“I’m gonna try…not to…come back…”
– Roger, Dawn of the Dead (1978)
Hier, George Andrew Romero s’est éteint à l’âge de 77 ans. Pas si âgé que ça, mais avec sa très grande taille, il devait être fragile. Cela se voyait d’ailleurs depuis plusieurs années à travers les photos et vidéos de ses divers apparitions ici et là: sa carrure accentuait sa minceur, et il paraissait si frêle qu’il semblait pouvoir se briser au moindre choc. Et pourtant, malgré ce constat récurrent, cette impression de vieillesse avancée, George Romero faisait parti de ces gens dont on n’imagine pas qu’ils puissent disparaitre un jour. Comme s’ils étaient immortels. Sa carrière, son premier coup d’éclat avec La Nuit des Morts-Vivants, remonte quand même à 1968. On peut ainsi dire qu’il a inventé l’ère moderne du cinéma d’horreur, débutant avant tous les autres Maîtres de l’Horreur de son temps, avec qui il partage constamment le spotlight: Wes Craven, John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper, David Cronenberg ou encore Sam Raimi. Un pionnier en quelque sorte, dont les travaux ne se limitent pas qu’aux films de zombies… C’est évidemment pour ceux-ci qu’il reste le plus connu, et s’il ne me semble pas nécessaire de revenir dessus, rappelons tout de même que la trilogie originale demeure une pierre angulaire du genre: Night of the Living Dead et Zombie sont, respectivement, parmi les titres les plus représentatifs de leurs décades. Le Jour des Morts-Vivants est un chef d’œuvre de noirceur et, personnellement, mon opus préféré du réalisateur.
Profitons cependant de l’occasion pour rappeler qu’il était bien plus intéressé par l’Homme vivant que mort, et son œuvre n’a eu de cesse d’explorer la psyché humaine et toutes les horreurs qu’elle peut générer. Plus que les zombies, c’étaient les êtres humains qui étaient au centre de sa saga …of the Dead et encore maintenant des protagonistes comme Ben, Cooper, Flyboy ou Capitaine Rhodes existent au-delà de leurs films. Chacun étant bien plus “vrais” et mémorables, avec une seule histoire, que ne le seront les dizaines de personnages interchangeables de The Walking Dead. Triste héritage. Mais c’est surtout à travers ses autres réalisations que l’on découvre Romero, sa passion pour les relations humaines conflictuelles et le chaos terrifiant qu’elles peuvent engendrer. Le bizarrement nommé La Nuit des Fous Vivants, alias The Crazies, est un film d’épidémie froid et quasi documentaire, critiquant vivement les procédures inhumaines qu’un gouvernement pourrait employer pour se protéger d’une catastrophe, tout en se montrant incapable dans son organisation. La guerre hiérarchique semble plus dangereuse que le virus lui-même et mènera même à la perte du remède. L’inoubliable Martin, film de “vampire”, nous plonge dans l’Amérique profonde et tout ce qu’elle a de plus intolérante, jugeant bien vite ses pairs. La folie religieuse y est fustigée et la notion de Bien et de Mal est balayée d’un revers de main dans une conclusion horrifiante qui hantera le spectateur bien longtemps après la vision du film…
Il s’agit aussi d’un film plutôt maitrisé sur le thème de la maladie mentale en son temps, surtout vu la façon dont le sujet est parfois traité par d’autres metteurs en scène. Incidents de Parcours peut se vanter d’être le meilleur film “de singe” horrifique, faute d’une forte concurrence (Link, Shakma), et se montre fascinant dans la régression que vit son personnage principal, d’abord physique puis mentale, triomphant de son ennemi animal en devenant aussi primitif que lui. Season of the Witch, bien que mineur dans sa filmographie, donnait déjà une grosse baffe à la société et à sa manière de traiter les femmes – quelque chose que le cinéaste va sans cesse revisiter à travers ses films de zombies (le parcours des héroïnes prenant de plus en plus d’ampleur à chaque fois). Et puis j’évoquerai le mal-aimé Bruiser, anecdotique mais intéressant dans sa représentation d’un homme insignifiant, effacé, diminué par la vie, qui retrouvera une identité justement lorsqu’un masque informe se soude à son visage. La chose souffre d’un sacré manque de budget mais distance aisément quelques semblables fait dans le même moule, tel le King of the Ants de Stuart Gordon. Enfin, comment ne pas mentionner son amitié avec Stephen King, lui aussi fervent explorateur de la connerie humaine et avec qui il a fait les quatre cents coups entre Creepshow et La Part des Ténèbres…?
