Resurgam, Chapitre 2

RESURGAM

 

II

 

En un éclair, j’ai l’impression de faire machine arrière. D’abord le néant, puis de vagues perceptions. Sons étouffés, sensations corporelles… Ensuite le froid, la morsure de la mort. Elle est présente dans tout mon être, et diminue progressivement jusqu’à se tapir en une petite boule dans le fin fond de mes entrailles. De mon décès, je gagne ce trophée. Une sensation minime mais belle et bien présente. Le voile devant mes yeux se lève en même temps. Du néant, je passe à une vision trouble et encore difforme. Je distingue mal, mais il me semble repérer une silhouette penchée sur moi. Un visage. C’est encore trop confus.

Maintenant on attaque la partie la plus difficile car c’est la douleur qui revient, acte nécessaire pour me forcer à me réveiller, pour me rappeler à mon appartenance au monde physique. Dans ma poitrine tout semble se tordre et se mélanger. Les organes tentent de reprendre leur place, les os se ressoudent et le sang afflux. La métamorphose fait ce qu’elle peut pour aider le processus, endiguer l’hémorragie incessante. Le liquide écarlate emplis ma bouche, mon nez. Et amenée par elle, la douleur, toujours plus puissante, plus forte. Elle navigue dans mon corps pour atteindre chacun de mes nerfs, écrasant mon cerveau. De très loin, un son sourd et guttural me parvient. Lentement, il m’apparaît comme familier. Il devient plus net, plus compréhensible. C’est un long hurlement de douleur. Ce cri que je pousse achève ma résurrection. Toute mon agonie, tous mes derniers instants ont été revécue à l’envers. Des larmes inondent mes yeux. Je suis réveillé. Je suis encore en vie.

La silhouette qui me fait face se définie plus clairement malgré la souffrance qui me brouille la vue. C’est une femme, et elle me rappelle quelqu’un. Assise sur moi, elle me fixe avec un sourire étrange. Pas un de ces sourires réconfortant que l’on aime voir, mais autre chose de plus malsain. Un rictus mauvais déforme son visage et je l’entends émettre un petit rire.

C’est à ce moment qu’un bruit de déchirure, un bruit d’organe, attire mon attention et qu’une souffrance atroce me secoue. Mes yeux se baisse vers ma poitrine et ce que je vois m’arrache quelques frissons: elle vient de plonger ses mains dans un trou béant, probablement l’œuvre de Dante. Elle lacère mes muscles, griffe mes organes, enfonce ses doigts plus profondément encore dans la blessure. Je rejette la tête en arrière et hurle de douleur. Elle n’en perd pas une miette, riant aux éclats. Mon instinct de survie me dicte d’agir immédiatement, mais je marche au ralenti. C’est avec difficulté que j’attrape ses poignets et que je la force retirer ses doigts de la plaie. Je grogne sous l’effort et elle tente de l’emporter sur moi, misant sûrement sur ma fatigue et les vagues de douleurs qui m’assomment toutes un peu plus les unes que les autres. Pourquoi ? Je la regarde et tente de chercher une raison, de comprendre…

Voyant qu’elle perd la partie, elle recourbe ses doigts histoire de m’arracher quelques morceaux de chairs supplémentaires lorsque je me soustrais à elle. Elle me fixe toujours avec cette expression de folie furieuse, rage et plaisir mêlé. Je n’ai jamais violenté une femme, mais sa détermination à me torturer me force à la repousser sans ménagement.

Elle est propulsée un peu plus loin tandis que j’use de mes dernières forces pour me reculer, ne parvenant à me redresser qu’a moitié. Assis par terre, les mains plaquées contre le trou creusé dans ma poitrine, je tente de reprendre mon souffle, de faire le point. Tout en surveillant mon agresseur du coin de l’œil j’examine la blessure en vitesse. Le flot de sang se tarit et si la plaie s’avère profonde, mon organisme régénère petit à petit. Il suffirait d’une métamorphose pour accélérer le processus mais ma condition ne me permet pas un tel effort pour l’instant. Je vais attendre un peu, souffler. Et puis il y a pire…

Je me souviens de mes derniers instants. Je me souviens que je suis mort. Dante m’avait transpercé la poitrine, mes organes avaient éclatés, il n’y avait aucune possibilité de survie du fait de ma faiblesse… N’importe quel Chaosien pourrait finir par se remettre de ce genre de dégât grâce à la métamorphose, la régénération et tous les dons innés à notre race. Mais j’ai toujours été un faible et il n’y avait aucune possibilité pour moi de m’en sortir. Je le sais. Alors comment pourrais-je avoir survécu ?

