Creature From the Depths (2007) – 2ème PARTIE

ROAD TO HALLOWEEN IV

 

 

Creature From the Depths

(2007)

 

– 2ème PARTIE –

 

 

Après une fastidieuse introduction bien plus longue que je ne l’avais prévu, et nécessitant une séparation avec la véritable chronique pour faciliter la lecture, nous pouvons enfin plonger (haha) dans Creature From the Depths pour de bon. Une histoire d’horreur paru en Juillet 2007 (même si elle fut certainement complétée bien avant, comme le prouve sa chaotique histoire de production) et qui fut vendu “dans la traduction du classique L’Étrange Créature du Lac Noir mais à la manière de Lovecraft”. C’est vrai en partie, car le monstre évoque effectivement Gill-man dans son apparence (quoiqu’en plus agressif), mais aussi parce que l’histoire s’inscrit ouvertement dans le Cthulhu Mythos. Divers éléments viennent le confirmer même si l’auteur tente de camoufler un minimum ces références afin qu’elles ne sautent pas trop au visage du lecteur.
En fait on peut carrément dire que ce one-shot est un remake à peine déguisé de la nouvelle Le Cauchemar d’Innsmouth, déjà adaptée à l’écran par Stuart Gordon avec son chouette Dagon. De larges portions y sont ici recyclées même si l’intrigue va finalement se diriger dans une autre direction, s’apparentant finalement plus des farces macabres des EC Comics avec leur twist final – là encore une intention de l’auteur si l’on en croit la campagne de communication.

 

 

Dagon, la Secta del Mar est sorti en 2001. De manière intéressante, c’est également l’année où arriva en vidéo le She Creature du label Creature Features, film dont j’ai déjà parlé ici il y a bien longtemps (et qui mériterai un bien meilleur article). Ce DTV est un “remake” d’une vieille production de Samuel Z. Arkoff, réalisée dans le cadre d’une collaboration entre quelques chaines télé et le titan des effets spéciaux Stan Winston. Une histoire cauchemardesque de sirène, dont la mythologie a été revue et corrigée justement pour ressembler à un récit de H.P. Lovecraft…
Et ainsi on pourra constater que le présent comic-book en reprend le même point de départ, pratiquement à l’identique, et sans doute trop pour que cela soit une simple coïncidence. Dans les deux cas l’intrigue débute dans un vieux sideshow au début du XXème Siècle et nous présente les protagonistes principaux: le directeur et sa compagne, qui travaille comme performeuse. La différence ? Dans She Creature, la jeune femme fait semblant d’être une authentique sirène, chantant dans son aquarium tandis qu’un de ses collègues joue un faux zombie qui s’échappe de ses chaines et terrorise la foule avant d’être calmé par la beauté. Ici l’héroïne prétend être une demoiselle en détresse enchainée dans une cuve, proie d’un monstre marin qui n’est évidemment que son complice en costume.

 

 

Dans les deux cas, un vieil homme vient les voir après leur numéro, découvrant la supercherie mais le prenant plutôt bien. Dans le film comme dans la BD, celui-ci confesse être venu par curiosité en se demandant si leur créature est véritable, avant de raconter sa propre expérience. C’est là que les histoires diffèrent: dans She Creature, l’étranger raconte avoir capturé une sirène il y a fort longtemps et emmène les héros chez lui pour le leur prouver. Il déclare qu’elle est maléfique malgré sa superbe apparence et leur demande de l’aide pour la tuer, mais le responsable du freakshow préfère s’en emparer car elle ferait une attraction merveilleuse.
Ici le vieillard explique représenter un village de pêcheurs voisin et narre la découverte d’un trésor englouti près de leurs récifs. Seulement les plongeurs ont tous été attaqué par “quelque chose”, qu’un survivant a décrit comme un homme-poisson. Après la perte de plusieurs équipages, il fut décidé de trouver quelqu’un qui pourra les aider à détruire le monstre et s’emparer du précieux butin. Et parce que les forains possèdent déjà leur équipement de plongé, il leur fait une proposition: venir avec lui et tuer la bête. En échange, ils partageront le trésor en deux et le corps de la chose leur saura offert pour leurs exhibitions. Une aubaine pour le cirque, en perte de vitesse puisque son dirigeant est un alcoolo qui a tendance à ruiner leurs représentations.

