Jason vs. Leatherface (1995)

 

Jason vs. Leatherface

(1995)

 

 

Dans les années 90, la compagnie Topps, particulièrement connue pour ses cartes à collectionner, possédait une division dans l’édition comic-book. Elle fut par exemple à l’origine de la série Cadillacs and Dinosaurs, mais elle était surtout spécialisée dans les titres à licences avec des publications basées sur X-Files, Jurassic Park ou encore Hercules et Xena. En 1993, Topps Comics sort une adaptation de Jason va en Enfer pour promouvoir le film puis emprunte le personnage pour l’un de leurs titres originaux, Satan’s Six, en guise de clin d’œil.
De leur côté, les cannibales texans ont également connus une déclinaison papier avec l’adaptation de Leatherface en 1991, chez un tout petit label (Arpad Publishing).
Les deux franchises devront attendre pas mal de temps avant de retrouver une place dans l’industrie de la bande-dessinée, ce qui arrivera en 2005 chez Avatar Press, mais avant ça elles ont pu se croiser au sein de cet improbable crossover qui tient du rêve de fan.

 

 

L’idée de confronter deux grandes figures du cinéma d’Horreur n’a rien de nouveau, et dans ce cas précis il y à fort à parier que c’est le projet Freddy vs. Jason qui en est à l’origine. D’autant plus que celui-ci était encore extrêmement frais dans toutes les têtes à cause du clin d’œil final de Jason va en Enfer, justement repris dans l’adaptation de Topps Comics.
Maintenant, le choix de Leatherface comme adversaire pour Jason peut sembler assez étrange puisque les personnages sont plutôt éloignés l’un de l’autre à cette époque. Jason est maintenant un mort-vivant indestructible et c’est plus sa version humaine, l’homme des bois apparaissant dans les épisodes 2, 3 et 4 de la série, qui aurait mieux convenu pour mettre les personnages au même niveau. Car en l’état, le combat semble joué d’avance.
Et c’est là que Jason vs. Leatherface apparaît comme une énorme surprise. Contrairement à ce que le titre laisse sous-entendre, le récit ne traite pas vraiment d’une lutte sanglante entre les deux tueurs et c’est plutôt une véritable “bromance” qui s’installe entre eux, l’un reconnaissant chez l’autre des similarités troublantes ! C’est presque main dans la main que Jason et Leatherface parcourent les pages de ce comic-book, l’intrigue se concentrant avant tout sur la potentielle adoption du zombie de Crystal Lake par la famille Sawyer.
Un choix audacieux de la part de l’auteur, Nancy A. Collins, a qui l’on doit les livres sur la vampire Sonja Blue et qui aurait pu se contenter de bien moins original. Avec l’aide d’un certain David Imhoff, elle met au point un récit qui va portant explorer comme jamais la psyché défectueuse de Jason Voorhees et donner une raison plausible à cette étrange situation.

 

 

Son histoire se déroule à une époque non définie, mais faisant clairement suite aux évènements de Jason le Mort-Vivant (aka. Friday the 13th Part VI: Jason Lives) où celui-ci finissait prisonnier au fond d’un lac. Immortel et toujours conscient, Jason ne désespère pas se libérer un jour pour continuer son odyssée sanglante mais il ignore que ses méfaits ont eu de fâcheuses répercutions sur Crystal Lake.
Le camp d’été autour duquel il rôdait continuellement a été détruit et une usine de produits chimiques s’est construite à sa place, saccageant l’environnement avec ses rejets de déchets toxiques. Lorsque la compagnie responsable est contrainte de délocaliser l’entreprise à cause de leurs actions, les eaux polluées du lac sont alors stockées pour être expédiées au Mexique. A l’insu de tous, Jason est aspiré dans le container et il ne lui faut pas longtemps pour s’en extraire.
Massacrant le personnel du convoi, le mort-vivant provoque un accident et se retrouve relâché dans la nature… En plein Texas. Son errance l’amène à Sawyerville, où il croise le chemin de deux autres tueurs: l’Autostoppeur et Leatherface, des frères cannibales en pleine chasse.
Mais alors que les Texans s’attaquent à Jason, celui-ci perçoit quelque chose de familier en la personne de Leatherface et préfère gagner leur confiance en tuant une victime innocente de passage. Surpris, les deux frangins pensent alors avoir affaire à un confrère anthropophage et le ramène chez eux pour fêter ça…

 

 

