement publié digitalement, via des sites comme ComiXology, et sera abandonné après un premier arc. Dommage car le second devait être un crossover avec le sorcier de Warlock, montrant alors une lutte sanglante entre les deux !

 

 

 

      

2 comments to Leprechaun – Limited Collector’s Edition (1992)

  • Jerôme Ballay Jerôme Ballay  says:

    Ah la vache, comme ça pique les yeux ce comics !

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Oui ça fait mal hein ? Et j’ai sélectionné les images les plus, hum, intéressantes visuellement. T’as tout le reste derrière x__X

      (cela dit je VEUX lire Cold-Blooded Chameleon Commandos)

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