Ichthyan Killing Machine (Red Sonja, 1985)

Lost (and found) in the 5th Dimension

Épisode 2

 

ICHTHYAN KILLING MACHINE

Red Sonja (1985)

 

 

Il faut être franc sur un point: Red Sonja, plus connu chez nous sous le titre de Kalidor, la Légende du Talisman, du nom du personnage très secondaire de Schwarzenegger, est techniquement très mauvais. En fait il se bat avec son grand frère Conan le Destructeur pour la récompense de la pire suite/spin-off de Conan le Barbare. Pour dresser un rapide constat: Brigitte Nielsen n’était sans doute pas le meilleur choix pour le rôle, le personnage est évidemment “couvert” et n’apparaît ni avec son iconique bikini de métal, ni sa plus sage tunique bleue. L’antagoniste se trouve forcément être une femme, et qui plus est une méchante lesbienne dominatrice (pas que j’ai un problème avec ça, mais elle est clairement ainsi pour être méchante), les effets spéciaux sont limités, la musique d’Ennio Morricone, bien que passable, singe celle de Goldsmith pour Conan, et l’intrigue est excessivement banale et pas vraiment en phase avec ce qui se déroule dans les comics. Et puis bien sûr il y a “Kalidor”, à l’origine Conan avant qu’un problème de droit empêche l’utilisation de ce nom. Alors que Schwarzy avait accepté de faire une petite apparition, une faveur envers le producteur Dino De Laurentiis, il s’est retrouvé à revenir sans cesse pour de nouvelles scènes. La raison étant bien sûr que les responsables n’avaient pas tellement foi en une production mettant en vedette une femme et qu’ils l’ont mis en avant dans l’espoir de mieux vendre le film…

 

 

Il faut également noter que Red Sonja a largement été censuré, de nombreux plans sanglants ayant été coupés au montage pour évité un classement R et ramener plus de monde dans les salles, tandis que plusieurs péripéties furent supprimées du film, là encore au montage ou parfois juste ignorées durant le tournage. On peut en avoir aperçu en regardant la bande-annonce, qui montre des scènes supplémentaires, et surtout en lisant l’adaptation en comic-book chez Marvel Comics. En résulte un film plat, très simple, où les personnages n’ont finalement pas grand chose à faire. Pas mal de batailles disparaissent, l’intro montrant la tragédie qui a façonnée Sonja a pratiquement disparue, etc. La raison derrière ces mutilations est la même que pour d’autres productions de l’époque, comme Cobra avec Stallone et, tiens donc, Nielsen: c’est une façon de raccourcir le film (1h30 en tout est pour tout) et ainsi caser plus de séances en une même journée dans les salles obscures ! Ainsi cela permet de maximiser les profits même en cas de run très court dans les cinémas. Une stratégie purement économique et, là encore, un gros manque de confiance des producteurs envers le projet. Tout comme cette volonté de caser un gamin dans l’intrigue, façon rendre le film plus “familial” et plus drôle, ce dont a également souffert Conan le Destructeur – un changement de ton drastique par rapport à celui de leur modèle, très âpre et violent.

 

 

Pour autant, et contrairement à beaucoup, je ne peux pas vraiment détester Red Sonja. D’une part il s’agit d’un représentant de cette vague de films d’Heroic Fantasy post-Conan le Barbare, qui ont cette saveur si particulière. Des clones qui n’ont ni le budget ni la poudre aux yeux d’un Seigneurs des Anneaux ou d’un Game of Thrones – et qui doivent apparaitre au yeux du jeune public comme l’était ces vieux péplums des années 60 pour nous autre – mais qui savaient palier à leurs manques grâce à leur atmosphère unique, leur décors (réussi ou mauvais, ils demeuraient fabriqués “en dur” et visuellement intéressant) et surtout leurs innombrables bestioles en caoutchouc qui y pullulaient: trolls, dragons, serpents géants ou plantes carnivores. Ces films sont un véritable paradis pour les amoureux de grosses gloumoutes à l’ancienne. Et dans le genre, Red Sonja n’est pas avare en créatures. Enfin presque. Beaucoup d’elles apparaissent comme mortes depuis longtemps, sans doute un rappel au fameux cataclysme qui a secoué le monde avant même l’Âge Hyborien, évoquant l’ère du roi Kull. Ainsi trouve-t-on ce qui semble être le corps d’un dinosaure couvert d’une armure de pierre, ce pont en forme de squelette géant, l’adorable araignée de compagnie de la méchante reine Gedren (qui ronronne comme un chat lorsqu’on la caresse !) ou encore les têtes de ptérodactyles servant de casques aux hommes de Brytak.

