Blood Diner (1987)

ROAD TO HALLOWEEN III

 

 

Blood Diner

(1987)

 

 

Pour le profane, Blood Diner semble être une énième Série B gore et loufoque comme on en trouvait à la pelle aux vidéo-clubs. Une comédie horrifique qui verse dans la mode “train fantôme” très en vogue à l’époque et qui cherche surtout à divertir plutôt qu’à effrayer. Et effectivement au premier regard, le film ne semble guère différent d’un House, Neon Maniacs, Spookies ou C.H.U.D. II, puisque mélangeant meurtres cartoonesques, monstres en caoutchouc et humour pachydermique. J’irai jusqu’à dire que Blood Diner évoque avant tout un film de la Troma, car avec son histoire impossible à prendre au sérieux, sa galerie de personnages totalement hors normes et sa narration anarchique, nous sommes dans la droite lignée d’un Sergent Kabukiman N.Y.P.D. ou d’un Class of Nuke’em High.
Ce n’est pas surprenant si l’on jette un œil aux responsables: la réalisatrice, Jackie Kong, est déjà coupable du monster movie peu sérieux The Being ainsi que de Night Patrol, sorte de Police Academy au rabais. Mais c’est surtout le scénariste, Michael Sonye, qui retient l’attention. De la Troma il en provient, puisqu’il est l’auteur du script de leur Surf Nazis Must Die, où il y jouait d’ailleurs le rôle de Mengele (et “Mengele is an asshole. Remember that.”). Il a aussi écrit celui du Star Slammer de Fred Olen Ray, copinant au passage avec le réalisateur qui l’invita ensuite sur le tournage de Cyclone: car lorsqu’il n’écrit pas, Sonye joue du Punk/Metal avec son groupe Haunted Garage, et c’est lui qui hurle les paroles délirantes (“Devil Metal, Devil Metal !”) sur lesquelles danse Jeffrey Combs avant de faire perforer la nuque au tournevis.
Enfin Michael Sonye, c’est également lui qui était la voix de Uncle Impie dans le mémorable Sorority Babes in the Slimeball Bowl-O-Rama de David DeCoteau, et ça, ça vaut la peine d’être mentionné !

 

 

Pas étonnant alors que la plupart des spectateurs ne voient pas Blood Diner comme autre chose qu’un autre produit du même type. Un nanar extravagant qui ne ferait effectivement pas tâche à côté d’un Hollywood Chainsaw Hooker ou d’un Hard to Die. Et pourtant…
Et pourtant, à la base, nous avions là Blood Feast 2. Incroyable mais vrai, le projet était à l’origine de donner une suite au classique de Herschell Gordon Lewis quelques vingt-cinq ans plus tard, à une époque où le genre était à son apogée. Difficile d’en trouver la moindre au trace au générique puisqu’il n’y a aucune mention du Parrain du Gore où que ce soit, et que les noms des protagonistes ont été totalement changés, mais quiconque se souvient de l’odyssée sanglante de Fuad Ramses se sentira en terrain connu. Car non seulement il s’agit de la même intrigue, mais en plus tous les éléments de la “séquelle” non officialisée se retrouvent à l’écran.
Si je n’ai pas d’explication officielle sur la raison qui a poussée les producteurs à changer d’avis et faire de Blood Diner un film indépendant, il n’est pas compliqué d’imaginer ce qui a pu se passer. Peut-être que le projet a été lancé avant que les droits de Blood Feast n’aient été sécurisés, et qu’il était ensuite trop tard pour tout abandonner. Peut-être que les ayant-droits étaient trop gourmands et sont revenus sur leur décision de départ, forçant les producteurs à lâcher l’affaire. Ou peut-être que Michael Sonye avait pondu son script en espérant, en un rêve de fan, faire réaliser sa suite fantasmée jusqu’à ce que la réalité le rattrape et ne l’oblige à faire quelques changements.