 

 

Dernière similarité avec le film: l’aventure commence lorsque toute la troupe prend le bateau, le directeur et son épouse étant accompagné d’un ami jouant les hommes à tout faire (ici un nain plutôt qu’un “esclave” Noir), pour un voyage qui s’annonce condamné. Car quelque chose cloche chez M. Atho, leur commanditaire, sinistre vieillard en fauteuil roulant, son visage difforme révélant un nez remonté proche du groin et un sourire carnassier peu engageant. C’est peut-être parce que ses yeux sont constamment cachés derrière des lunettes noires, ou parce qu’il est littéralement accompagné de deux ninjas ! Des servants muets qui pourraient faire de la figuration dans Mortal Kombat et dont la peau semble étrangement écailleuses sous leurs multiples foulards ; un peu comme celle d’un reptile… ou d’un poisson !
Le lecteur comprendra bien vite de quoi il en retourne lorsqu’il verra la pancarte indiquant de quelle patelin provient leur hôte: Innsmouth. On n’y croise pas un chat d’ailleurs, nos héros embarquant immédiatement histoire d’expédier leur affaire. Et tandis que le patron du Museum of the Bizarre s’arme d’un antique scaphandre et d’un fusil harpon pour chasser le monstre, sa femme se prélasse sur le pont, semblant presque attirer sur elle le regard d’Athos par sa beauté. L’intrigue prend un tournant inattendu lorsque l’homme-poisson, plutôt que d’affronter son adversaire sous les eaux, grimpe sur le bateau et massacre pratiquement tout l’équipage…

 

 

Seul le vieillard et la jeune femme s’en sortent et c’est alors que le soit-disant handicapé révèle sa véritable nature, évidemment inhumaine. Pendant ce temps le chasseur sous-marin fait une horrible découverte dans l’épave du galion: parmi le trésor, un deuxième monstre. Une femme-poisson, enceinte et ayant déjà pondu quelques œufs. Il l’extermine, pensant déjà pouvoir s’emparer du trésor et d’apporter à la science une incroyable découverte, mais il va devoir faire face à la furie du mâle et à la mauvaise surprise qui l’attend à la surface.
Car ce qu’il ignore, c’est que l’ancien navire qui s’est échoué est maudit. Quiconque s’empare du butin est victime d’un sortilège finalement très proche de ceux des deux premiers Pirates des Caraïbes: le voleur se transforme en une créature monstrueuse façon faune des profondeurs de l’océan. Tous les habitants d’Innsmouth se sont évidemment métamorphosés à cause du partage des artefacts repêchés, et le couple de Gill-men que Athos désire exterminer ne sont autres que le chef du village et sa femme, ayant récupérés pour eux-même une grande partie du trésor. L’handicapé est lui-même un hybride, un homme-pieuvre malfaisant qui était à l’origine le conservateur du musée d’Arkham !

 

 

Transformé après avoir reçu un échantillon de l’or maudit, il a développé une forme d’addiction qui le pousse à récupérer la totalité des artefacts. Et si c’est bien par curiosité qu’il visita le sideshow, c’est uniquement parce que leur bestiole aurait pu être authentique et donc en possession d’un fragment du trésor. La révélation amène Creature From the Depths sur le territoire des EC Comics, avec son humour noir et sa conclusion surprise. Car Athos avoue qu’en engageant le directeur du cirque, il pensait vraiment lui offrir le corps d’un monstre en échange avant de le laisser repartir. Peut-être même aurait-il accepté de lui laisser quelques objets précieux. Mais son avarice a prit le dessus, surtout après avoir fait la connaissance de sa femme qu’il convoite maintenant tout autant que le butin.
La conclusion fait alors écho au début du comic-book, en une parodie aquatique de freakshow. Nous y voyons le peuple difforme d’Innsmouth se réunir sous un ponton où se trouve une attraction cachée derrière un rideau. Ils doivent payer de leur or à un “guichet” (juste un tonneau où repose un monstrueux Monsieur Loyal) pour voir le spectacle et ainsi rencontrer “Athos, le Seigneur des Profondeurs”, désormais pleinement céphalopode et couvert de bijou.