 

 

Mais le clou du film, c’est bien l’étrange monstre marin tout en métal qui nage dans les eaux d’une caverne inondée. Un lézard invulnérable, qui obligera Sonja et Co..Kalidor à s’allier afin de le neutraliser, et dont on ne sait pas bien s’il s’agit d’un animal ou d’une machine. La bête n’a en fait pas de nom. Elle se cache dans un endroit baptisé la Ichthyan Cavern, qui est une construction artificielle au fond d’une grotte. Une sorte d’ancien temple piégé à la manière d’un Indiana Jones, avec ces gouttières d’où s’écoulent constamment des trombes d’eaux, ces décoration en mosaïques dorées et cette statue de monstre marin: une large tête qui tient, dans sa gueule ouverte, une perle gigantesque. Et tout comme dérober l’idole d’or des Aventuriers de l’Arche Perdue provoque l’apparition d’une gigantesque boule de pierre destinée à punir le voleur, s’emparer du bijou fait apparaitre la “Machine à Tuer” (c’est ainsi que Gedren la nomme). Une sorte de poisson-reptile entièrement fait de métal et pouvant facilement naviguer dans le large plan d’eau où pataugent ses pauvres proies. Et la bête est franchement intéressante, sorte de mix entre un dinosaure et un robot, invincible et ayant pour lui ce petit côté Dents de la Mer du fait qu’il passe son temps à faire des bonds hors de l’eau pour croquer les héros. Mentionnons également ses rugissements impressionnants qui lui donne parfois un côté Kaiju-esque qui se retrouve également dans son design.

 

 

On ne voit hélas pas grand chose de cette Ichthyan Killing Machine, puisqu’elle passe la moitié du temps dans l’eau. Mais ce qu’on distingue vaut franchement le détour: un corps d’écailles chromées et totalement blindé qui évoque un peu l’Ankylosaure, une langue reptilienne qui se rétracte comme la lame d’un cran d’arrêt, mais de la taille d’une épée ; ses yeux sont des boules de métal évoquant les sphères de Phantasm, ses pattes avants sont dotées de grosses pinces de crabes et il dispose également d’une longue queue fourchue qu’un des personnage va agripper, se faisant alors entrainer par la bête comme un surfeur tiré par un jet-ski. De manière générale l’aspect du monstre a été inspiré par des sauriens, et outres ses pattes arrières (vaguement visibles lors d’un plan sous-marin), il lutte au corps-à-corps contre Sonja en roulant plusieurs fois sur lui-même, exactement comme le font les crocodiles pour noyer leurs proies. Bref, cette machine à tuer mérite bien son nom et on peut même se demander comment Kalidor fait pour ne pas avoir la moindre égratignure lorsqu’il catch avec elle, laissant ses mains trainer un peu partout près de sa gueule ou des protubérances semblables à des pointes métalliques qui parsèment le dos de la créature.

 

 

Là où le bas blesse, c’est qu’il n’y a strictement aucune origine derrière ce monstre et on ne sait pas bien ce que les scénaristes avaient en tête. D’un côté les antagonistes déclarent clairement qu’il s’agit d’un mécanisme, d’une invention: Ikol, le sous-fifre de Gedren, a la responsabilité de l’utiliser et déclare que “la machine est difficile à contrôler”, se retrouvant avec la lourde tâche d’assassiner les héros à l’exception de Sonja, que la reine désire mettre dans son lit. Cette dernière dispose d’un sorcier mais délègue la tâche à son général, comme s’il n’y avait aucune différence entre l’utilisation d’une catapulte ou de la Ichthyan Machine. Kalidor lui-même déclare que la bête est artificielle, utilisant cette excuse pour expliquer qu’il n’arrive pas à la tuer. Seulement d’une part, nous ne voyons jamais quiconque manipuler la chose. Ni de l’intérieur, ni par un quelconque moyen externe, ni même par magie. Ensuite celle-ci se comporte comme un animal et les responsables des effets spéciaux ont même fait un gros effort pour lui donner un côté “organique”: le visage est très bien animé (yeux, babines, oreilles, langue, on jurerait un reptile à la peau grise), ses déplacements ne sont pas mécanique et, comme dit précédemment, il se comporte comme un crocodile, ce qui induit une certaine forme de comportement. Enfin, la manière dont il est neutralisé le fait clairement apparaitre comme un être vivant plutôt qu’un simple artefact.