 

 

Quoiqu’il en soit, il est tout simplement impossible pour le fan de Blood Feast de ne pas faire le lien, et jamais les modifications ne prennent. Blood Diner est même plus fun en étant vu comme une continuation directe du film de H.G. Lewis mais à une date où le Gore est devenu chose commune. Du coup le film ne se compare jamais à la légende et ressemble plus à une célébration un peu immature, un peu festive, de l’original. Tout à fait à l’esprit des années 80, mais aussi tout à fait à l’esprit des jeunes générations lorsqu’elles découvrent Blood Feast au bon moment. La surprise, l’amusement et l’enthousiasme affectent leur perception de l’œuvre et lui donne une dimension encore plus importante qu’elle ne l’est réellement (c’est pour ça que tout le monde vous parlera de la scène de la langue arrachée, et jamais des conversations que tiennent les policiers dans leur bureau).
C’est donc sans aucune subtilité que l’introduction parodie Massacre à la Tronçonneuse, un narrateur annonçant que si le film contient de nombreuses scènes de violence, celles-ci sont réalisés par des professionnelles et qu’il ne faut en aucun cas reproduire ces mutilations chez nous, tandis que les producteurs nous informent qu’ils ne condamnent ni ne soutiennent les tueries de masse et les cultes sanguinaires ! Le ton est donné.
Le prologue qui suit est une sorte de reprise de la scène finale de Blood Feast, lorsque Fuad Ramses est poursuivit par la police, et si les noms et évènements sont modifiés, personne n’est dupe. Ainsi voyons-nous les derniers instants de Anwar Namtut (Fuad Ramses), meurtrier ayant mutilé et cuisiné un grand nombre de jeunes femmes dans le cadre d’une cérémonie ancestrale n’ayant plus été pratiquée depuis 5 millions d’années avant J.-C. (contre juste 5000 ans dans l’original): le Festin Lumerien, également nommé Blood Buffet (le Festin Égyptien, dit Blood Feast). Son but ? Ramener à la vie la déesse Sheetar (ou Shitar, un anagramme de Ishtar), une divinité Lumerienne (Égyptienne).

 

 

Découvert et traqué par la police (dans cette version il n’a pas su retenir ses pulsions face à la jeune vierge qu’il devait sacrifier et a tenté de la violer, ce qui lui a valu de se faire castrer), il s’enfuit et se fera finalement abattre. La différence avec Blood Feast est qu’ici l’assassin prend le temps de rendre visite à ses jeunes neveux, George et Michael, deux enfants qu’il a initié au culte de Sheetar afin de prendre sa relève en cas de problème. Dans la séquelle prévue, cette scène s’intégrait probablement entre le moment ou Ramses fuyait la maison où il avait été découvert, et son arrivée à la décharge publique où il trouve la mort. Dans Blood Diner, Anwar comprend qu’il ne pourra pas échapper à la police et se laisse tuer dans un acte suicidaire, sous les yeux de ses garçons.
20 ans plus tard, ces derniers sont devenus deux jeunes hommes très perturbés, tenant un petit restaurant végétarien qui n’est qu’une façade pour leur véritable projet: ramener leur oncle à la vie et, sous ses conseils, préparer un nouveau Blood Buffet afin de ressusciter Sheetar. Tueurs sanguinaires comme leur prédécesseur, George et Michael s’amusent comme des fous à massacrer leur entourage quand le besoin s’en fait ressentir (inspecteurs de l’hygiène, clients mécontents, restaurateurs rivaux) et surtout à tromper leur clientèle: ils mettent des morceaux de cadavres d’animaux, ou d’humains, dans leurs plats !
Utilisant l’ouvrage de rites occultes écrit par leur oncle (il porte ici un nom différent de celui de Blood Feast), le duo parvient à réanimer le cerveau d’Anwar qu’ils installent dans un bocal, un microphone lui permettant de communiquer avec eux. Ensemble, ils se mettent au travail et laissent d’innombrables corps derrières eux. La police, incapable, enquête comme elle peut…

 

 

Dans un soucis de se renouveler un peu par rapport à Blood Feast, ce nouvel opus décide de mettre un peu moins l’accent sur les meurtres (ils sont nombreux, je vous rassure) et plus sur l’absurdité de la situation. Des flics encore plus stupides qu’avant prennent l’affaire en main, George et Michael doivent gérer à la fois leurs sacrifices et leur restaurant, tandis que depuis son aquarium, Answar rêve de réussir son projet et de se taper Sheetar. Pendant ce temps, l’un des frangins, catcheur à mi-temps, espère se mesurer contre Little Jimmy Hitler, le plus gros Heel de la fédération du coin, et un vendeur de hot-dog sur la paille surveille les agissements du duo, ne désirant rien de moins que de copier leur succès même si cela signifie devoir commettre quelques meurtres.
Un bordel sans nom, digne d’une production Lloyd Kaufman, parfois effectivement difficile à suivre. Alors que l’attention du spectateur est tout d’abord rivée sur les débordements sanglants et les différentes étapes nécessaires à la réalisation du Blood Buffet, l’intrusion progressive de nombreux personnages et autres intrigues finissent par nuire à la cohésion de l’ensemble et rendre la vision un poil difficile. On ne comprend pas tout de suite pourquoi l’un des frères s’énerve dès qu’il regarde du catch à la télé, on ne comprend pas non plus ce que ce vendeur de hot-dog vient faire ici, si ce n’est pour rajouter un meurtre supplémentaire, et on ne comprend presque pas pourquoi la police possède autant de scènes (un duo similaire à celui de Blood Feast, clairement parodié, auquel se rajoute une rookie beaucoup plus fine qu’eux) alors que le film se concentre surtout sur les antagonistes…
Il existe une expression anglaise: “too many cooks spoil the broth” (trop de cuisiniers gâche le plat). Elle convient ici parfaitement.