 

 

A la manière de Jabba le Hutt, il garde l’héroïne près de lui, dénudée et attachée comme une esclave. Il s’agit, on le comprends, d’une reprise déviante du numéro de cirque qu’elle effectuait auparavant, cette fois véritablement en danger et gardée vivante grâce au générateur d’oxygène du scaphandre de son époux…
Le one-shot s’achève sur une dernière image montrant cependant l’apparition d’un possible opposant au règne d’Athos, puisque quelque part au fond de la mer éclos l’un des œufs de la femme-poisson. La naissance d’un être aquatique de sang pur, et non un humain transformé comme le sont tous les autres. Presque de quoi donner envie de lire une suite où la bête viendrait renverser la tyrannie de l’imposteur, façon Conan le Barbare. Après tout Robert E. Howard était un correspondant connu de Lovecraft et l’univers du Cimmérien est souvent intégré au Cthulhu Mythos !
Quoiqu’il en soit, et pour en revenir à She Creature, il y a encore quelques liens évidents, puisque là aussi l’héroïne devenait une proie sexuelle de la sirène qui la convoitait et tuait son entourage pour s’emparer d’elle. L’influence est indéniable mais les changements sont suffisant pour que la BD gagne sa propre identité.

 

 

Car il faut avouer qu’il y a là quelque chose d’un peu fou avec ce mélange de Lovecraft, de E.C. Comics et des séquences gores qui évoquent plus la série B moderne. Seul l’érotisme se retrouve censuré par cette logique américaine affreuse qui veut que l’on peut facilement montrer un mec se faire arracher les tripes, mais surtout pas les tétons d’une très belle femme. Un sein dénudé de l’héroïne est ainsi pudiquement caché par un tentacule très prude, qui ferait bien honte à ses cousins japonais.
Mais il n’y a franchement rien d’autre à reprocher à ce Creature From the Depths qui cherche surtout à divertir. Le combat ninjas / Gill-man est délirant à souhait, la perversité d’Athos fait plaisir, le “héros” qui brutalise sa femme est évidemment puni de ses actions (encore que ça aurait dû être pire) et les monstres sont moches à souhait et très détaillés. L’œil attentif peut même s’amuser à déchiffrer quelques noms familiers comme celui du navire coulé, qui semble être le USS Preatorius, ou celui d’Athos qui s’appelle le Derleth, d’après August Derleth, tout premier écrivain continuateur du mythe de Cthulhu. Les villes d’Arkham et d’Innsmouth font partie du récit, le patron du freakshow se nomme Herbert comme un certain réanimateur bien connu, tandis que les servants Nektoth et Az’Roth s’expriment dans une langue étrangère familière. On relève d’ailleurs un “Rai-Lei” qui doit certainement se prononcer “R’lyeh”.

 

 

Bref, s’il ne révolutionne rien et n’est pas le meilleur comic du monde, il est compréhensible et heureux que ce one-shot fut sauvé du néant par Image Comics. Car pour une production indépendante, le résultat est de très bonne tenue,entre les graphismes très détaillés de Mark Kidwell qui siéent parfaitement à son histoire et les couleurs type rétro-sépia de Jay Fotos, son compagnon qui colorisa également ʽ68, American Wasteland et Bump avec lui.
Un livre parfaitement recommandable, tant aux fans de Lovecraft qu’aux simples amoureux de l’Horreur en général (par contre moins à celui qui vénère Creature From the Black Lagoon tant on s’en éloigne, contrairement à ce que les éditeurs veulent nous faire croire). Et si je ne recommande pas les nécessairement de se le procurer dans les étranges éditions comme celles “pour enfant” d’Abdo Publishing, dont je ne peux vérifier l’authenticité, le one-shot original reste facilement trouvable et il reste possible de se le procurer via le TPB Horror Book dont je parlais déjà dans la première partie de cette chronique, où il figure accompagné de quelques uns de ses camarades du défunt Dead Dog Comics.

 

 

 

       

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