 

 

Ainsi, parce que les héros ne peuvent terrasser cette adversaire de manière conventionnelle, Kalidor explique que la meilleure solution reste de l’aveugler. Utilisant leurs dagues pour faire leviers, Sonja et le guerrier décollent les globes oculaires du monstre marin… exactement de la même façon qu’un des personnages a retiré la perle au début de la scène ! La façon dont les globes s’éjectent hors de leurs orbites, si facilement, est un détail presque répugnant. Qui plus est la Machine à Tuer pousse alors des cris de douleurs alarmant… Et alors que Kalidor précise que le monstre est aveugle, celui-ci ne se contente pas de naviguer au pifomètre comme une voiture sans conducteur: il se débat furieusement, comme le ferait un animal en souffrance. C’est quelque chose qui m’avait plutôt marqué étant gosse. Tuer un monstre est une chose, le faire souffrir en est une autre. Nos héros s’enfuient alors courageusement, laissant la Machine à son triste sort, et c’est tout ce que nous verrons d’elle. Quel dommage de ne pas trouver son corps, échoué quelque part, pour voir clairement à quoi elle ressemble dans son entier. Dommage également de ne pas avoir plus de détail quant à sa véritable nature. Je n’ai aucune idée de ce qu’est censé être Ichthya, s’il s’agit d’une ville, d’un pays, du nom de son inventeur ou quoi que ce soit, et pourtant ma connaissance du monde Hyborien est plutôt grande. Je sais juste que la cave se trouve quelque part en Burkubane, “the land of eternal night”, mais ces terres ont été inventées exclusivement pour le film et n’existent pas dans les comics.

 

 

S’il existait une novélisation, par un auteur de la trempe de Alan Dean Foster, peut-être que la Machine aurait pu être un peu plus détaillée. Malheureusement il faudra se contenter de la bande-dessinée publiée chez Marvel, qui se révèle avoir de sacrées divergences par rapport à la version cinéma. Ici, le créature n’ait pas un robot mais un simple monstre résidant dans la Ichthyan Cavern. Les héros sont forcés de s’y réfugier et tombent sur plusieurs statues monstrueuses, des émeraudes dans les yeux remplaçant la grosse perle. Il n’y a même pas de piège, l’eau se met subitement à couler lorsque les personnages font leur découverte et la créature leur apparait alors. Son apparence ressemble beaucoup à celle du film, moins quelques détails du fait du graphisme plutôt simple de l’illustrateur, mais il est ici 100% organique. Un gros lézard vert qui est même doué de parole, expliquant qu’il vient de se réveiller d’un sommeil de plusieurs siècles et qu’il est désormais affamé ! La lutte qui s’ensuit est comiquement courte, Kalidor sautant sur le dos du monstre pour l’obliger à remonter à la surface avant que lui et Sonja ne lui percent le crâne de leurs épées respectives, une lame dans chaque œil. Il est très probable que cette version plus conventionnelle du monstre marin était celle du script, avant que des changements ne soient fait en cours de tournage. Ou peut-être que les nombreuses coupes sombres exigées par les producteur aura forcé le réalisateur à soigner un peu plus cette séquence pour marquer le coup.

 

 

Peut-être même n’était-ce qu’un clin d’œil des responsables des effets spéciaux au metteur en scène, Richard Fleischer, qui est notamment connu pour avoir réalisé 20.000 Lieues Sous les Mers pour Disney, avec son Nautilus Steampunk et complètement métallique ? Bref, s’il est difficile de savoir qui est responsable pour l’aspect définitif de cette Ichthyan Killing Machine, force est de constater qu’il aura quand même fait du beau boulot, transformant ce qui n’aurait pu être qu’une petite scène avec un dragon en quelque chose de plus mystérieux et remarquable. Red Sonja est peut-être mauvais et conspué par tous, mais au moins il peut se targuer d’être le seul film à disposer d’un joli reptile marin mécanique. Et ni Harry Potter, ni Le Hobbit ne pourront se targuer d’en avoir fait autant !

 

Nyaaaarghh !!!!

2 comments to Ichthyan Killing Machine (Red Sonja, 1985)

  • Roggy Roggy  says:

    Je viens de revoir le film et je t’avoue que je l’aime bien au final. Certes, il possède des défauts mais c’est surtout pour moi une bouffée de nostalgie (je l’ai vu en salle à l’époque) et voir Schwarzy dans ce vrai faux rôle de Conan sur une musique d’Ennio Morriconne, c’est génial 🙂

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Je comprends, je partage ton avis 🙂 Comme je l’ai dis, je reconnais que c’est mauvais et bien loin du premier Conan en terme de ton et d’allure, mais il est effectivement nostalgique (bon moi c’était la télé dans mon enfance) et cette patte du film d’Heroic Fantasy d’autrefois.

      Donc pas du tout un déplaisir au contraire 😉 J’aurai juste aimer avoir une version « complète » sans la censure et les scènes coupées, qui aurait donner plus de gueule au film. Là ça parait court et il s’y passe pas grand chose.

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