Deep Blood
(1989)
Deep Blood, de son véritable titre Sangue Negli Abissi (du sang dans les abysses, ou les profondeurs), commence exactement comme une histoire de Stephen King du temps où celui-ci s’envoyait de la cocaïne à travers les narines. Quatre jeunes garçons grillent des saucisses sur la plage sans supervision parentale lorsqu’ils sont accosté par un vieux pervers déguisé en indien, qui déclare qu’ils devront un jour accomplir une vieille prophétie. Il leur demande ensuite de faire un pacte de sang pour s’unir en un seul esprit et, après qu’ils se soient tailladés, leur refourgue un totem en bois dont les gravures racontent comment le dieu de la mer envoya autrefois le monstre Wakan dévorer les pêcheurs de sa tribu, par peur qu’ils vident l’océan de vie. Les mômes enterrent les preuves de cette rencontre et promettent de respecter leur promesse sans qu’ils sachent (et nous non plus) de quoi il en retourne exactement. Une introduction qui pompe à demi-mot l’idée du caïman mystique du Grand Alligator, et que l’on doit à un certain Raffaele Donato.
Homme à tout faire tellement méconnu que son CV est maigre comme un clou sur Internet même s’il œuvre depuis les années 70. Lorsque le légendaire Joe D’Amato monte Deep Blood avec sa propre boite Filmirage (Bloody Bird, Metamorphosis) dans l’espoir de capitaliser sur la sortie encore récente des Dents de la Mer 4, il l’engage pour sa maîtrise de la langue anglaise comme il l’avait déjà fait autrefois pour les besoins de Bill Cormack, le Fédéré, le tournage ayant lieu aux États-Unis. Le bonhomme désirant s’essayer à la mise en scène, le producteur va accepter de lui donner les rennes du film, assurant pour sa part le poste de chef opérateur. Seulement une fois cette première scène mise en boite, Donato se rend compte que le boulot ne lui convient pas et abandonne la partie, laissant à son partenaire le soin de terminer le projet – ou plutôt de tout faire, puisqu’ils avaient à peine commencé ! Pas contrariant, D’Amato accepte mais emballe le tout sans grandes convictions, se branchant en mode auto-pilote.
Il livre ainsi une œuvre dénuée de charme et de personnalité, qui pille à droite et à gauche de la façon la plus plate possible sans même une once de fierté dans la filouterie. Le Bis italien, on le sait, était alors mourant à cette époque et Deep Blood en représente l’un des derniers représentants. Difficile de dire si le résultat est précisément la somme de ces deux contextes, mais en tout cas il est symbolique. Ce qui est un peu bête d’ailleurs puisque le scénario avait du potentiel via ce concept de mélanger la redsploitation et la sharksploitation en une grosse tambouille, avec requin mangeur d’homme et mythologie amérindienne. Tous les éléments étaient là, de la malédiction de Wakan qui dévore la population de l’île / ville côtière (l’endroit n’est jamais décrit et n’est même pas nommé) au jeune héros qui est un prodige du harpon (clairement mis en place lors de sa présentation et abandonné aussitôt, le monstre étant connement abattu à l’explosif dans la conclusion), en passant par les notions de courage et de loyauté.
Autant de choses que le film s’empresse d’ignorer, transformant ce qui aurait pu être une modernisation des contes antiques façon Persée contre Méduse ou Thésée et le Minotaure en un banal sitcom où les héros flirtent avec leurs copines, s’engueulent avec leurs parents et se chamaillent avec un groupe rival. Un postulat d’autant plus handicapant que les protagonistes sont inintéressants, bande de fils à papa qui disposent tous d’un train de vie confortable grâce à l’argent de leur famille, malgré une ou deux tragédies personnelles sur lesquels le scénario ne s’appesanti pas. Il y a Allan, fils du maire inscrit dans une académie militaire par son paternel qui désire prouver sa valeur, sauf que le père s’avère aimable et fier de son rejeton, tandis que sa présence à lui ne sert à rien dans l’intrigue. Ben voudrait être golfeur professionnel contre l’avis de son père, un marin traumatisé par la mort de son autre enfant des années plus tôt. Mais celui-ci renoue avec son fils en un claquement de doigt au point que le fossé les séparant semble ne pas exister.
Miki a perdu sa mère lorsqu’il était jeune et doit subir les moquerie des autres jeunes. Du lot il est celui qui avait le plus de possibilités à exploiter du fait que sa maman était psychologiquement fragile et qu’il doit convaincre tout le monde de l’existence de Wakan au risque de passer pour un fou. Une obsession qui est le moteur du film, tout comme son besoin de vengeance, même si personne ne doutera vraiment de lui. Enfin il y a John. Et il n’y a rien à dire sur lui puisqu’il se fait illico bouffer par le requin et ne sert à rien d’autre. Même chose pour les deux ou trois filles qui traînent avec nos héros, mignonnes mais inexistantes. Les seuls à sortir du lot, ce sont le sympathique Chef Cody, qui vient remplacer le Chef Brody mais en totalement ineffectif (plus proche du shérif de La Dernière Maison sur la Gauche avec son adjoint idiot), qui doit annoncer la mort d’une victime aux parents et évoque le meurtre de son meilleur ami à Saigon en guise de condoléance, et Jason, le bad boy de service d’abord ennemi de Miki, puis allié sincère.
