Black Christmas
(1974)
Oeuvre légendaire s’il en est, Black Christmas est l’un de ces proto-slashers qui, comme La Baie Sanglante et quelques autres, a pavé la voie vers l’un des genres les plus emblématiques de l’Horreur. Celui-ci peut-être plus que les autres car son script original était assez violent, et malgré la tentative du réalisateur de calmer les choses pour jouer sur l’ambiance et le suspense, les racines d’Halloween et Vendredi 13 sautent régulièrement aux yeux entre meurtres successifs, tueur sans visage dont on épouse le point de vue et final girl terrorisée qui réplique au tisonnier. Le résultat est beaucoup plus familier que dans les vieux films de psychokiller à la Dementia 13 ou Psychose, et certains stéréotypes désormais familiers émergent ici pour l’une des toutes premières fois. Néanmoins l’histoire concerve la noirceur de son temps au point de flirter avec des sujets sacrément tordus comme l’infanticide et possiblement l’inceste, rendant les choses un peu plus sordide que les aventures modernes d’un Jason ou un Michael.
Paradoxalement Black Christmas est également très drôle, Bob Clark livrant pratiquement le pendant noir de son Christmas Stor, avec des personnages vulgaires qui ne détonneraient pas dans un Porky’s. L’intrigue se déroule durant les fêtes de Noël, dans la grande maison d’une sororité pratiquement déserte puisque la plupart des filles sont parties en vacances. Un mystérieux détraqué s’introduit dans la demeure et se cache dans le grenier, effrayant les résidentes avec des appels obscènes qui deviennent de plus en plus dérangeants avant de finalement passer à l’acte. Cachant le corps de sa première victime pour ne pas se trahir, il n’attend plus qu’une nouvelle occasion pour frapper tandis que les étudiantes, leurs parents et la police commencent à s’activer sans réaliser que la menace est juste sous leur nez. L’affaire inquiète d’autant plus Jess, qui est enceinte et veut avorter contre l’avis de son petit ami caractériel, car certaines paroles de l’assassin semblent faire écho à sa situation…
S’ensuit un jeu de cache-cache parfois un peu longuet, Black Christmas accusant d’une molesse en son milieu comme les protagonistes sont condamnés à ne jamais faire avancer les choses, et la répétition devient apparante avec les coups de téléphone réguliers, la police incompétente et la recherche frustrante d’une victime portée disparue que tout le monde se contente d’attendre sur place en espérant son retour, au lieu d’enquêter activement. D’ailleurs le simple fait que personne ne pense à fouiller le grenier juste au cas où – même durant la conclusion où la police grouille dans la bâtisse, est comiquement absurde. Heureusement cela n’affecte en rien la cruelle atmosphère qui met plus d’une fois mal à l’aise avec le comportement de “Billy”, psychopathe sur qui on ne sait rien et dont on ne verra même pas le visage. Il faut dire que ses appels sont bien plus perturbants que de simples menaces, véritable cacophonie de gémissements, pleurs et insultes qui forment une histoire.
Utilisant différentes voix, il lève le voile sur un passé dramatique qui n’est jamais vraiment expliqué mais laisse présager le pire. On comprend qu’un dénommé Billy, considéré comme malade par ses parents, a été laissé seul avec sa toute petite sœur Agnes. Le garçon s’est clairement rendu coupable d’un acte atroce qu’il a ensuite voulu cacher, probablement en tuant la gamine, avant de fuir quand la famille a réalisée ce qui s’est passé. Deux incidents possiblement en lien avec cet événement sont le viol d’une jeune fille sur le campus et la disparition d’une ado de 13 ans, dont le corps est retrouvé dans un parc au cours du film, mais la vérité n’est jamais dévoilée. Pas plus que l’identité véritable de Billy, visiblement traumatisé par ce qu’il a fait et voyant en chaque femme qu’il croise une nouvelle Agnes qu’il doit taire. Le génie du film réside dans le fait de livrer un faux whodunit avec un suspect un peu trop idéal pour mieux nous prendre à l’envers avec une conclusion glaçante.