Pour autant, avec ses improbables lunettes géantes qui remplacerait un gros nez rouge, George Romero était aussi une sorte de clown à sa façon. Jamais le dernier pour s’amuser, il faut le voir jeter des tartes à la crème à ses morts-vivants, refourguer un peigne à moustache à Tom Savini ou revisiter Edgar Poe à la façon des EC Comics dans Les Yeux Diaboliques. Un goût prononcé pour l’humour noir et les vieilles bandes-dessinées d’horreur qu’il partage avec Stephen King, le duo accouchant d’un Creepshow qui reste l’un des films les plus cultes (et réussi) des années 80. Loin de s’arrêter là, le gentil géant parrainera la franchise qui s’étirera avec un Creepshow 2 inférieur mais surtout la série télé Tales From the Darkside, qui possède pas mal de moments d’anthologie en plus d’avoir pavé le chemin aux futurs Contes de la Crypte qui suivront plus tard. Et si le gore et les monstres vous rebutent, il y a Knightriders. Un OVNI cinématographique qui n’a pas son pareil et qui montre une bande de chevaliers en armures médiévales chevaucher des motos à la place de chevaux ! Un film loufoque qui s’avère surtout être…un comédie dramatique plutôt touchante et un sacré cri du cœur. Symbole parfait de cet opus improbable: le casting réuni dans les premiers rôles aussi bien Ed Harris que Tom Savini.
Ces films, tous très différent mais pourtant si semblables, vont toujours plus loin que le simple divertissement auquel on les limites souvent. C’est un véritable regard sur le genre humain, l’histoire des États-Unis et les terrifiantes dérives du système. Cette filmographie est aussi noire que peut l’être l’âme humaine mais aussi lumineuse, comme seul les gens ayant une certaine finesse d’esprit peuvent se montrer. Car voyez-vous, George Romero n’était pas qu’un Maître de l’Horreur ou un cinéaste. Érudit et humaniste, il était plus qu’une simple personne. Il était une époque, un courant de pensée. Un exemple à suivre. En un mot: une légende. Et plus qu’avec tout autre, sa disparition me renvoie à quel point nous arrivons à la fin définitive de toute une génération, et d’une façon d’être qui allait avec. Maintenant, il va falloir à vivre sans… Et alors que Internet s’enflamme à propos des “Millenials”, alias la Génération Y dont je fais hélas partie et qui accumule les tares (le phénomène Social Justice Warrior qui, sous couvert de s’opposer à des questions de racisme ou de sexisme, se montre extrêmement fasciste, violente et revendiquant un politiquement correct encore pire que celui de Demolition Man), George Andrew Romero s’est éteint en écoutant la musique de L’Homme Tranquille de John Ford, son film préféré. Un départ aussi paisible que possible compte-tenu du fait que c’est ce connard de crabe qui nous l’a enlevé, et symboliquement c’est plutôt marquant…
Whou ! Et bien vieux, c’est un hommage superbe et une chronique hyper intéressante.good job
Aaah 😃 Merci c’est gentil !
Superbe hommage Adrien…sincèrement. Il le mérite et tu l’as magnifiquement fait.
Merci beaucoup, Pascal ! J’apprécie 🙂
Très bel hommage l’ami. J’ai eu la chance de revoir en festival « Incidents de parcours » et je peux te dire que un sacré bon film.
Grand merci Rog, c’est gentil.
Et en effet, Incidents de Parcours est mémorable, avec une dernière partie qui marque.