Keshka and Fredy (1992) | A Russian Nightmare on Elm Street

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Keshka and Fredy

(1992)

 

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Le personnage de Keshka nous sera totalement inconnu puisqu’il n’est jamais apparu hors de son pays d’origine, la Biélorussie, une petite république soviétique d’Europe de l’Est. A cette époque les programmes de télévision reflètaient évidemment les idéologies du régime, mais tout n’était pas destiné qu’aux adultes pour autant et les émissions pour les plus jeunes ne baignaient pas nécessairement dans la propagande absolue. Les préceptes du communismes pouvaient certes êtres présents au sein du produit, mais avec une certaine retenue, les bambins ne s’intéressant évidemment pas à la politique à leur âge. C’est dans ce contexte que débarque la série des Keshka et… (Кешка и…), une série de courts-métrages narrant les aventures innocentes, mais subtilement teintées de contexte social par la force des choses, d’un jeune garçon d’une douzaine d’année. C’est Soyuztelefilm qui produisait, organisation télévisuelle alors récemment formée pour fournir toute l’URSS en divertissement, tant en créant du contenu original qu’en éditant des œuvres étrangères.

 

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Ironiquement la compagnie naquit en plein durant l’effondrement du Bloc de l’Est et le show fit ses débuts en 1991, soit durant la chute de l’union soviétique, la Biélorusse devenant alors indépendante. Soyuztelefilm cessa ses activités vers 1992, se reconfigurant sous une autre forme, et au cours de cette drôle de période seulement neuf épisodes de Keshka virent le jour. Généralement réalisés par un Boris Berzner, ces petits films semblent à priori tout à fait banales et inintéressant, en témoignent certains titres comme Keshka et les Fruits ou Keshka et le Magicien. D’autres semblent un peu plus étranges, tels ces Keshka et les Spetnaz ou Keshka et l’Humanoïde, mais celui qui nous intéresse est évidemment ce Keshka et Fredy (Кешка и Фреди), car oui, il est bien question de Freddy Krueger. Notons d’abord que l’alphabet cyrillique étant différent du notre, le Y est interchangeable avec I, transformant le prénom sensiblement mais suffisamment pour échapper aux règles du copyright. Un peu à la manière de L’Enfer des Zombies de Lucio Fulci qui, en italien, s’écrivait Zombi 2 sans E pour se distinguer du film de George Romero.

 

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D’après les déclarations de spectateurs russes, Фреди n’est cependant pas l’orthographe officielle puisqu’elle se traduit par Fredy, avec un seul D. Un choix sans doute délibéré pour ne pas s’attirer les foudres d’Hollywood, surtout à une époque où la Mère Patrie ne peut plus vraiment s’opposer aux chiens de garde du capitalisme. Cela n’empêchera pas l’accessoiriste de se gourer en écrivant “Freddi Krueger” sur un chapeau, mais pardonnons-lui car peut-être n’était-il pas habitué à manier l’anglais. Exactement comme ce pauvre Keshka justement, qui se fait rouspéter par son professeur de langue étrangère au début de l’histoire pour ses mauvais résultats. Il n’est pas le seul d’ailleurs puisque toute la classe est dans le même cas, ce qui leur vaut de se retrouver avec un devoir à faire à la maison histoire de rattraper tout ça. Mais les sales mômes ne l’entendent pas de cette oreille, certains étant plus intéressés par la projection d’un film d’horreur dans leur cinéma de quartier. Vite convaincu de joindre ce groupe, le héros va passer sa soirée à regarder Freddy 4 plutôt qu’à être un bon élève mais, peu impressionné, va tellement s’ennuyer qu’il va finir par s’endormir…

 

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Comme on peut s’y attendre il va être confronté au croquemitaine qui le poursuit alors dans le cinéma désormais désert, mais que l’on se rassure: tout cela n’est qu’un vilain cauchemar. Et par cela je veux dire un vrai cauchemar, le morveux ne risquant évidemment rien. Et malgré une volonté de verser dans l’épouvante pour jeunes spectateurs, l’ambiance demeure très légère avec nombres de bruitages cartoonesques et de gags comiques à l’appui. Quant au Fredy soviétique, il est bien moins efficace que son cousin américain, perdant vite sa proie de vue lorsqu’elle s’échappe et le ratant spectaculairement dès qu’elle lui fait face. C’est un peu Bip-Bip et le Coyote, et pourquoi pas après tout puisque le concept s’y prête merveilleusement ? Reste que le Springwood Slasher a mauvaise mine avec son maquillage au rabais qui donne surtout l’impression que son visage couvert de merde plutôt que de brûlures ! Un look bootleg finalement parfait pour l’occasion puisqu’il rappel bien sur le côté Russian Nightmare on Elm Street de l’entreprise.

 

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Alors bien sûr le réalisateur n’a pas la permission de s’aventurer pleinement dans le territoire du cinéma Bis, mais il faut reconnaitre qu’il fait du bon boulot au début, peu avant l’apparition de l’antagoniste. Keshka erre dans un grand bâtiment désert tandis que des portes lui claquent au nez et qu’un piano joue tout seul dans le grand hall. Un démon mal grimé doté d’une voix minuscule apparait à travers un grand écran pour effrayer le garçon puis répond au téléphone lorsque celui-ci tente d’appeler la police. Un rat se met inexplicablement à miauler et le visage de Krueger apparait magiquement sur quelques affiches et peintures. Rien de bien effrayant en raison du public ciblé, même si une tension véritable se met en place lorsque le garçon explore la cave du cinéma, explorant un étrange atelier. On y découvre un mannequin de femme nue allongé au sol, un robinet ouvert laissant couler un filet d’eau sur son visage. Et lorsque les fameuses griffes meurtrières font leur apparition, déchirant un poster comme si Fredy se trouvait juste derrière, le résultat est effectif et pas plus ridicule qu’un épisode de la série Les Cauchemars de Freddy.

