Recueillement

RECUEILLEMENT

 

            L’homme s’approche lentement de la tombe, d’un pas hésitant. Mal à l’aise, peu confiant. Il se sait sur une terre hostile pour lui, il n’est pas à sa place ici. Et personne ne l’accueillera jamais. De temps en temps il jette un œil par-dessus son épaule. Il est seul. Seul avec la tombe qui semble plus imposante que toutes les personnes qu’il ait jamais rencontrées. Ou affrontées. Il fixe l’épitaphe gravée dans la pierre, dans sa tête il cherche ses mots. C’est comme si le nom, un nom interdit, le dévisageait. Comme si la gravure de ce nom était les yeux de la tombe. Un regard de pierre qui lui renvoie des sentiments douloureux. La peur. La honte. Le regret.
            Un peu nerveux, il se mord la lèvre. Il baisse le regard, comme un enfant. C’est la culpabilité qui le ronge désormais. Et l’incapacité à s’exprimer. Mais la brise légère qui caresse son visage le calme et il ferme les yeux. Il respire un peu et se sent comme invité à parler. Autour d’eux, il y a comme un nuage de luciole. De petites particules en suspension volent au ralentit, les éclairant d’une douce lumière blanche. C’est apaisant, se dit-il. L’endroit semble bien convenir pour apporter ce fameux “repos éternel”. Et c’est mérité.

            Serrant dans sa main le bouquet de fleurs, il ose alors troubler le silence. Sa voix sonne horriblement fausse à ses oreilles, semblant abîmer toute la poésie du moment, mais c’est normal. Cette voix provient de lui, elle est donc laide. Laide comme tout ce qui vient de lui. Il le pense. Mais les mots, heureusement, forment une parole, un discours, et il n’y prête plus attention.
«– Je vous ai amené des fleurs, dit-il. Je ne savais pas de quelles couleurs les prendre alors…
Il s’interrompt, regardant son bouquet qui lui semble pitoyable. Il avait voulu bien faire mais il en avait toujours été incapable. Pourtant l’intention était véritablement là, et il veut vraiment le montrer, prouver qu’il y avait au moins ça.
– Je ne savais même pas quel genre de fleurs vous aimiez… En fait je ne sais rien presque rien de vous…

            Vouvoiement. De toute sa vie, il n’a pratiquement jamais vouvoyé quelqu’un, sauf cas particuliers. Mais jamais par respect. Et là c’est l’exception.
– On ne s’est jamais vraiment parlé, même cette fois là. J’ignorais tout de vous, je ne vous connaissais pas… Ce qui c’est passé ce jour là, c’était une erreur… De tout le monde. Je n’ai jamais voulu que cela se déroule ainsi. Je… Et…
Un temps de pause, quelques souvenirs. Doit-il poursuivre ? Ne serait-ce pas une façon de se justifier ? De se débarrasser ? Pourtant ce n’est pas le point où il veut en venir… Une nouvelle brise fait doucement jouer les pétales des fleurs. Serait-ce une incitation à poursuivre ? Une acceptation de son présent, aussi ridicule soit-il ?
– Elle a demandée à savoir ce qui c’est passé. J’ai hésité, j’ai… Quand j’ai appris ce que vous représentiez pour Elle, j’ai… J’ai eu peur. J’ai eu peur de sa réaction. Non pas pour moi, mais pour Elle. Je veux dire… Je comprends ce que c’est. Et je me suis dis qu’à sa place je voudrais savoir.

            Nouveau temps de pause. Et dans sa tête, un déclic étrange se fait. Une pensée, un vieux réflexe. L’image se fraye un chemin jusqu’à lui et il réalise alors son oublie. Il ôte donc le chapeau qu’il a sur la tête et, gêné, il présente un regard d’excuse à la pierre tombale. Mais ce genre de détail ne doit pas les troubler, alors il continue.
– Je l’ai épargnée, bien sûr. Je ne pouvais pas lui raconter les détails. Mais vous savez, j’ai dû lui expliquer vos raisons. Vous vous en doutez, Elle a été déçue… Ne vous inquiétez pas, Elle n’est pas en colère. Elle ne l’a jamais été. Elle était juste triste.
Nouveau déclic dans la tête. Cette fois une émotion. Celle qu’il avait ressentit ce jour là.
– Mais évidement c’était stupide ! Et ça a toujours été votre sujet de dispute !
Nouvelle pause. S’emporter ne servait à rien désormais.
– … Je comprends que vous vous sentiez obligée. Je peux imaginer que cela avait de l’importance pour vous… Mais la petite Akeena était innocente, elle n’a jamais fait de mal à personne. Vouloir la tuer était une erreur. Une erreur stupide… Et ce n’était pas ce que vous vouliez, mais ce qu’on vous a appris à vouloir. Nous avons tous été manipulé dans cette histoire, vous la première… Et Elle devait le savoir. Elle a sûrement dû vouloir vous préserver de tout ça… Vous savez, je crois qu’Elle pense avoir échouée à vous protéger. Et qu’Elle se sent coupable… Mais Elle vous aime. Elle vous a toujours aimé et Elle ne vous oubliera pas.

