Voodoo / Zealot: Skin Trade (1995)

 

Voodoo / Zealot: Skin Trade

(1995)

 

 

Voici en quelque sorte le représentant parfait du comic-book “Extrême” des 90s. Produit conjointement par Image Comics et son label / compagnie-sœur WildStorm, Skin Trade est un one-shot centré sur les deux héroïnes du groupe WildC.A.T.s: Voodoo, une ex-stripteaseuse dotée de gènes extraterrestres et de pouvoirs mentaux, et Zealot, sorte de version ultra-violente et asociale de Wonder Woman. Ce type de publication est ultra commun dans l’industrie des super-héros puisque permettant d’offrir à un personnage ou une équipe une petite aventure contenue et déconnectée de leur série principale. Une manière de créer une histoire ne nécessitant pas de suivre régulièrement les publications mois après mois pour être comprise, aidant ainsi le nouveau lecteur à se familiariser avec les concepts et protagonistes, ou faisant pour un bouquin divertissant ne demandant pas une lecture approfondie.
Généralement les enjeux ont tendance à être clair et simple, et avoir un nombre restreint de situations et / ou de personnages, puisque la publication tient sur un volume unique, contrairement à une mini-série pouvant s’étendre de trois à dix numéros selon ses besoins. Bref, tout ça pour dire que, à moins d’un problème relatif au scénario, il est difficile de rater la conception d’un one-shot. Et non seulement Skin Trade se plante sur les deux tableaux, mais il se trouve également être une bizarrerie éditoriale des plus étonnantes.

 

 

Voyez plutôt: alors que la présente intrigue est directement liée à une autre revue publiée quelques années auparavant (WildC.A.T.s Special #1, en 1993) et qui introduit notamment Destine et Providence, les deux antagonistes que l’on retrouve ici, il est également fait mention d’un autre livre qui lui n’a jamais vu le jour ! Et ce n’est pas un petit détail vite oubliable puisque une révélation importante de l’histoire racontée ici est censée être expliquée dans ce WildC.A.T.s: Ground Zero qui n’existe pas ! C’est un peu le soucis des comics du genre que de vouloir connecter trop de storyline entres-elles, les intrigues perdant du coup en indépendance. Mais généralement les éditeurs font en sorte que ces rappels soient résumés ou retraçable ! C’est même tout l’intérêt de la chose puisque cela est censé “obliger” les lecteurs à acheter une autre revue pour avoir une meilleure compréhension de l’ensemble.
Mais croyez-le ou non, ceci est l’un des moindres problèmes de Skin Trade. Car si la chose est théoriquement réalisée par un simple tandem, à savoir le scénariste Steven T. Seagle (le créateur de Ben 10) et le dessinateur Michael Lopez (un spécialiste de la Pin-up et des Swimsuit Specials que l’on retrouvait partout à l’époque), il faut aussi compter sur la participation de deux coloristes, plus le studio de colorisation digitale alors ultra moderne, encore deux personnes au lettrage (?) et surtout pas moins de huit encreurs différents sur l’ensemble de la publication !

 

 

Résultat, le titre n’a aucune tenue et se montre complètement différent d’une page à l’autre. Il apparait d’ailleurs clair que, sur la fin, l’illustrateur lui-même fut remplacé pour quelques planches dont le style est radicalement différent du sien. Du coup les personnages n’ont pas toujours la même couleurs de cheveux ou de vêtements, j’ai compté un oubli de colorisation (une brune se retrouve avec des cheveux blanc le temps d’une apparition) et les costumes des héroïnes et de leurs ennemis changent régulièrement d’apparences – parfois même entre deux cases !
Il manque des lettres sur certains mots, des bulles ne sont pas attribuées aux bonnes personnes, et bien vite on réalise que Skin Trade a été assemblé comme un espèce de monstre de Frankenstein de la BD: différentes équipes furent visiblement en charge de différentes pages, dans le désordre et sans possibilité de communication pour établir une quelconque continuité. Voilà grossièrement une sorte de cadavre exquis, probablement conçu ainsi volontairement par l’éditeur pour permettre de le finaliser plus rapidement, et la page des crédits a le culot de nous faire croire qu’il y a eu un rédacteur en chef sur ce projet ! En un mot, ce one-shot est un véritable désastre. Un bordel sans nom où ni les graphismes, ni même le ton de l’histoire ne s’accordent. Et l’histoire racontée en pâtit forcément, devenant presque anecdotique face à tant d’incompétence.