De nos jours la ficelle est un peu grosse et il est évident que le compagnon de Jess est innocent, mais cette dernière image de l’héroïne, abandonnée en apparente sécurité par son entourage et se retrouvant seule et sans défense alors que le vrai coupable est toujours là, fonctionne à merveille. Une réussite qui se retrouve dans la mise en scène avec pas mal d’images fortes comme cet unique œil à deux couleurs qui scrupte Jess depuis les ténèbres ou ce cadavre installé sur un fauteuil à bascule, la tête couvert d’un sac en plastique et le visage figé avec la bouche grande ouverte, un bébé en plastique dans les bras. Les séquences en vue subjective sont plus impressionnantes que celle d’Halloween et Vendredi 13 comme le caméraman doit escalader un mur ou utiliser ses deux mains lors d’une crise d’hystérie, et les meurtres sont plutôt vicieux même s’ils se déroulent hors-champ: fille poignardée à répétition par la corne d’une licorne de verre, curieuse pendue par un crochet planté dans le visage…
A cela se rajoute quelques passages inspirés, comme ce père à la recherche de sa fille disparue qui participe à une battue et soupire de soulagement en découvrant le corps d’une autre, pour aussitôt se sentir coupable lorsque débarque la maman de cette victime, et le côté très Chat Noir d’Edgar Poe avec ce matou enfermé dans la même pièce qu’un cadavre, que quelqu’un entend miauler sans parvenir à le localiser. Difficile de croire que Bob Clark ait choisi d’injecter de l’humour potache dans tout ça, entre une Margot Kidder ivre du début à la fin, cette vieille bique de gérante qui cache des flasques partout pour boire en cachette, jusque dans la chasse d’eau des toilettes, et la déco de la maison qui étale posters érotiques et photos de grand-mères faisant des doigts d’honneur (!). Un faux Père Noël déçu de sa soirée balance les pires insultes alors que des gamins sautent sur ses genoux, et dans un registre moins volontaire certaines vulgarité de Billy prêtent à sourire tant elles sont poussives (“Suck my juicy cock”).
Il y aussi ce procédé ultra ringard de la police pour localiser l’assassin en traçant ses coups de téléphone, la technologie d’époque étant dépourvue d’ordinateur. Un type doit ainsi courir à travers une usine entière de calculateurs géants pour suivre – littéralement – la provenance des appels, devant trouver son chemin en vitesse avant qu’il ne raccroche. Black Christmas n’est plus tout jeune c’est sûr, mais il bénéficie toutefois d’un casting remarquable pour son temps: Olivia Hussey (Roméo et Juliette), Margot Kidder (Superman), Art Hindle (Chromosome 3) et John Saxon dans un rôle de flic similaire à celui qu’il tient dans Les Griffes de la Nuit. Pas étonnant que le film soit devenu culte, jouissant d’une grande réputation et d’un long héritage parfois discutable mais intéressant, entre cette légende qui veut que Halloween fut tiré de l’idée que le réalisateur avait pour une suite, les tueurs adeptes du téléphone de Scream et le possible hommage de Silent Night, Deadly Night qui nomma son tueur Billy.
Il s’agit peut-être d’une coïncidence, mais elle serait d’autant plus forte qu’un des titres alternatifs du film était Silent Night, Evil Night. Et dans le même registre il faut noter que le scénario fut inspiré d’un triste fait divers s’étant déroulé à Montreal, où un garçon de 14 ans attaqua sa famille à coups de batte et tua sa mère au sein de son propre foyer. Un fais-divers qui fait écho à un autre puisque dans un triste cas de “life imitate art”, Black Christmas fut déprogrammé de la télévision quelques années plus tard lorsqu’un autre psychopathe pénétra dans une sororité pour tuer quelques étudiantes avant de fuir. Un salopard qui n’était autre que Ted Bundy. Forcément les deux remakes qui suivirent après ça, aussi mauvais soient-ils, sont un bien moindre mal en comparaison….
Bonjour Adrien
ahlala, désolé pour mon silence, j’avais pas mis ton site en favori et j’ai effacé tout mon historique.. j’ai eu du mal à retrouver ton excellent site..
Black Christmas, je l’avais acheté en première édition spécial fnac.. soit disant qu’on la trouvait que là.. il y a quelques années.
Lire ta chronique me donne envie de revoir le film. J’avais trouvé son ambiance pesante. Je me souviens de la fin du film qui m’avait bien déçu. Mais je trouve le film très bon, j’ai refusé de voir les remakes/suites. Il y en a deux il me semble ? je sais plus.
Bonne fin d’année à toi
Aucun problème et merci d’être revenu surtout, ça fait plaisir d’avoir des réguliers !
Content aussi si l’article te donne envie de revoir le film, j’avais peur de ne faire que redire ce que tout le monde a déjà dit milles fois. Il y a effectivement deux remakes, un plutôt classique qui explique en grands détails les origines du tueur, et un « in name only » totalement woke et misandre qui n’a aucun lien avec l’original. Je devais en parler ce mois-ci avec quelques autres trucs mais j’ai été distrait par la vie quotidienne et j’ai un peu abandonné le spécial Noël de cette année.
J’ai honte de l’avouer, mais je n’ai jamais vu le film (va falloir rectifier ça bientôt…). Les deux « remakes par-contre »… J’ignore lequel je déteste le plus.
Oh le tout dernier est clairement le pire. L’autre est juste très con et inutile.