 

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Le reste emprunte plutôt au slapstick, Fredy passant son temps à déraper lorsqu’il doit courir après sa victime, s’étalant de tout son long. Il coince ses lames dans une porte, coupe la bite d’une statue grec qui lui pisse alors dessus et avale malencontreusement le tube de peinture que l’enfant lui balance au visage. Il passe aussi son temps à alterner entre le l’anglais et le russe, le cauchemar du héros prenant évidemment racine dans son mauvais moment passé plus tôt à l’école. “Do you speak english ?” demande t-il au marmot, lequel lui répond quelque chose de tellement incompréhensible faute d’avoir apprit ses leçons que le monstre avoue ne pas l’avoir compris. “I will teach you english” déclare t-il alors avant de se jeter sur lui, très décidé à lui mettre tout ça dans le crâne au sens propre. Comment ce pauvre Keshka va t-il repousser ce terrifiant symbole de l’impérialisme américain ? Tout simplement en lui récitant du russe, et rien que du russe ! Sortant son petit carnet scolaire orné du portrait de Lénine, il se met à réciter une sorte de comptine ou de prière qui fonctionne un peu comme un sutra et repousse Fredy Krueger.

 

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Ayant neutralisé la menace, le garnement ira ensuite ligoter le croquemitaine avant de lui couper les griffes à l’aide d’une pince et limer ce qu’il en reste, manière de bien rassurer les jeunes téléspectateurs qu’ils n’ont absolument rien à craindre de cet épisode (et tant pis si la phrase “I will kill you” est ouvertement prononcée, ils ne l’auront sans doute pas comprise). Le gamin se réveillera  entouré de ses amis, maintenant bien décidé à rentrer à la maison, mais telle Nancy dans Les Griffes de la Nuit, il va découvrir qu’il a ramené avec lui le chapeau du tueur, preuve que peut-être tout cela est vraiment arrivé. La conclusion sera malgré tout un peu confuse pour quiconque ne comprend pas la langue de Poutine, puisque les enfants vont discuter de la situation devant une affiche de Freddy 4 où l’image de Krueger, désormais dépourvu de son couvre-chef, verse une larme après d’obscures déclarations émises à son encontre. Peu importe au final, cela rend l’expérience encore plus bizarre, surtout lorsque Keshka lance l’objet en direction du poster qui l’absorbe alors.

 

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Rareté parmi les raretés, Keshka et Fredy ne dispose évidemment d’aucune traduction et demeure assez insaisissable sur quelques détails. On comprend l’intrigue malgré tout puisqu’elle fut conçue pour un jeune public et l’intérêt se porte surtout dans l’exécution, avec tout ce qu’elle comporte de bizarreries. Il faut quand même voir l’expression indistincte qu’affiche le visage de Krueger lorsqu’il se fait rogner les ongles, quelque part entre l’agonie et l’extase. Le cinéma lui-même est un lieu intéressant puisque l’on n’explore pratiquement pas la grande salle elle-même et que les enfants regardent le film dans ce qui s’appelle là-bas un salon vidéo, en fait un simple bistrot où l’œuvre est diffusée à la télévision par magnétoscope. Une sorte d’équivalent du PMU servant d’alternative moins coûteuse au grand écran. Cela explique sans doute pourquoi les personnages regardent le quatrième volet des aventures de Freddy à une époque où le sixième opus était déjà disponible. Pays soviétique oblige, l’œuvre y est présenté  avec un unique narrateur récitant chaque dialogue à la chaine et d’une voix plate.

 

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Autant d’éléments qui rendent la vision de ce court-métrage des plus réjouissantes. C’est cheap, daté, outrancié et sans doute pas totalement légale sur le plan des droits d’auteur, mais c’est aussi charmant à sa manière et intéressant, combinant la capsule temporelle et le choc des cultures. Qui plus est Innokenty Sichkar, le jeune comédien incarnant Keshka, est loin d’être mauvais, ce qui ne gâte rien. Le plus fascinant dans tout ça reste qu’il s’agit là d’un véritable témoignage de la popularité de Freddy Krueger, icône de l’horreur transcendant les temps et les frontières. En 1991 le personnage est pourtant aussi mort que l’URSS, achevé par un Freddy’s Dead très discutable. C’était la fin d’une époque toute entière à travers le monde, avec de nombreux changements de modes, de mœurs et de politique. Malgré ça, le Springwood Slasher continue de trainer sa carcasse carbonisée à travers tout un tas de rejetons parodiques, reconnaissable et adoré de tous. En Russie comme ailleurs, il poursuivit ses exploits par tout un tas de moyens détournés.

 

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L’homme de nos rêves fut régulièrement caricaturé à travers des sitcoms et autres émissions de variétés, comme les séries familiales Daddy’s Daughters et Yeralash. L’écrivain caché sous le pseudonyme de Jack Kent écrivit un improbable crossover entre Les Griffes de la Nuit et Terminator avec son Freddy Krueger and the Iron Lady, et le groupe de rock punk Krasnaya Plesen s’inspira du personnage pour une chanson apparemment très grossière dans leur neuvième album. Même les Tortues Ninjas eurent droit à un copycat à travers une petite bande dessinée s’inspirant du dessin animé des années 80. Keshka and Fredy semble quant lui avoir sombré dans l’oublie en revanche, et la mini saga de Soyuztelefilm n’a jamais été rééditée ou rediffusée nulle part. Remercions sincèrement Internet d’en avoir conservé une trace pour notre plus grand plaisir.

 

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