 

 

D’un côté l’intrigue nous présente un pays déchiré par une guerre civile réaliste, avec des viols, des exécutions, de la torture et du trafic d’enfants. De l’autre nos héroïnes passent leur temps en petites tenues et prennent la pose comme des top modèles parce que Lopez, ou je ne sais quel remplaçant anonyme, aura voulu utiliser des photos de charme comme références anatomiques ! La toute dernière case montre ouvertement que la demoiselle utilisée pour représenter Zealot était nue, se couvrant le sexe d’une main. Et la guerrière d’être ainsi reproduite tandis qu’elle porte un maillot de bain, ce qui rend son geste incompréhensible. Comme le disent les américains: WHAT THE FUCK ?!
En résulte l’étrange impression de lire une version comic-book d’un film de Andy Sidaris, genre Hard Ticket to Hawai ou Savage Beach, mais avec des éclats d’horreurs véritables ne convenant pas du tout à l’esprit Série B qui en découle. Qui plus est, Skin Trade s’ouvre et se conclu sur des citations littéraires à propos de la guerre, comme pour donner de la profondeur au scénario. Si vous vouliez une parodie des réflexions “philosophique” de Hideo Kojima dans ses Metal Gear Solid, cette BD est faite pour vous…

 

 

Ça commençait pourtant bien avec une plongée dans l’enfer qui ravage la Yurgovia, pays fictif où règne Destine, une ancienne sœur d’armes de Zealot. L’introduction nous présente la véritable héroïne de toute cette affaire, celle qu’il aurait sans doute été préférable de suivre tant il y avait du potentiel pour une histoire poignante: Cathy Gregory, une humanitaire qui œuvre seule et cherche à sauver le plus d’enfants possible. Elle récupère des orphelins et les fait sortir du pays illégalement, mais attire sur elle l’attention de la dictatrice qui compte récupérer les plus jeunes pour les former selon la tradition de la Coda (le clan de combattante d’où elle provient – pensez aux Amazones de Wonder Woman mais plus assassins que guerrières) et ainsi se créer une armée d’élite.
La sauveteuse ne s’en sort que grâce à l’intervention de Providence, qui ne se trouve pas être si méchante que ça de son côté et comprend la noblesse de sa quête. Celle-ci est à la recherche d’un artefact particulier, The Orb of Power, gadget extraterrestre d’où proviennent ses pouvoirs surhumains. Destine n’est évidemment pas disposée à se séparer de l’objet mais considère lui céder si elle l’aide à se venger des personnes responsables de sa supposée mort dans WildC.A.T.s Special #1, et plus particulièrement de Zealot.

 

 

La BD laisse une certaine ambigüité dans la raison de la présence et des actions de Providence, car si elle semble effectivement s’allier à la dictatrice, piégeant Zealot pour venir en Yurgovia, elle évoque clairement à Cathy sa mission de sauver elle-aussi des “enfants”, semblant parler de la super-héroïne. Il se pourrait donc qu’elle fasse semblant d’attirer celle-ci dans un piège, quand réellement elle l’amène sur place pour triompher de l’antagoniste et ainsi sauver… Le pays ? Les enfants kidnappés ? Zealot elle-même ? Sans doute quelque chose comme ça.
Skin Trade surprend alors son lecteur (du moins celui qui s’intéresse un minimum à WildC.A.T.s) par la manière dont elle appâte la guerrière. A l’insu de tous, celle-ci aurait eu un enfant secret dont elle aurait confiée la garde à un couple quelconque pour lui permettre une vie normale. Il serait désormais en danger, perdu quelque part dans le pays ravagé. Une surprise totale puisque jamais la série n’avait laissée sous-entendre une telle chose. Et généralement, un auteur n’a pas la permission de créer un tel chamboulement dans un simple one-shot !
La raison se trouve évidemment dans la non-existence de Ground Zero, qui devait alors expliquer comment Zealot se trouva un amant, tomba enceinte puis abandonna l’enfant qui grandit pour devenir membre de Stormwatch, une organisation importante dans cet univers (une sorte de S.H.I.E.L.D. avec des cyborgs et des super-humains).

 

 

La maman est concernée par le sort de son rejeton et prend alors quelques vacances de son job de super-héroïne pour se rendre sur place. Malheureusement Emp, son chef, décide de lui coller Voodoo dans les pattes afin de consolider leur relation plutôt tendue. En effet la combattante tente de former sa partenaire dans les arts de la Coda, mais celle-ci n’est pas bonne élève et commet quelques erreurs qui pourraient s’avérer dangereuses sur le terrain. La tension qui s’installe fini par pourrir la vie de l’équipe et les voilà contraintes de se “détendre” ensemble afin de régler leurs différents.
Elle emmène sa disciple sur une île paradisiaque et espère l’y abandonner, prenant le large en toute discrétion. L’autre finira par la suivre et le duo sera forcé de faire équipe pour survivre dans l’enfer de Yurgovia et mener à bien leur mission. L’idée étant bien sûr de montrer les deux femmes travailler de concert et surpasser leurs désaccords: la dernière réplique montre évidemment Zealot considérer Voodoo comme une “sœur” sur qui elle peut compter. C’est basique, mais cela aurait pu être intéressant si le livre avait été bon. Car au final le scénariste ne donne jamais vraiment l’occasion aux personnages de créer un véritable lien, et toute cette sous-intrigue semble inutile ou perdue dans le déluge d’erreurs et de stupidité composant Skin Trade.