Si le point de départ est un peu tiré par les cheveux, avec son excuse grossière pour transporter Jason hors de son habitat naturel, il est amusant de voir a quel point le scénario balaye d’entrée de jeu sa promesse (Jason contre Leatherface) pour prendre une direction différente.
Le “combat” est expédié en quelques cases, affichant – et à raison – Jason Voorhees vainqueur. Sa force surnaturelle lui permet de désarmer son adversaire mais sa réaction suivante est tout à fait inattendue puisqu’il ramasse la tronçonneuse et la rend respectueusement à Leatherface. Impensable, car Jason n’a toujours été qu’une machine à tuée incapable de raisonnement ! Et pourtant le récit met un point d’honneur à nous projeter dans sa tête. Celui-ci est tout aussi perdu que nous, se découvrant des émotions étrangères qui l’affectent suffisamment pour modifier son comportement. Incertain de la manière dont il doit réagir, Jason observe et écoute alors que la famille Sawyer se présente à lui…
Les raisons de ce trouble ne sont jamais pleinement dévoilée, mais il est fortement suggérer que cela est dû au changement d’environnement, comme si la connexion entre Jason et le lac de Crystal Lake était physique. Privé de ce repère, le personnage n’est plus tout à fait le même et commence à évoluer différemment, faire des choix différents et progressivement se transforme en un autre Jason.
Certain pourrait crier à la trahison puisque le mort-vivant réagit en totale contradiction avec sa version cinéma (d’autant que Jason Takes Manhattan, qui transposait également Jason hors de son terrain familier, ne laissait entrevoir aucun changement), mais ce serait une erreur.

 

 

Tout l’intérêt de Jason vs. Leatherface réside justement dans ce rôle passif qui lui est attribué, en opposition totale avec l’attitude exubérante des Sawyer. Leurs actions intriguent Jason et des liens se crées, en particulier avec Leatherface puisque les deux personnages ont beaucoup en commun. Le masque tout d’abord, cachant chez l’un comme l’autre une difformité qui est certainement à l’origine de leur folie et dont ils ont honte, mais aussi la maltraitance. Brutalisé par son frère, le cannibale évoque à Jason des souvenirs de son enfance, lorsqu’il était lui aussi une victime…
Tout le principe du récit repose donc sur ces observations et le flot d’émotions qu’emmagasine Jason au contact des Sawyer, jusqu’au point de saturation qui arrivera bien entendu au final. Ces interactions sont généralement très drôle, comme lorsque The Cook fait part de son rêve d’ouvrir un restaurant de grande cuisine, mais elles sont surtout étrangement poétique à leur manière, à la manière de cette scène où Jason explore le grenier et découvre le grand-père au chevet de son épouse décédée depuis des années. Des tranches de vie inattendues qui humanisent carrément nos monstres de héros au point de nous faire presque oublier leur nature maléfique, et espérer qu’ils puissent trouver la paix !
Il faut voir The Cook confesser avoir fait la promesse de s’occuper de ses frères sur le lit de mort de sa sœur aînée, sacrifiant son propre avenir au passage…

 

 

La conclusion, inévitablement tragique, nous ramène finalement à la confrontation tant attendue. Quand bien même on voudrait croire jusqu’au bout que Jason et Leatherface puissent devenir frères, cela ne peux pas arriver, surtout pas avec cet électron libre qu’est The Hitch-Hiker. Celui-ci apparaît d’ailleurs comme le véritable vilain de l’histoire, le seul du lot à ne pas être humanisé d’une manière ou d’une autre. Il n’y a aucune excuse ou explication derrière ses actions et contrairement à ses paires, il aime ce qu’il fait. Il ne possède pas l’esprit d’une enfant comme Leatherface, ne fait preuve d’aucune empathie pour sa propre famille et va jusqu’à reprocher à Jason de tuer trop vite ses proies. Il avoue même à demi-mot qu’il viol les femmes qui croisent son chemin !
Sa rencontre avec Jason fait des étincelles et lorsque le premier va trop loin, le second retrouve ses vieilles habitudes. Les pulsions du tueur au masque de hockey ne pouvaient être contenues éternellement et malheureusement, lorsqu’il s’agit de protéger sa famille, Leatherface ne se fait pas prier. Ainsi a lieu le véritable affrontement du titre, Jason vs. Leatherface, patiemment construit tout le long de l’intrigue et possédant alors une sincère signification.
Jason va pourtant décliner le combat face à celui qui lui ressemble tant et le fan qui s’attendait à une vrai baston sera déçu. Mais l’importance n’est pas tellement l’affrontement mais plutôt ce qui en découle.