 

 

Une autre idée, plus intéressante, que le scénariste a eu pour se démarquer de son modèle, c’est d’en dire plus sur le fameux Blood Buffet / Blood Feast, et d’expliquer comment il s’effectue. Dans le film de H.G. Lewis, ont savait juste que Ramses préparait une ancienne formule et que cela nécessitait beaucoup de sacrifices humains. Ici il est questions du meurtres de filles “immorales” dont les morceaux vont d’abord servir à construire un corps pour Sheetar. Une créature façon Frankenstein qui fait office de remplacement à la statue d’Ishtar. Il faut ensuite créer un festin sanglant au sens propre, les participants devant se bâfrer de chair humaine à un moment bien précis, permettant à la déesse d’entrer dans notre monde et investir son enveloppe charnelle. Enfin le sacrifice final d’une vierge permet d’achever la résurrection.
Autant dire que la famille Namtut a du pain sur la planche, et cela permet au script de varier les horreurs. Outre les morsures, démembrements et éventrements, trop nombreux pour être comptés, on y trouve un peu de tout: décapitations, tête bouillie dans l’huile de friteuse, crâne éclaté sous une voiture hydraulique ou par chute de stalactite, corps coupés en deux à la vertical… Un coup de pelle derrière un crâne éjecte les yeux de leurs orbites tandis qu’un cannibale retrouve une douille de balle dans son plat, après sa chasse. Parmi les séquences les plus mémorables, l’une montre l’irruption d’un tireur fou dans un club de “nude aerobic” (en fait topless), lequel fait un carton à la mitrailleuse tout en portant un masque de Ronald Reagan. Une autre présente une victime qui tente de s’enfuir en voiture alors qu’elle s’est faite amputer des deux mains: moignons sur le volant, le conducteur asperge le parebrise de son propre sang et, n’y voyant plus, fini par se crasher !

 

 

Et puis bien sûr il y a Anwar: si l’acteur est loin d’avoir la trogne improbable de celui de Blood Feast ce n’est pas un soucis, le personnage devenant un simple cerveau enfermé dans un bocal. Plutôt cool, d’autant qu’il fut décidé de l’animer un minimum, entre le liquide qui fait des bulles dès qu’il s’agace, et la paire d’yeux dont il est encore doté, qui bouge de gauche à droite.
Du reste, Blood Diner se contente d’aligner les séquences trash et les moments nonsensiques sans aucun soucis de cohérence. On y trouve pêle-mêle:
– Une annonceur radio qui explique qu’un maniaque rôde, avec un hachoir dans une main et ses couilles dans l’autre.
– L’héroïne qui s’en prend littéralement plein la gueule pendant tout le film: jet de sang, morceau de cervelle, lambeau de peau, bave verdâtre de Sheetar…
– La tombe d’Anwar, dotée de l’inscription “I’ll be back”.
– Une scène de vomie collectif dans un restaurant, évoquant celle du Sens de la Vie des Monty Python.
– Une femme totalement nue qui, attaquée par un tueur à la hache, se révèle être une experte en kung-fu, terrassant son adversaire aisément.
– L’idée que Anwar ne fasse plus qu’un avec sa déesse, décidant d’installer son propre cerveau dans son corps, comme étape finale avant la résurrection.
– Des Nazis absolument partout, entre Jimmy Hitler chez les catcheurs et un improbable groupe de Punks où ils jouent de la guitares électriques (probablement un hommage de Michael Sonye à son propre groupe et à la scène indie en générale). Et aussi fous que cela paraisse, souvenez-vous qu’il y avait déjà un gag à base de Nazi dans Blood Feast !

