Shark Zone (2003)

 

Shark Zone

(2003)

 

 

Daniel Lerner c’est un peu Monsieur Mauvais Films. Producteur de Nu Image (on le trouve au générique de Crocodile, des Spiders, des Octopus et des Shark Attack), le bonhomme est spécialisé dans les films au rabais depuis toujours. Scénariste attitré des Operation Delta Force, on le retrouve à la base de nombreux titres peu glorieux (Merchant of Death, Project Shadowchaser 4, U.S. Seals) dont le présent film et surtout le très nullissime Octopus 2. Sa carrière de producteur ne vaut guère mieux car on y croise aussi bien American Ninja 3 que Hurlements IV ainsi que des dizaines d’autres films miteux (les Cyborg Cop, Alien Hunter, For the Cause…). Un grand spécialiste de la SF et de l’actioner à petit budget donc, bien que la subite ascension de Nu Image lui aura permis de figurer sur des films plus “prestigieux” comme le Replicant de Ringo Lam. Sa carrière de réalisateur, elle, commence avec ce Shark Zone et nous prouve qu’il ne fait pas mieux que les films dont il s’occupait jusque là. En fait, c’est même pire…

 

 

Shark Zone (parfois appelé La Mort au Large chez nous, grâce à un éditeur peu scrupuleux qui reprend en fait le titre du fameux ersatz des Dents de la Mer de Enzo G. Castellari, une bisserie italienne datant de 1981), ce n’est autre qu’un nouveau Shark Attack auquel on aurait bien changé le nom. Quatrième volet d’une série pathétique dont seul le premier opus reste potable, les autres sombrant dans le ridicule le plus absolu. Par ailleurs il est intéressant de faire le parallèle entre ce Shark Zone et Shark Attack III: le premier traite simplement de grands requins blancs, comme dans les deux premiers films de la série des mangeurs d’hommes, et devait à la base s’appeler Jurassic Shark (toute ressemblance avec Jurassic Park ne serait que pur hasard). Un titre qui ne se justifiait que par la présence dans le film d’un bout de réplique expliquant que les requins existent depuis le Jurassique. Hors Shark Attack III, lui, traite bel et bien d’un requin préhistorique (le Mégalodon) et aurait donc logiquement dû hériter de ce titre, d’autant plus qu’il se raccorde pas mal aux autres Shark Attack. Confusion des scripts ? Tant pis, on est plus à ça près et puis chez Nu Image, on s’en fout un peu de ses films en fait.

 

 

L’histoire de Shark Zone tient de la vaste blague. Tout commence par le naufrage d’un vieux galion transportant des diamants. On raconte que l’épave gît quelque part non loin des côtes de San Francisco, et aussitôt un groupe d’aventuriers du dimanche mené par un ancien des Navy SEALS (Danny Lerner, scénariste de U.S. Seals) plonge à sa recherche. Manque de chance, le gros macho du groupe refuse de respecter les consignes de sécurité et s’attire aussitôt la sympathie d’un énorme requin blanc qui l’embrasse à sa façon. Rendu tout euphorique par une telle rencontre (trop d’hormones dans le repas ?) la bestiole s’en va alors croquer tout le monde un par un, ne laissant qu’un seul survivant: le fils du guide de plongé. Dix ans passent et le jeune homme qui n’a pas changé d’un poil est désormais marié et père d’un gamin absolument insupportable. Obsédé par les squales, notre héros est maintenant devenu le responsable de la sécurité des plages du comté et se retrouve cette année avec un sacré problème sur les bras: cette fois, interdiction de crier au requin. Le maire souhaite attirer le touriste à l’occasion de la grande fête annuelle et il est hors de question de le faire fuir en fermant les plages pour cause d’hypothétiques mangeurs d’hommes que personne n’a jamais vu. Notre pauvre chef de la sécurité se retrouve donc à faire son boulot sans aucune aide ni matériel adéquat, alors que pourtant les grands blancs sont bien là.

 

 

Ce scénario, c’est celui des Dents de la Mer. Datant de 1975, le film a tellement été copié depuis qu’il est de nos jours pratiquement impossible de penser qu’un scénariste aura eut l’audace de le reprendre tel quel sans rien en changer. Et pourtant c’est ce qu’a fait Lerner, qui nous avait quand même déjà fait le coup dans Octopus 2. Les Shark Attack avaient au moins eu l’obligeance de chercher un brin d’originalité (sauf pour le second opus, il est vrai), ici on a tout simplement multiplié le nombre de requins. Peut-être de peur de voir le spectateur être offusqué de se faire prendre pour un con, le brave artisan décide d’expédier la deuxième partie du film de Spielberg (la traque du requin) en une scène pour mieux redonner un second souffle à son histoire en repompant cette fois le scénario de L’Invasion des Piranhas de Antonio Margheriti.