 

 

Et finalement, en perdant Jason, Leatherface trouve la force de tenir tête à son frère. Le choc des titans ne s’achève pas par une simple notion de score mais par une marque de respect, le cannibale choisissant de préserver l’intimité de Jason en empêchant The Hitch-Hiker de lui ôter son masque. Un geste conséquent lorsque l’on sait quelle importance ce secret à pour lui (il cache son propre visage lorsqu’il est surpris, démasqué, par Jason). De la même manière, The Cook décidera de ne pas cuisiner le mort-vivant, considérant que cela ne serait pas “bien”.
Tout se terminer par des funérailles où Jason est abandonné dans un lac voisin, Leatherface décidant de lui remettre sa machette en supposant qu’elle lui est spéciale (comme pour lui et sa tronçonneuse). Une manière de ramener le “vrai” Jason, son caractère naturel revenant aussitôt qu’il retrouve un environnement familier, et de fermer cette curieuse parenthèse dans son existence…
Rarement un crossover de type “versus” ne sera allé aussi loin dans l’étude de ces personnages. Jason vs. Leatherface transcende son concept pour lui donner corps, logique et même une dimension tragique comme on en croisait à l’époque des monstres “classiques” (Dracula, Frankenstein, etc).

 

 

Mais que le fan des franchises débridées soit rassuré, le comic-book évite de se prendre trop au sérieux et affiche aussi le même type d’humour fantasques que les films dont il s’inspire (les couvertures n’indiquent-elles pas “suggested for demented readers” ?).
La famille Sawyer boit du Kool-Aid pour accompagner leurs plats, Jason se montre impitoyable au point de trancher en deux le pauvre chien qui s’attaque à sa jambe et les créations de l’Autostoppeur, divers objets constitués d’ossements et de cadavres, sont dignes de Massacre à la Tronçonneuse 2.
De manière amusante on peut remarquer que le Crystal Lake a été localisé tout au nord des États-Unis, dans l’état du Vermont, comme pour bien marquer la différence avec le sud du Texas, et quelques clins d’œil aux deux séries sont disséminés ici et là: The Hitch-Hiker se lacère la main comme dans le premier film, la disparition d’Elias Voorhees (le mystérieux père de Jason, jamais vu dans les films) est éclaircie et le véritable nom de The Cook nous est donné comme étant “W.E.”, ce qui donne tout de suite plus de sens à l’intro de Massacre à la Tronçonneuse III.
Relevons tout de même de petites erreurs, comme le fait que la mère de Jason se nomme ici Doris ou que la grand-mère Sawyer (la version géante aperçue dans Massacre à la Tronçonneuse 2) est appelée Tante Amelia, mais il s’agit de détails minimes sans importance.

 

 

Réussite absolue et, à vrai dire, rarement égalée dans le registre des comics horrifiques, Jason vs. Leatherface vaut beaucoup plus qu’il ne le laisse paraitre et s’affiche comme l’une des approches les plus original des deux sagas.
Nancy Collins met à profit ses quelques années passées sur l’excellente série The Swamp Thing qu’elle recycle ici à travers Jason (son rapport au lac, la manière dont il influence ses actions et ses pensées, tout comme le marais est indispensable au personnage de Alec Holland) et le graphisme de Jeff Butler convient parfaitement au sujet, bien qu’un peu perfectible par moment (les visages humain paraissent parfois trop semblables). Quant aux superbes couvertures de Simon Bisley, très dynamiques, elles évoquent fortement le célèbre magasine Heavy Metal et contribuent au charme de cette bande-dessinée.

 

   

Un hommage bien particulier au tableau “Freedom From Want”, de Norman Rockwell

 

       

 

Deux textes traitant du cinéma d’Horreur ont été intégré aux premiers numéros de Jason vs. Leatherface. Le premier, signé C. Dean Andersson (un obscure romancier horrifique, peut-être un confrère de Nancy Collins) s’intitule Halloween Chainsaw Hockey et se rapporte au tueurs des séries Halloween, Vendredi 13 et Massacre à la Tronçonneuse. En tout honnêteté, l’article est quasiment incompréhensible et se contente n’affiche que les divagations de l’auteur sur les origines des trois personnages et les problèmes de continuité entre les films, sans aucune structuration. Andersson cite quelques anecdotes, se pose la question sur ce qui nous fascine dans la violence au cinéma et parle de ses films d’horreurs préférés. Et c’est tout. La seule chose amusante est sa demande qu’un comic-book soit créé pour faire le pont entre Jason Takes Manhattan et Jason va en Enfer. Nettement plus intéressant, Keep Telling Yourself “it’s only a movie… (écrit par Ric Meyers, rédacteur chez Fangoria) établit une courte mais intéressante rétrospective du cinéma d’Horreur depuis les classiques de la Universal jusqu’aux succès de l’époque (Le Silence des Agneaux et Seven), en passant par l’Âge Atomique des années 50 et la période gore de Herschell Gordon Lewis. Mais ces deux chroniques sont tout à fait dispensables et ne devraient pas retenir l’attention du lecteur.

 

Et pour ceux qui ont la flemme de tout lire, il existe une version vidéo de cette chronique que vous pouvez retrouver >ici<

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