 

 

Parfois la coupe est pleine, trop, et certaines idées s’étirent interminablement (ce motard obèse renversé par les frangins Namtut, qui repassent sans cesse sur son corps car celui-ci refuse de mourir), tandis que d’autres sont juste trop “bizarre” et incompréhensible: le personnage de “Valentino”, perçu comme un humain véritable alors qu’il s’agit d’une marionnette de ventriloque très moche (et limite raciste). Celle-ci parle d’une petite voix, ne bouge évidemment jamais, mais tout le monde réagit comme s’il était une véritable personne… Sauf en deux instances, où l’on voit clairement un autre protagoniste jouer le ventriloque, et lorsque l’un des tueurs joue avec ! Je n’ai tout bonnement aucune explication sur le sujet, si ce n’est que l’équipe a dû trouver l’accessoire amusant et a décidé de l’incorporer dans le film en dépit de toute logique.
Bien heureusement dans d’autres cas cela joue en faveur de Blood Diner, comme le tout dernier quart d’heure, simplement incroyable. On y voit Sheetar ressusciter sous la forme d’un monstre à dents proéminentes et possédant une bouche/vagin sur le ventre, laquelle extermine le public d’un night-club à coups d’éclairs. Pendant ce temps, les Namtut ont drogué le public afin qu’ils se nourrissent de la chair humaine qu’ils ont apportés (le fameux Blood Buffet), et ceux-ci deviennent des zombies verdâtres s’attaquant à tout ce qui bouge.
Bref, c’est le chaos le plus complet et si vous êtes habitués à des films comme Toxic Avenger Part 2, Poultrygeist ou Terror Firmer, vous y trouverez certainement votre compte. Les autres risques d’être un peu dépassé par les évènements…

 

 

C’est presque un miracle si l’on retrouve de véritables hommages à H.G. Lewis dans tout ça. Il est évident que le scénariste voulait respecter Blood Feast, comme le prouve certains éléments (le livre de Ramses, qui aurait pensé à ramener ça dans son script, sincèrement ?), et ainsi peut-on retrouver le temps d’une scène les héros de l’original (sous un autre nom et joués par d’autres acteurs), leur propre fille étant désormais la cible des neveux d’Anwar. Un gag véritablement drôle montre justement la maman, toujours aussi naïve qu’en 1963, hurler d’effroi aussitôt que le nom de l’assassin est prononcé.
Un flashback qui devait certainement contenir des images de Blood Feast a été remplacé par une série d’extraits de Roughies, ce qui est certes très différent mais convient totalement puisque le Parrain du Gore en était là avant de taper dans le sanglant. Enfin la scène où la police retrouvait un cadavre sur la plage est rejouée l’identique et à la réplique près, sans rajouts ni exagération de la part des acteurs, et le résultat est tout simplement à mourir de rire.
C’est sans doute cette volonté de marcher dans les traces de H.G. Lewis, reprendre son humour noir et son goût du bizarre, qui sauve Blood Diner au final. Car fou, le film l’est peut-être un peu trop, mais il affiche une bonne humeur communicative et tente de se montrer le moins conventionnelle possible, exactement comme le faisait le Parrain pour se démarquer des autres dans les Sixties.
Il va sans dire que le résultat ne sera pas au goût de tout le monde, on peut même dire que la mixture ne prend pas tout à fait, ou que le plat n’est finalement que du réchauffé, mais ce faux Blood Feast 2 aura au moins essayé d’être différent sur la forme tout en demeurant similaire sur le fond, ce qui est déjà admirable en soit.

 

 

Blood Feast 2 était de toute manière une mission impossible, puisque l’on ne peut réitérer la magie du premier opus. L’équipe est différente, les temps sont différents, le Gore est devenu extrêmement commun et célébré plus que jamais à cette époque, et le délire assumé est loin d’être original puisqu’on le retrouve à l’identique dans d’autres productions comme la Troma. A partir de là, il faut pouvoir juger Blood Diner sur ce qu’il est: une célébration du n’importe quoi et du provoquant, et ne même pas chercher à le percevoir comme un “film” (car il n’y a ni enjeux, ni personnages et que l’humour voulu par les responsables font qu’on se trouve dans un monde où rien n’a d’importance, comme le prouve cette scène où les témoins d’un accident mortel éclatent de rire avant qu’un ami de la victime lui demande machinalement s’il va bien, alors que son crâne vient d’éclater).
Essayez simplement de vous déconnecter de la réalité et de vous laisser porter… Parce que sinon, bon courage !

 

 

 

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