 

 

En effet, le sponsor trouvé par le maire afin de produire sa fameuse fête annuelle n’est autre qu’un mafioso russe (Velizar Binev, grand habitué de Nu Image qui joue dans presque tous les films de la firme) qui a pour but de récupérer les fameux diamants de la légende, quand bien même il n’a jamais été certifié qu’ils existent vraiment. S’il demande à notre héros de le guider vers la localisation de l’épave, il voit ce dernier refuser car incapable de retourner sur les lieux du drame de son passé. Va t-il chercher un autre guide ? Et bien non car restant persuadé que ce type est “le meilleur”, il va finir par kidnapper son fils pour l’obliger à grimper sur son bateau et lui indiquer le chemin. Et bien évidemment les requins rôdent toujours autour du galion…

 

 

Aucune originalité à signaler et on en attendait pas moins de la part de Nu Image qui s’est progressivement enlisée dans la médiocrité malgré quelques productions sympathiques. Difficile d’ailleurs de croire que ce genre de film est finalement vendu aux chaînes télévisées tant le travail sans le bâclage à plein nez. Car non, la réalisation ne rehausse pas le métrage, bien au contraire. Ouvrant son film sur une longue séquence générique prévue pour coller une migraine incroyable à son spectateur et ainsi l’assommer pour ne pas le laisser avoir tous ses esprits durant le film (comprendre: un long et rapide survol de l’océan filmé… tête en bas ! Et sous fond d’une pseudo musique classique qui plus est), Lerner passe le reste de son temps à tourner de nombreuses scènes de parlotes le plus platement possible, très bien appuyées par des comédiens tout bonnement inconsistants: un héros sans aucun charisme, son épouse inexistante, son fils exaspérant, ses copains sidekicks désopilants, le maire crapuleux… Ça ne s’arrête évidemment pas là et il faudrait parler des incohérences grosses comme des requins baleines et de trouvailles très inspirées: dans Shark Zone, les plongeurs simplement équipés de masques et de bombonnes d’air réussissent à se parler sous l’eau comme s’ils avaient des radios. Quand Lerner film la mort d’un couple ayant eu la mauvaise idée de prendre un bain de minuit, comment fait-il pour simuler l’eau rougit par le sang en pleine nuit ? Tout simplement en filmant le couché de soleil à travers l’eau bien sûr ! La teinte orangée qui apparaît sert amplement au subterfuge. La plage permet de faire apparaître de belles femmes en bikinis ou aux seins nus ? Pas de soucis, on rajoute un garde-côte obsédé le temps d’une scène et la caméra peut alors s’attarder sur les courbes de ces jeunes demoiselles, ce qui va être d’ailleurs réitéré à la fin du film sur un bateau de croisière. De même, la femme du héros ne sert concrètement qu’à exhiber son soutien-gorge…

 

 

Des comme ça, Lerner en rajoutes des tonnes, quitte à abandonner son scénario en cours de route. Car après une heure de remake des Dents de la Mer, où la traque et l’extermination des requins se limitent à un survol de la mer en hélico avec largage de bombes (dont les explosions sont reprises à celle de la pieuvre dans Octopus) et à quelques répliques bien senties (“C’est comme une partie de poker !” dit l’un, “Voilà une partie qu’ils auront du mal à digérer” répond l’autre), on passe subitement à l’intrigue policière qui sent bon le Walker Texas Ranger: notre mafioso obèse enlève l’enfant du héros (le pauvre, il ne sait pas à quoi il s’expose) dans une séquence cheap du plus bel effet pour l’obliger à coopérer. Bien sûr il accepte et monte sur le bateau pour… indiquer sur une carte l’emplacement exact de l’épave ! Épave qui se trouve d’ailleurs être tout juste là où le bateau à mit l’ancre ! Y a pas à dire, on comprend tout à fait pourquoi il avait refusé de le faire plus tôt auparavant: c’est très risqué d’être sur un bateau et de pointer son doigt sur un morceau de papier. Heureusement, il va se rebeller peu après et quand les requins survivants attaquent tous les méchants plongeurs, il décide qu’il est temps d’en finir et balance le Parrain du pauvre dans l’eau avant de prendre la fuite avec son fils. Fin. Oui mais… il reste des requins tueurs, non ? Pas grave voyons: s’ils ont mangé des méchants russes c’est qu’ils sont gentils au fond !