Je suppose que mon incompréhension de la situation doit me valoir de tirer une tronche de dix pieds de long, car la jeune femme se mit à rire. Un rire moqueur mais enchanté à la fois. Enchanté de se moquer. Mes yeux se lèvent vers elle et immédiatement je la reconnait. Ce n’est pas vraiment une femme mais une démone. La couleur de sa peau, ses griffes, son physique trop parfait (à part pour un Sang Réel). Impossible de se tromper. Cette jeune créature est une succube, une de ces créatures féminines se nourrissant de l’énergie vitale de leurs partenaires durant l’acte sexuel. Et celle-là je la connais bien: elle avait bien faillit me tuer il y a quelques années. Il s’en était fallu de peu pour que j’y reste. Jamais je n’aurais cru la revoir et pourtant c’est bien elle qui se dresse devant moi.

La succube me contemple un moment, apparemment ravie de me voir aussi surpris, aussi chamboulé. Un peu perdu, mon regard s’accroche à tout ce qu’il y a autour de moi. Il me faut plusieurs secondes pour identifier les lieux. Une grotte. Elle est couverte d’une étrange mousse, épaisse et phospho-luminescente, illuminant les lieux d’une douce teinte rose. Cet endroit ne m’est pas inconnu non plus… C’était là que cette succube avait voulu me tuer. Je n’y suis jamais revenu après ça. Ironiquement, je trouve cette mise en scène presque amusante. Supposé mort, je me retrouvais vivant à un endroit où on avait autrefois manqué de me tuer. Pourtant aucun sourire ne se forme sur mon visage. Appelez ça une paralysie faciale, mais je suis incapable de sourire. Incapable de ne serait-ce qu’imiter cet aspect plein de vitalité qu’est le bonheur. Est-ce parce que je suis supposé être mort ?

Un regard interrogateur un peu trop insistant à la démone fini par la faire parler. Et c’est une voix joyeuse et haineuse en même temps qui me parvint.
– Surpris, hein ? Tu te demandes comment tu peux être encore en vie ?
D’un bond gracieux elle saute sur mes genoux, s’y asseyant. Son visage s’approche du mien avec une étincelle de malice dans le regard. Des yeux pétillants d’excitation.
– Rassure-toi. Tu n’es pas sauvé pour autant.
Je la dévisage un moment avant d’ouvrir la bouche. Elle semble tellement s’amuser de la situation…
– Typhanie, qu’est-ce…
– Oh ? Tu te souviens de moi ?
Son visage se déforme de rage et je la sens sur le point de me mettre en pièce.
– Amusant ! Moi qui croyait que tu ne te rappellerais pas ! De quoi te souviens-tu encore, hmm ? De nos instants ensemble, avant que tu ne foutes toute ma vie en l’air ?!

Elle s’agrippe à moi, enfonçant ses ongles dans ma chair. Je comprends rien à ce qu’elle dit.
– A cause de toi ! Espèce d’ordure, à cause de toi !
Elle est hors d’elle et me plaque arrière. Je sens son envie de me tuer. Son regard plein de haine, sa force de démone qui met mon corps à l’épreuve. C’est la première fois que quelqu’un me déteste comme ça. Même Dante n’a jamais… Dante… Non jamais il ne m’a haïs de la sorte. Je le sais. Je le sens. Typhanie par contre, c’est autre chose. Sa rage envers moi est palpable. Qu’est-ce que je lui ai fait ? C’est parce que je ne suis pas mort pour elle ? Ce n’était même pas moi qui me suis dégagé de son emprise !

J’attrape ses poignets une nouvelle fois pour me libérer, mais j’ai du mal. Dans mon état il ne faut même pas espérer reprendre le dessus. Par contre, vu que j’ai encore un peu d’énergie pour parler, peut-être qu’il faut miser là-dessus… Pour couvrir ses hurlements et me faire entendre, je dois hausser la voix, mais ça me brûle à l’intérieur.
– Q-qu’est-ce que je t’ai fait ?!
Ça lui fait l’effet d’une baffe et elle s’arrête net. Elle se redresse et me regarde avec mépris pendant une ou deux secondes. Ça me laisse de quoi reprendre mon souffle. L’instant d’après, elle me frappe durement. Un geste simple, rapide. Sa main droite, les doigts recourbés comme des serres et les ongles durs comme du diamant, plongent au cœur de ma blessure au torse. L’organisme, fragile, ne résiste pas, et elle me perfore comme une vulgaire feuille de papier. Le sang gicle une nouvelle fois, la chair se déchire, les tissus tout juste refaits sont détruits. Typhanie aggrave la blessure en plongeant ses griffes plus profondément encore.