 

 

Que reste-t-il de divertissant pour le lecteur ? Quelques scènes d’action salement dessinées mais amusantes dans l’idée, puisque gardant ce style Extrême si exagéré: les combats sont généralement gore et n’hésitent pas à montrer des crânes perforés ou des dents qui volent en éclats sous les balles. Zealot égorge un violeur pour lui faire émettre un son étranglé, lui rappelant que son pays était autrefois plus connu pour son opéra que ses violences. Et lorsque la guerrière retrouve Devine, elle lui tire à bout portant avec un tank ! Cela va parfois presque trop loin lorsque Voodoo, gagnant un combat contre la protégée de la dictatrice, achève son adversaire pourtant hors d’état de nuire en lui broyant la tête avec un rocher !
Une séquence à la Sidaris montre une reprise sexy de cette scène de Die Hard où John MClane cache un pistolet dans son dos (ici une héroïne en bikini prenant une pose séductrice), et un simulateur de combat volé à la Salle des Dangers des X-Men permet de faire apparaître un T-Rex et d’habiller les héroïnes en tenues légères façon Red Sonja.
Au final le seul personnage à se montrer réellement héroïque est cette pauvre Cathy, qui n’hésite pas à protéger les enfants en les poussant hors du chemin d’un tank au risque de se faire écraser elle-même.

 

 

Hélas il faut faire avec le chaos des illustrations et l’absence de toutes notions géographiques. On ne sait jamais où se tiennent les personnages ni d’où proviennent les éléments avec lesquels ils interagissent. C’est presque comme s’il manquait parfois une page entière entre deux cases ! Des séquences semblent également inachevées, comme lorsque Voodoo et Zealot retrouvent un homme qui a été torturé et demande la mort. L’une accepte, l’autre refuse, et la finalité de cette scène est finalement ignorée au profit d’une nouvelle scène d’action…
Enfin il convient d’évoquer la “révélation” finale où il apparait qu’aucun des enfants de Yurgovia n’est celui de la guerrière de la Coda. Pour autant Providence ne mentait pas, car bien vite une équipe des Nation Unies débarque pour sauver les survivants et il est fortement sous-entendu que Winter, membre de Stormwatch aux cheveux blancs, serait son fils. Une idée morte-née sur laquelle personne ne reviendra jamais, et il y a désormais quelque chose d’amusant tant jamais la mère ne montrera le moindre signe d’intérêt ou d’inquiétude pour cette progéniture potentielle: trois ans plus tard, celui-ci et toute son équipe seront décimés par les Xénomorphes de Aliens dans un crossover écrit par Warren Ellis (chroniqué ici-même) et pas une seule fois Zealot ne réagira à la nouvelle.

En fait la série principale ira jusqu’à recycler le concept de façon beaucoup plus intéressante, puisqu’il apparait que c’est sa propre petite sœur, Savant, qui s’avérera être son enfant, a qui elle a toujours cachée la vérité afin de la protéger de leurs ennemis.
Voodoo / Zealot: Skin Trade se montre donc tout aussi inutile qu’il est moche, stupide et mal foutu. Et malgré ça il trouvera le moyen de produire une sorte de spin-off méconnu, une histoire courte baptisée Voodoo: Skin Game et publiée dans le magazine Overstreet’s Fan #3 le même mois. Une petite BD promotionnelle servant surtout à remplir les pages cette revue spécialisée, et visiblement sans aucun lien avec le one-shot malgré un titre similaire et la présence d’une de ses héroïnes. La coïncidence est cependant trop grosse pour être involontaire.

 

2 comments to Voodoo / Zealot: Skin Trade (1995)

  • Damien Granger Damien Granger  says:

    Ils reculaient devant rien chez Image (encore pire chez Extreme). Ca me rappelle leurs “Swimsuit Special” aussi 😉

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Effectivement hein 😉 ça visait vraiment sur le court terme et sur les appâts les plus simples. Mais faut voir que l’organisation était ingérable à cette époque. Aussi j’ai limite envie de te dire que je regrette tant il parait impossible d’avoir des boobs tout con de nos jours parce que “outrage”.

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