Dead Sonja: She-Zombie with a Sword
(2006)
“I have a sword, double-D breasts, and a spotlight
solicitation in the Diamond Distributors catalog !”
Comme beaucoup d’autres petits éditeurs de comic-books, Blatant Comics a vu le jour durant le boom des années 90, participant à l’inondation du marché. Comme les autres, la compagnie a vite compris qu’il était possible de se faire un peu d’argent rapidement en réalisant quelques bandes remplies d’ultra violence et de femmes sexy. Et comme les autres, la compagnie a vite compris que pour faire un maximum de profit, le mieux restait de ne pas trop investir dans la confection des bouquins: le noir et blanc coûte moins cher que la couleur et les artistes débutant sont moins gourmand et facilement exploitables. Tant pis pour la qualité. Cependant les responsables ont cette fois eu la présence d’esprit de penser à la concurrence et de chercher à se démarquer de leurs trop nombreux rivaux: plutôt que de jouer à fond la carte du premier degré et de pondre des histoires edgy et brutale pour plaire aux ados rebelles, ils vont prendre le chemin inverse et faire dans la parodie !
Mais faire de la comédie n’est pas un gage de qualité pour autant, et en fait il n’y a rien de pire qu’un mauvais gag qui tente désespérément de vous faire rire sans jamais y arriver. Du coup la bibliographie de Blatant Comics est tout aussi navrante que celle des habituels copieurs de Marvel et DC. Il n’y a qu’à lire les titres de leurs productions pour se faire une idée du style de leur humour bas du front: Sloth Park pour South Park, Busty the Vampire Murderer pour Buffy ou encore XXXena: Warrior Pornstar qui aura tenu sur pas moins de cinq numéros !
Sorti en Octobre 2006, Dead Sonja: She-Zombie with a Sword se moque évidement de la belle rousse au bikini métallique en la transformant… en morte-vivante. Non pas un zombie décérébré façon George Romero, mais un personnage de non-mort toujours capable de réflexion, sachant se battre et monter à cheval, et surtout toujours aussi sexy malgré sa peau décomposée. Et d’ailleurs, j’avoue: le titre même de Dead Sonja est plutôt attirant. Il est presque surprenant que Dynamite Entertainment ne ce soit pas emparé du concept pour faire une intrigue où l’héroïne est désormais “morte”, son âme dérobée par un sorcier comme Thulsa Doom, Kulan Gath ou Thoth-Amon qu’elle doit affronter pour être entière à nouveau. Avec sa chevelure incendiaire, une peau d’un blanc laiteux lui irait à merveille !
Quoiqu’il en soit, cette Dead Sonja là ne cherche pas à faire dans la finesse, ni à détourner les stéréotypes. En réalité elle apparait comme encore plus clichée que la véritable rouquine, comme si les responsables ne connaissaient d’elle que son physique avantageux. A tel point que, si ce n’était pour le quotas de violence gore, le côté mort-vivant est parfois oubliable et aurait pu être totalement absent du livre. Car il n’y a pas même de semblant d’intrigue, la parodie fonctionnant plus par l’apparition d’éléments de pop-culture en dépit du bon sens, exactement à la manière de ces horribles Spartatouille ou Big Movie.
Le scénariste, Rob Potchak Jr. (Busty), divise ses cinquante pages en trois courts récits vaguement reliés entre eux. Le premier, intitulé Origins – A Dead Sonja Saga, est sans doute le plus proche de ce que l’on peut appeler une parodie de Red Sonja. Les premières pages reprennent donc la fameuse tragédie qui a forgée l’héroïne en cette guerrière impitoyable, remplaçant les brigands par une troupe de morts-vivants en quête de cerveaux. Des zombies intelligents qui n’ont de différences avec les êtres humains que leur apparence décrépit et le cannibalisme. Ils débarquent dans un petit village ennuyeux où réside Sonja, jeune adolescente qui vient d’être punie par ses parents et doit rester dans sa hutte. Elle est témoin du massacre et va malgré elle attirer l’attention de trois goules qui, déjà repues, vont trouver une autre façon de s’amuser avec elle. Le viol n’est évidemment pas montré et la “blague” vient justement de la censure: un écriteau apparait pour préciser que les auteurs n’ont techniquement pas le droit d’être explicite et doivent faire une ellipse temporelle – même s’ils se plaignent, arguant que Sam Raimi à tourné la “scène de l’arbre” dans Evil Dead sans rencontrer ce problème.
Agonisante, Sonja prie la déesse Stack’d, the larged breasted one (j’ai vraiment besoin de traduire ?) de lui venir en aide. Celle-ci réanime alors le corps de la jeune femme, faisant d’elle un zombie putride mais sexy malgré son corps partiellement décomposé, et lui offre une nouvelle poitrine ainsi qu’une épée mystique pour terrasser ses ennemis.