 

 

D’ailleurs en parlant de squales on se dit qu’on peut toujours se rattraper durant les scènes d’agression, mais ça aurait été trop en demander. A l’instar de Shark Attack 2, nos bestiaux continuent de pousser des rugissements de fauves sans que cela soit expliqué à un moment ou à un autre (en même temps il ne faut pas non plus trop s’étonner lorsque l’on voit leurs pauvres victimes réussirent à crier tout aussi naturellement sous l’eau). Autant Shark Attack 2 tentait de donner un semblant d’explication quant à leur agressivité, autant là rien n’est jamais cohérent: les requins blancs sont des tueurs, ils sont méchants et rusés, et ça parce que le héros le dit. Après, qu’ils attaquent en bande continuellement alors que le grand blanc est plutôt de nature solitaire et qu’ils avalent tout ce qui leur passe sous les dents alors que ce n’est absolument pas le cas en vérité, on s’en fiche, personne ne va chercher à se renseigner. Les requins blancs sont des monstres, et voilà.

 

 

Mais bref, que valent les attaques, donc ? Rien du tout puisqu’elles sont exactement les mêmes que dans Shark Attack 2 ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un assemblage de divers plans de provenance différente. On y trouve un ou deux plans en CGI ratés, des gros plans d’une fausse tête de requin tantôt réussie, tantôt raté (ça dépend l’angle) et repiqués aux Shark Attack précédents et surtout une dizaine de stock shots de reportages animaliers dont le grain de l’image vieillotte tranche avec la qualité numérique du téléfilm, quand on ne voit pas carrément les appâts et le matériel de plongé apparaître dans le champ. Le tout est bien évidemment monté de façon frénétique, avec insertions de plans rapides et mal cadrés sur des acteurs (dont, si vous êtes bien attentif, Ernie Hudson lors de sa mort de Shark Attack !) et sur le sang dilué dans l’eau, ce qui provoque un chaos visuel où il est quasiment impossible de savoir ce qui se passe et, bien entendu, où l’on ne voit jamais clairement une attaque digne de ce nom. Oubliez Les Dents de la Mer, ici il n’y a jamais une scène avec un requin (même faux) et un acteur ensemble. Du gore ? Un ou deux pieds sombrant furtivement dans l’eau (oui, oui, comme dans…) et un cadavre à peine abîmé et entr’aperçu. Autant dire rien. Oh bien sûr les squales ne se limitent pas aux stock-shots sans cesses réutilisés (parfois même plusieurs fois dans la même scène, bien que l’on inverse l’image pour faire illusion) et vous aurez droit à quelques ailerons de polystyrène (repiquant d’ailleurs un plan des Dents de la Mer 2), d’un réalisme saisissant et d’une rigidité à toute épreuve. Si en plus on vous dit que ces derniers sont issus de Shark Attack 2

 

 

Cheap, n’est-ce pas ? Plus économe que jamais, Nu Image pousse le vice d’ailleurs assez loin pour faire jouer à un acteur deux rôles complètement différents (le gentil papa ex-Seals et le méchant maire), se livrer à la bonne vieille méthode de destruction de maquettes de bateaux (l’une coulée dans un aquarium, l’autre explosée au pétard) et évidemment réutiliser des images de ses propres films, ici notamment pour les attaques de requins et une scène se déroulant sur un beau bateau de croisière déjà aperçu dans Octopus. Apparemment limité sur les droits musicaux, on nous refourgue également deux fois de suite la même musique additionnelle que l’on avait déjà entendu dans Crocodile. A noter aussi que Shark Zone aura été coproduit par la Bulgarie, où s’est probablement effectué le tournage à des fins d’économie budgétaire comme ce fut le cas pour quelques autres films (Alien Hunter la même année): on paye encore moins cher les figurants recrutés sur place.

 

 

Bref tout cela donne une association de non savoir-faire assez ahurissant, entraînant des contre-performances à foison et assurant à Shark Zone ses galons de gros navet absolument indéfendable. Reste qu’il faut noter deux scènes qui réveillent un tant soit peu le spectateur par leur impressionnante improbabilité: la tête d’un requin gigantesque traversant la coque d’un bateau pour aller gober l’épouse du héros et l’attirer dans les grands fonds, et un autre requin de la taille d’un Mégalodon apparaissant en pleine piscine dans un luxueux yacht ! Deux scènes qui se révèlent malheureusement n’être que des hallucinations du héros, exactement comme c’était le cas dans Octopus 2. De là à en conclure que Daniel Lerner est un homme sans talents ni idées…

 

 

 

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