            Un long silence suit la déclaration. Plus de brise. Et l’homme regarde longuement le bouquet de fleur, jouant nerveusement avec.
– Akeena est toujours en vie. Et elle était innocente.
Rien. Rien qu’un long silence embarrassant. Et les lueurs scintillant faiblement.
– Voilà… Je voulais juste que vous sachiez que Leandra est heureuse… Nous nous sommes mariés sous la contrainte mais si cela peut vous rassurer Elle ne le regrette pas. Et moi non plus. J’ai beaucoup appris sur Elle et j’ai découvert une personne formidable. Je ne la savais pas si fragile, si meurtrie. Bien sûr, vous le saviez…

            Le nom sur la tombe semble toujours le dévisager. Mais cette fois il n’y a plus de malaise, plus de gêne. Et l’homme ne baisse plus la tête. Il n’y a pas de confrontation dans ce regard de l’un envers l’autre. Pas de haine.
– Je comprends pourquoi vous l’aimiez. Et je respect vos sentiments. Je ne vous promets pas d’être à votre hauteur, mais je vous assure que je ferais tout mon possible pour qu’Elle ne soit plus triste. Je… J’aime Leandra… J’aime ma femme… Elle est parmi ce que j’ai de plus précieux et…
Un petit sourire triste.
– Je suis pas un Ange, je suis pas quelqu’un de bien. J’ai fais tout un tas de saloperies dans ma vie, et de toutes les femmes et les hommes qui existent, je suis bien le dernier qui pourrait lui convenir.

            Son regard se perd dans les petites lumières. Est-ce une impression où est-ce qu’il lui semble qu’elles éprouvent de la compassion ?
– … Je pense que je ne dois pas vous plaire… Mais si vous l’acceptez, je vous promet de tout faire pour la protéger. Et de lui faire garder le sourire…
Il n’a plus rien à dire et attend. Mais il se souvient subitement qu’il n’aura jamais de réponse. Pourtant le silence et la brise semblent lui dire quelque chose. Un instant il pense qu’il est facile d’interpréter, mais au fond de lui il comprend. Doucement il s’accroupit, déposant le bouquet là où traînent déjà de petits objets. Un sigle de moto, des plaques militaires… Quelqu’un est déjà venu ici, mais c’était il y a longtemps. En comparaison à ses bibelots chargés de souvenirs et d’amour, il se sent minable avec ses petites fleurs.

            La sélection est hétéroclite, et peut-être pas très belle, mais il le voulait ainsi. Un seringat pour les souvenirs et un gardénia pour la sincérité. Pour sa promesse, un peu d’anis et pour le liens qui les unis tout deux, un peu de chèvrefeuille. Ses significations lui paraissaient importantes. Cette idée lui avait paru si maladroite qu’il s’était senti plus ridicule qu’autre chose en le composant, mais au final… Au final il avait choisi les deux plus importantes en dernier. De la lavande, pour le respect et la tendresse. Et enfin un arum, un gigantesque et magnifique arum, pour l’âme. Pas la sienne. Mais pour celle qui l’écoute.
– Vous lui manquez, vous savez. Elle a été bannie et elle ne peut même plus venir ici. Elle ne peut plus vous revoir… Alors peut-être que… Si vous pouviez, une nuit, apparaître dans un rêve. Juste pour qu’elle vous revoie une fois, pour la faire sourire…

            Il s’arrête, conscient que sa requête ne sera jamais accordée. Du moins pas parce qu’il l’a demandé. Il lit une nouvelle fois l’épitaphe, comme il aurait plongé son regard au plus profond de ses yeux.
– Je regrette ce qui c’est passé ce jour là.
Ces derniers mots le vide de ses forces et c’est avec lenteur qu’il se redresse. Les lumières clignotent, certaines s’éteignent pour toujours. Un dernier regard sur la tombe et sur le nom qui y est écrit.

 

AKEELERA

 

            Il lui faut du temps pour se détourner. Un sensible geste de tête, quelques mots.
– Au revoir…
Il ne sait pas quoi dire d’autre. Ces mots lui semblent si ridicules… « Reposez en paix » ou « Soyez heureuse là où vous êtes ». Ses lèvres bouge mais il serait bien incapable de dire s’il a prononcé ces mots ou non.

            Autour d’eux les flocons de lumières disparaissent, la brise tombe. Premutos remet son chapeau et se détourne. Il se sait en une terre hostile, il n’est pas à sa place ici. Et personne ne l’accueillera jamais. Pourtant il ne se sent plus vraiment seul.
« Vous partez quelque part ? », semble demander une voix de femme, comme un souffle, comme un songe, se répercutant en écho dans sa tête. Il se retourne, et parmi le blanc du ciel, de la brume, il ne voit qu’une grande pierre tombale. Elle le regarde, attendant sa réponse.
– Je ne vais nulle part.

            Le Chaosien disparaît. Pour lui, le blanc devient noir, l’apaisement devient néant. Comme si un rêve se désintégrait pour faire place à la réalité du réveil. Et il n’y a plus rien… Juste les sentiments.

            La tombe restera là pour l’éternité, témoin muet en ce jour d’un étrange discours. Elle n’a rien à dire, rien n’a éprouvé. Elle n’est pas une personne mais un simple morceau de pierre représentant un individu disparu. Elle n’est rien si ce n’est un catalyseur de sentiments…

            Et pourtant… Une voix n’a t-elle pas parler ? N’a t-elle pas répondu au recueillement ? D’Akeelera, il ne reste rien si ce n’est une sépulture et des souvenirs. De Premutos, il ne reste rien si ce n’est un corps et des souvenirs. Mais Premutos et Akeelera se sont atteint, l’un comme l’autre. Un échange s’est effectué. Une réponse aux sentiments, une alchimie composée par l’amour d’une même personne et la compréhension de deux êtres pourtant radicalement opposé. Un souhait commun.

Et cette nuit là, dans son sommeil, Leandra fit un rêve. Un rêve qui la fit sourire…

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