Devenue Dead Sonja, la guerrière va passer son temps à poursuivre ses agresseurs. L’histoire va prendre un tournant inattendu lors de sa rencontre avec… une dénommée Sonya avec un Y qui est se trouve être son double, rouquine, morte-vivante et guerrière en quête de vengeance elle-aussi ! Et les deux vont immédiatement se foutre sur la tronche, appréciant mal la situation qui est en fait une satire plutôt maline des origines de la vraie Red Sonja. Car si tout le monde pense qu’elle fut créée par Robert E. Howard, l’auteur de Conan, ce n’est en fait pas du tout le cas. L’écrivain a inventé une Red Sonya de Rogatino dans sa nouvelle The Shadow of the Vulture (chez nous Sonya la Rouge), récit pulp se déroulant pendant un véritable conflit historique du XVIème Siècle à Istanbul. Red Sonja, avec un J, fut elle inventée par Roy Thomas et Barry Smith pour les besoins du comics Conan le Barbare chez Marvel Comics en 1973.
Cela passera au-dessus de la tête des trois quart des lecteurs, mais au moins le véritable fan pourra esquisser un sourire. Surtout quand Dead Sonya présente ses sbires: des avocats zombies présentant une ordonnance de cessation et d’abstention à l’autre guerrière. Il faut au moins ça pour considérer la BD comme drôle, puisqu’il faut sinon se contenter de touts petites gags ici et là: un zombie tient des couvert lorsqu’il dévore ses victimes, un villageois se plaignant d’avoir à utiliser une peau de bête en guise de papier toilette et Sonja qui se gratte le cul en chevauchant car sa culotte en cotte de mailles la démange…
Même les illustrations n’ont rien de particulières. Signées Ap. Furtado, elles évoquent les bandes comiques de Mad Magazine, affichant zéro détails et jouant sur une représentation plutôt grossière et cartoonesque de l’être humain et de son environnement. Cela fonctionne pour le gore et quelques expressions faciales, mais les visuels sont globalement pauvres peu attrayants. Même Sonja est décevante, n’évoquant absolument pas un mort vivant puisque ne montrant aucune blessure sur son corps dénudé. Fort heureusement les épisodes suivants redressent un peu la barre, à commencer par le travail de Owen Gieni (Shutter et Rat Queens chez Image) sur la seconde histoire. Celui-ci conserve l’approche humoristique mais en rajoutant biens plus de détails et d’ombrages sur ses planches, rendant le comic plus agréable à suivre et même un peu plus drôle grâce à quelques éléments qu’il insert ici et là. Comme les petits cœurs gravés sur le soutien-gorge de Sonja, l’enseigne de la taverne cannibale marquant R.G.G. Martin, et tout simplement l’apparition d’horribles plaies sur le corps de l’héroïne qui dévoilent fémurs et cubitus…
Ici Sonja part à la recherche de son “créateur”, afin d’avoir quelques réponses suite à son altercation avec son alter-ego. Le nom d’un certain Bonan the Carbarian ayant été mentionné elle tente de le retrouver, mais celui-ci va la provoquer en duel parce que… leur conversation l’a amené à expliqué d’où vient son nom et que l’anecdote est tellement stupide que cela l’énerve. Je ne suis pas certain de saisir non plus…
Visiblement Bonan (Conan) est un jeu de mot avec boner (une érection), sauf que le barbare va préciser que ce n’est pas tout à fait ça, le prénom faisant plutôt référence à son énorme nez. Pourquoi a t-il un gros nez ? Je ne sais pas… Quant à Carbarian (Barbarian), c’est un calembour avec carb qui veut dire glucide, en référence à l’idée d’un régime car cette version du barbare est également un zombie, qui donc mange plus aucun légume… Statistiquement, quelqu’un dans l’univers doit trouver ça amusant.
Bref, plutôt que de se battre ils vont se lancer dans un concours de boisson, buvant le sang alcoolisé d’une victime sans jambes suspendu au-dessus du comptoir de bar. Le duo devient vite ivre, Bonan se mettant à voir des éléphants et Sonja se croyant dans la Cantina de Star Wars, puis soudain c’est le drame: le guerrier éméché s’écroule directement sur la poitrine de la jeune morte qui va prendre cela comme une agression sexuelle. Elle lui botte alors les fesses et les deux ont enfin leur grand combat, le narrateur décidant même de la fermer pour nous laisser apprécier les dessins. La chute ? Bonan réalise qu’il va être en retard à son rendez-vous galant avec Sonya et abandonne son adversaire qui va se sentir bien bête. Dépitée, la zombie retourne à la taverne se prendre une cuite, le barman déclarant qu’elle a le droit de bouffer tous les clients du moment qu’elle ne s’en prenne pas à lui. Je n’ai sérieusement aucune idée de ce que le scénariste essayait de raconter ici.