Un hurlement se bloque dans ma gorge et c’est du sang qui en sort à la place. Dans un dernier sursaut, alors que je frôle l’inconscience, je me redresse et la repousse. La monté d’adrénaline m’envahit et j’ai a peine conscience de la force que je déploie. La succube vol de plusieurs mètres en arrière tandis que je recroqueville sur moi-même, plaquant mes bras sur la blessure. L’hémorragie reprend de plus belle et je suis incapable d’effectuer le moindre mouvement.
– Putain mais qu’est-ce que tu VEUX ?!
Je gémis comme un enfant et je tremble. Autant le reconnaître: j’ai peur. Pas peur de crever, mais peur parce que je ne comprends rien. Et parce que j’ai terriblement mal.

Je me retourne vivement lorsque je l’entends jurer derrière moi. Elle se relève et reste assise au sol, se frottant la tête d’une main. Nous restons un instant à nous regarder, mais elle n’esquisse aucun geste vers moi, pas même une menace. Elle se contente de m’observer d’un air sombre. Une minute passe, peut-être deux. Ma douleur m’irradie toujours autant mais j’arrive à respirer un peu mieux et à faire partir le voile noir qui envahissait dangereusement ma vision. Je me concentre sur la métamorphose pour faire réagir mon corps plus vite et accélérer la guérison. C’est long et fatiguant, et la perte de sang m’aide pas à tenir le coup, mais je n’ai pas d’autres choix. Je garde un œil sur la succube tout en examinant le travail de la régénération lorsqu’elle fini par parler. Une voix beaucoup plus calme.
– Te bile pas, tu vas pas en crever…
Son visage n’affiche plus la colère et elle semble juste ne pas m’aimer.
– Tu serais pas là si tu devais mourir à cause de ça.
– … Je… Comprends pas…
– Ta bague là, fit-elle en désignant mon alliance. Ça t’a protégé.
Je jette un œil à Stunym, perplexe.
– Allez, me dis pas que tu ne sais pas ce qu’on raconte sur ces trucs ! Les bagues de fiançailles de l’Amour Absolu là ! L’amour de l’un protégera toujours l’autre, et blablabla !
– … L’amour…
– Ta femme t’aimait, connard ! Elles fonctionnent ces bagues, c’est ça qui t’a sauvé !
Ainsi l’amour que me portait Leandra était aussi fort ?

De savoir que cet amour, son amour, fut susceptible de m’avoir sauver la vie me soulagea d’une grande partie de mes douleurs. Au fin fond de mon esprit, quelque chose venait de s’apaiser. Leandra m’avait véritablement aimée. Sincèrement. J’en fus terriblement heureux et ce sentiment surpassa la douloureuse situation présente. L’envie de la revoir me prit subitement. L’envie de la serrer contre moi et de m’excuser de toutes les fois où je m’étais mal conduit, de la remercier pour toutes les fois où elle avait été là… Seul mon état me force à me calmer et à ne pas utiliser le Logrus immédiatement pour me retrouver à ses côtés. Alors pour prendre mon mal en patience, je garde une image d’elle dans ma tête. Leandra, souriante, heureuse. Ça me fait vaguement sourire. A peine. Mais ça me fait du bien. Je me souviens que nombreux sont ceux qui la prenne pour une folle, une malade… Mais tous ceux là ne la connaissent pas. Elle n’est pas une folle. C’est une personne merveilleuse. Et ses sentiments ont été capables de sauver la vie d’une personne aussi insignifiante que moi. Je suis sûr que ça en laisserait plus d’un sur le cul.

