Army of Darkness
Movie Adaptation
(1992-1993)
A voir L’Armée des Ténèbres aujourd’hui, on oublierait facilement à quel point Bruce Campbell et Sam Raimi comptait sur ce film pour faire avancer leurs carrières. La Universal aussi comptait dessus pour se faire une montagne de dollars, demandant au réalisateur de supprimer toute violence pour rendre cette suite plus accessible, et même de changer le titre pour effacer toutes référence aux Evil Dead précédents dont la réputation aurait pu nuir au nombre d’entrées en salle. Une mentalité qui fini par causer leur propre ruine puisqu’ils parasitèrent le montage, mutilant salement l’oeuvre dans l’espoir d’en faire quelque chose de “présentable” selon leurs critères. Inutile de dire que les exécutifs planchèrent également sur l’opération marketing, et quelqu’un proposa l’idée alors commune de créer une adaptation comic-book afin d’attirer quelques regards supplémentaires sur le produit. C’est Dark Horse qui fut l’heureux élu, l’éditeur étant principalement connu pour ses titres à licences (Aliens, Predator, Terminator), et la bande-dessinée se retrouva en rayon peu avant la sortie cinéma pour faire sa publicité.
De nos jours il est permis de se demander de quelle version du film elle s’inspire puisqu’il existe un tas de montages plus ou moins officiels à travers le monde: version américaine, européenne, cinéma, director’s cut, censurée, sans parler de la célèbre fin alternative. Selon les crédits, aucune d’entre-elles: c’est le script original qui fut utilisé, et seuls Sam Raimi et son frère sont inscrit comme scénariste. En réalité, c’est une tambouille étrange mélangeant un peu de tout, sans doute établie à partir d’une workprint puisque figurent ou manquent des scènes de plusieurs moutures. Les graphismes trahissent également un recopiage direct des images du film, preuve que l’illustrateur a bossé avec au moins une copie visuelle. Enfin il n’y a qu’à lire la narration de Ash, rajout grossier et inutile dont le style tranche avec celui du film, pour comprendre que quelqu’un d’autre s’est chargé du travail d’adaptation.
Peut-être un employé anonyme, peut-être le dessinateur lui-même, crédité en page mais ce qui semble peu probable tant les boites de dialogues inutiles viennent saccager ses magnifiques peintures. Car l’artiste n’est autre que le légendaire John Bolton, maestro du pinceau et de l’horreur ayant directement collaboré avec Clive Barker sur quelques livres et qui a réalisé la superbe affiche de Monster Club ainsi que son adaptation comic-book méconnue. L’homme aime d’ailleurs beaucoup les Evil Dead et ne le cache pas ici, ramenant le gore manquant au film et transformant les squelettes inoffensifs en morts-vivants dégoulinants tout droit sorti du Retour des Morts-Vivants. Car si ce Army of Darkness version papier raconte exactement la même histoire que son modèle, le ton y est radicalement différent et il est clair que l’illustrateur cherche à raccrocher les wagons avec les deux premiers films. Ses monstres sont terrifiants, les morts plus violentes, l’ambiance dépressive à souhait et tout le monde est d’un sérieux mortuaire.
En fait la seule touche d’humour provient des expressions faciales de Ash, Bolton peignant avec une exactitude réaliste impressionnante (au point que certaines cases semblent juste être des captures d’écran avec un filtre Photoshop). Il y injecte un peu de fan service aussi, avec quelques références directe à Evil Dead 2 (l’apparence du Necronomicon, le passage du héros dans le vortex, la présence de deux Deadites aîlées, celle de L’Armée des Ténèbres et celle de la fin d’Evil Dead 2) et un peu de nudité quand Evil Ash arrache les vêtements de Sheila, ses seins étant ici visible. Cela donne un bref aperçu de ce qu’aurait donné ce troisième opus sans les rajouts comiques, proche de ce que devait être le projet original (du temps où il s’appelait encore… Evil Dead 2 !) et il y a de quoi regretter que l’artiste n’ait pas combiné les trois films en une sorte de gros graphic novel de cette façon. Cependant il y a un gros “mais”.
Car si tout ce qui touche à l’image est impeccable et mérite le coup d’oeil, le scénario part dans la direction opposée en gardant l’humour élephantesque du film, et plus encore ! Si les dialogues sont souvent repris tel quel avec juste quelques répliques parfois déplacées à d’autres moments, l’écrivain décida de garder la narration de Ash entendue au début du long métrage durant toute l’histoire ! Et sa vision du protagoniste est encore plus caricaturale que celle de ses créateurs, préfigurant un peu ce qu’il va devenir dans la série Ash vs. The Evil Dead. Il s’y plaint encore plus, avoue se chier dessus à une ou deux occasion, dit clairement n’avoir rien à foutre de Sheila même après son enlèvement ou sa mort apparente, pense plusieurs fois fuir durant la bataille finale et se donne les excuses les plus lamentables, au point d’insulter quiconque le jugerait sur ses décisions (à savoir le lecteur, qu’il traite de régulièrement de “rich kid”). Et puis bonjours les répliques: “He pulled a Jean Claude Van Damme on me » dit-il lorsque son double maléfique lui file un coup de pied. « It was tryin’ to squeeze a little cider outta my Adam’s apple” explique t-il quand une sorcière le strangule. Rien mauvais à ça bien au contraire, et retranscrit au cinéma, cela aurait rendu L’Armée des Ténèbres encore plus sarcastique et anti-héroïque qu’il ne l’est… Seulement cela contredit complètement la vision John Bolton et fini par créer une lecture totalement schyzophrène.
Imaginez simplement revoir le premier Evil Dead tout en rajoutant les blagues du troisème opus durant les scènes sérieuses comme le viol de Cheryl ou l’enterrement de Linda. Voilà qui rend la BD unique au moins, et permet de revoir le film sous deux angles nouveaux et totalement différent. Les curieux s’amuseront aussi de voir ce qui a été rajouté ou enlevé (la fin post-apocalyptique est préservée mais sans le prologue qui lui correspond, la scène des mini Ash est écourtée; aucun flashbacks à S-Mart mais des tonnes de références via narration, Ash demande à Henry de les aider dans le dernier acte et son arrivée concorde ici avec la destruction de Evil Ash, fusionnant en quelques sortes les version EU et US) ainsi que les changements spécifiques (il y a de nombreux zombies dans le puit, la sorcière à la marmite brûle vive avant de se métamorphoser et écrase un soldat en bousculant de lourdes colonnes de pierres, Ash dit venir de Detroit et avoir étudié l’ingenierie pour expliquer la construction de sa nouvelle main). Mais ce que l’on retiendra vraiment sont les incroyables illustrations conférant au tout un esprit dark fantasy parfois épique, un peu comme une version cauchemardesque de Conan ou, pour rester dans un esprit décalé, de Musclor.
Désormais épuisé, Army of Darkness connait une nouvelle vie chez Dynamite Entertainment, qui détient la licence L’Armée des Ténèbres et l’a republié sous le titre de Army of Darkness: Movie Adaptation afin de qu’on ne le confonde pas avec sa série régulière du même nom. Quant à John Bolton il revint à l’univers Evil Dead en 2008 pour une adaptation du premier film, toujours chez Dark Horse, mais avec hélas un style plus moderne et digital moins impressionnant. Quant à Ash, il lui fallu attendre presque dix ans pour le voir revenir sous forme de bande-dessinées avec la longue saga publiée chez Dynamite, qui lui fit rencontrer entres autres Darkman, Freddy et Jason, Herbert West, Vampirella, et même l’univers Marvel tout entier et zombifié. L’attente en valait plutôt la peine.
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