En fait il semble claire que cette deuxième partie n’est là que pour faire du remplissage et justifier les cinquante pages de la bande-dessinée. Vu son talent Owen Gieni a certainement dû être payé plus cher que les autres auteurs, mais cela est totalement mérité. Comme la scène du combat le confirme, c’est son graphisme qui importe ici et sa Dead Sonja apparaît plutôt jolie et bad ass. Bonan a quelque chose de drôle avec son torse surgonflé et cette frange qui lui cache les yeux, parodiant clairement le style de Rob Liefeld très populaire à l’époque, et les expressions exagérés des protagonistes évoque carrément Gotlieb. On ne se marre pas vraiment, mais au moins on parcours les pages avec attention. Dommage que les gags laissent totalement indifférent en plus de ne pas toujours être compréhensibles. Le barman possède une main-tronçonneuse en référence à Evil Dead sans aucune raison et la narration recycle le gag de la censure du viol de l’héroïne, nous rappelant que si l’on a rien vu c’est parce que l’éditeur est clairement contre la nudité frontale des morts-vivants…
En fait toute tentative de plaisanterie fini par mourir avec la fin de cette histoire et le dernier voyage de Sonja rend encore plus perplexe, tapant carrément dans l’abstrait et le meta. Ici la jeune femme remarque un étrange vortex au sommet d’une montagne, qu’un passant lui décrit comme étant “la Fin”, le grand Rien d’où l’on ne revient pas. Intriguée et se demandant s’il n’y a pas un rapport avec son mystérieux créateur, elle décide de s’y rendre malgré les avertissements et aura une confrontation inutile avec un petit zombie – juste pour que celui-ci lui demande où elle compte aller, Sonja lui répondant “nulle part” en voulant parler du vortex, ce que l’autre ne comprend pas.
A mi-chemin elle va affronter une bande de barbares en blouson de cuir et lunettes de soleil qui doivent certainement représenter quelque chose que je n’ai pas saisi, et au final demandera au survivant de l’escorter jusqu’au portail magique. Son prisonnier va l’attraper et la projetter à travers la chose, qui la fera disparaitre. Dead Sonja se retrouve alors littéralement au milieu de “rien”, dans le sens où elle flotte dans le vide de l’espace ! Et la BD de se conclure là, sa destination qui ne mène nulle part étant finalement véritable même pour nous. Meta en effet, encore que pour que cela fonctionne vraiment, peut-être aurait-il fallu montrer la morte-vivante dériver dans une dernière page totalement vide ?
L’intrigue n’a aucun sens et n’est pas aussi intelligente qu’elle aimerait l’être. Seule bonne idée: présenter un panneau de directions indiquant “incohérence” et “raison”, comme si nous nous trouvions dans l’inconscient du scénariste. Mais vraiment ce qui s’en dégage est une perte de temps et un sacré gâchis. Car sans être aussi doué que son prédécesseur, Remy “Eisu” Mokhtar (un crossover pulp Domino Lady / The Spider chez Moonstone) n’est pas mauvais et rend sa Sonja très séduisante. Trop même, puisque hormis pour ses blessures béantes, celle-ci ressemble à une très belle femme pas vraiment différente de ses collègues de l’industrie. Au moins son cheval fait sourire puisque lui aussi mort-vivant avec un œil qui pendouille, et bottant le cul d’une ruade au gars qui a vaincu sa maitresse.
Voilà donc Dead Sonja: She-Zombie with a Sword, une parodie où l’on ne se marre jamais et où il faut parfois lutter pour comprendre ce que l’auteur cherche à nous raconter. Un peu de gore, une héroïne amusante et un hommage à Robert Howard sont les seuls choses qu’il faut en retenir. Un bel échec pour un livre qui affiche un gros Blatant Parody sur sa couverture. Il affiche également un beau #1, les responsables espérant sans doute avoir le même succès que XXXena, et un All Killer, No Filler qui à ce niveau là tient carrément de la publicité mensongère. Sans surprise, Blatant Comics surf aussi sur la vague des couvertures alternatives afin de survivre et on peut trouver cette improbable Dead Sexy Cover en édition limitée à 400 exemplaires que personne n’a jamais dû acheter. Pas étonnant que, l’année suivante, la compagnie tentera autre chose que les plaisanteries pas drôle et s’aventurera dans l’horreur pure avec Last Blood, brillamment dessiné par Owen Gieni dans un registre très proche du Creature From the Depths par Mark Kidwell.
Dead Sonja #2 ne verra peut-être jamais le jour mais cela n’empêchera pas Rob Potchak de continuer à écrire les aventures d’une guerrière rousse et sexy avec son titre Immortal, en compagnie de Gieni et de Ap. Furtado. Comme quoi l’angle parodique n’était sans doute qu’un prétexte pour faire du Red Sonja sans avoir les droits du personnage, ce qui expliquerait pourquoi le seul bon moment de cette BD et la confrontation entre Sonja et Sonya !
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