Exténué, je me sens progressivement glisser vers le sommeil. Typhanie, de son côté, semble guetter cet instant avec impatience, à moitié cachée dans une zone d’ombre de sa caverne. Malgré les questions qui se bousculent dans ma tête, je reste silencieux et immobile. Mon corps agit avec tant d’affolement pour se guérir que même ainsi j’ai l’impression d’exercer un effort physique épuisant.
– Je la plains…, dit Typhanie.
Je dévisage la démone.
– Je la plains d’avoir pu être mariée à quelqu’un comme toi. Elle a dû être malheureuse. Elle a dû souffrir. Mais malgré ça elle t’a aimé au point d’espérer que tu puisses t’en sortir. Je ne la comprends pas… Tous les Hommes valent mieux que toi… Tous…
– … Si ça peut te rassurer elle n’a pas eu le choix…
– Tu l’as forcée, hein ?
– … J’ai pas eu le choix non plus…
La succube eu un reniflement de mépris. A ses yeux, je dois vraiment être le plus abjecte des êtres vivants.
– Qu’est-ce que je t’ai fait, Typhanie ?
Ma question a raison du calme relatif de la démone qui avance vers moi d’un pas décidé. Une main griffue s’abat violemment sur mon visage, m’arrachant un grognement. Son coup m’ensanglante le visage et je sens une plaie ouverte passer près de mes yeux.
– CE QUE TU M’AS FAIT ?! TU OSES ME LE DEMANDER ?!
Les griffes frappent une seconde fois. Un morceau de mon visage part en lambeaux.
– TU AS DÉTRUIT MA VIE ! ORDURE !
Je la laisse faire. Ce n’est pas juste que je ne peux pas l’en empêcher: même si j’avais la force je la laisserais faire. Parce que dans ses hurlements, il y a autre chose que de la rage, quelque chose de désespéré.
– A CAUSE DE TOI ! A CAUSE DE TOI ON M’A… ON… On m’a…
Elle ne me regarde même plus, elle a les yeux dans le vague. Ses bras retombent le long de son corps, inertes, et je vois que ses jambes flageolent. Elle tombe à genoux l’instant d’après.
– On…
– … Quoi ?
– On m’a violée… On m’a… On m’a bannie…
Ses épaules se secouent et des larmes apparaissent aux coins de ses yeux. Je me sens mal mais j’hésite à faire ce que j’ai envie de faire. La prendre dans mes bras pour la serrer fort. J’attends encore un peu. D’ailleurs son histoire me paraît bizarre. Comment peut-on violer une succube ? Et en quoi j’en suis responsable ? Et pourquoi la bannir ?
– Typhanie…
– … Quand je me suis réveillée, tu n’étais plus là, tu t’étais enfui. J’étais entrain d’absorber ton énergie et… Et tu as interrompue le processus en cours, je ne sais pas comment. Mon corps n’a pas supporté. A mon réveil quelques démons qui te cherchaient ont senti ta présence.
– Je les avais tous tués. Juste avant de te rencontrer.
– Il y en avait d’autres. Des retardataires… J’étais incapable de bouger, j’étais trop faible. A cause de toi j’étais sans défenses et… Ils m’ont questionnés pour savoir où tu étais. Je savais pas moi… Je voulais juste absorber ton énergie, j’étais pas mêlée à vos histoires…
Elle n’en dit pas plus, et j’estime qu’elle n’a pas besoin. C’est pas difficile d’imaginer les démons invoqués par Mordred retrouvant ma trace dans la grotte. Et arrivant juste après mon départ avec les autres, ils se sont retrouvés avec une succube évanouie sur les bras. Pour des démons, une créature comme elle doit être un fantasme inaccessible, mais si celle-ci se retrouve dans un état de faiblesse suffisant… Profiter d’elle sans risquer de mourir, c’est une aubaine qu’ils n’ont pas dû hésiter à saisir.
– … L’humiliation passe. Le sexe je connais, je peux m’en remettre. Mais a cause de toi je… Tu m’as ridiculisée auprès de ma propre race, je suis devenue une honte pour les succubes. Ils ont décidés de me bannir et si j’ai pu survivre c’est juste parce que j’avais assez d’énergie pour…
Encore une fois elle ne termine pas sa phrase. Il n’y a aucun doute qu’elle soit traumatisée par ces évènements. Rien qu’à la voir maintenant, les yeux dans le vague… Toutefois il y a une chose que je ne saisis pas.
– Tout ça juste parce que je t’ai échappé ?
Sa voix, brisée, me parvient comme un coup de poignard.
– Non, salaud… Parce que tu m’as rendu enceinte…

One comment to Resurgam, Chapitre 2

  • Renan Renan  says:

    Nan mais… Tu réalise?

    Preeeeem!!!! Un bâtard de succube et de sang réel!!!
    Outre le fait que Léandra va te tuer, tu viens de me donner une occasion de te créer une pu**** de némésis! J’en salive a l’avance *o*

    Sinon j’adore @__@

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