Un faux trou du cul qui vient en fait d’une famille pauvre et déteste le club des quatre à cause de leurs privilèges. En apprenant la mort de l’un d’eux et en réalisant que les autorités couvrent le problème, il viendra prêter main forte au trio au péril de sa vie, comme un vrai mec. C’est un peu le thème de Deep Blood d’ailleurs cette amitié virile qui passe avant tout, même la famille ou les copines. Un peu démodé de nos jours mais pas désagréable en vérité, même si là encore le film n’utilise jamais ces choses à son avantage. Au même titre que l’élément horrifique d’ailleurs, car du monstre marin – un grand requin blanc – on n’en verra rien du tout hormis quelques stocks shots piqués aux archives de la National Geographic et à La Mort au Large de Enzo G. Castellari. Cela signifie qu’il n’y a pas un bout de monstre véritable là-dedans, hormis un aileron malformé et une tête qu’on apercevra pendant tout au plus quelques secondes. Pas de violence non plus puisqu’il n’y a ni morsures, ni membres orphelins, ni cadavres mâchouillés.
Le bodycount est honteusement léger avec trois victimes au total, dont une rombière se faisant dévorer sur son matelas gonflable sous les yeux inexpressif de son gamin en une reprise inversée de la mort du petit Alex Kintner dans Les Dents la Mer (chien inclus). Mention tout de même à l’ultime victime qui plaque son amant, trop peureux de quitter sa femme pour elle, pour finir aussitôt dans la gueule du squale tandis que l’autre prend la fuite en voiture, ne signalant jamais sa disparition. Drôle et très proche du roman original de Peter Benchley. C’est à peu près tout ce qu’il y a à rapporter en dehors d’une adorable maquette de bateau coulé au fond de la mer et d’un scientifique en casquette capable d’estimer la personnalité du requin (“mauvaise et imprévisible”) à partir d’un échantillon sous microscope. Le bissophile comme le nanardeux devront lutter pour ne pas s’endormir et trouver de petites choses à se mettre sous la dent comme l’apparition éclair de Laura Gemser ou cette mystérieuse caisse en bois estampillée “Robocop” au commissariat.
On pourra également voir les rebords d’une piscine le temps d’un ou deux plans sous-marin mal branlés, et plusieurs séquences volées au classique de Spielberg sautent aux yeux, ce qui fera ricaner méchamment. Mais pourquoi pas ? C’est ça ou s’infliger d’incroyables longueurs, notamment dans la dernière partie lorsque les protagonistes piègent le navire englouti avec de la dynamite dans l’espoir d’y piéger Wakan. Pas étonnant en fait que Deep Blood ait été si rare fut un temps, débarquant tardivement en vidéo à l’international (vers 1990, d’où les incertitudes concernant la datation) et se cachant derrière certaines éditions VHS qui remplaceront l’affiche originale pourtant superbe par une photo du requin des Dents de la Mer 4. Pour ne rien arranger les choses, Bruno Mattéi rendra la monnaie de sa pièce à Joe D’Amato en pillant à son tours de nombreux plans du film pour remplir un peu son Cruel Jaws. C’est de bonne guerre après tout, mais comment alors se faire remarquer à côté de ce Jaws 5 bootleg bien plus psychotronique ?
C’est peut-être pour cela que Joe D’Amato ne s’embarrassa pas à reconnaître la paternité du film, qu’il devait pourtant signer David Hills du tant où la chose s’appelait Sharks (The Challenge). Considérant qu’il avait déjà tourné beaucoup de films cette même année, et peut-être pour éviter de montrer que Raf Donato s’était dérobé, il crédita l’entière réalisation à son collègue, cachant son propre nom sous celui d’un pseudonyme pour son boulot de directeur de la photographie. Peu après il abandonna définitivement le genre pour se réfugier dans le porno. La fin d’une époque. Deep Blood resta longtemps invisible ou très difficile d’accès, et la France pu se targuer d’être l’un des rares pays à le proposer en DVD il n’y pas si longtemps. Désormais la chose vient de sortir en Blu-ray chez Severin Films, avec doublage anglais et italiens histoire de faire plaisir aux puristes. C’est sûr, les temps changent.
A retrouver également la chronique de Rigs Mordo, gardien de la désormais célèbre Toxic Crypt, ainsi que la vidéo de David Didelot, fondateur de Vidéotopsie, qui figure aussi dans les bonus du DVD édité par Crocofilms.
C’est le requin du film que l’on voit sur la jaquette (dernière photo de la chronique) ou ils ont piqué un stock-shot de Bruce ?
Oh ils ont totalement piqué ça aux Dents de la Mer 4 😃 Sans aucune honte 😃
Oui, sur ce coup là c’est plutôt « Joe-joe dans les abysses » ! Autant D’Amato a réalisé un paquet de conneries destinées au marché de la vidéo locative et du câble US à partir de la fin des années 80, autant avec Deep Blood il touche le fond. Le plus étonnant étant que Severin Films édite la chose… en Blu-ray !
C’est l’effet fonds de tiroirs. Un peu comme chez nous avec les 150.000 Giallo qu’on nous ressorts: quand t’as fais les meilleurs et les perles obscures, tu fais avec ce qu’il reste. Après je me plains pas, y a toujours un côté fascinant de voir le film le plus minable et inutile ressortir dans des conditions parfaites. Ça me donne de l’espoir pour certains titres qui ne plaisent qu’à moi et personne d’autre !