Veuve…

VEUVE…

par Pern du Chaos

 

Le claquement sec couvrit à peine le bruit de la chitine cédant sous l’impact…
Lentement le démon porta sa main à son visage. Les griffes cliquetèrent sur les fissures qui ornaient maintenant sa face.

“Pourquoi… Tu veux te venger toi aussi ?”

Au milieu de cette Ombre sans début ni fin, sous cette énorme lune rousse, l’immense gargouille faisait face à la jeune femme. Ça n’était pas prévu. Le démon chitineux n’avait jamais prévu ça. C’était une probabilité qui n’avait même pas pu ne serait-ce que l’effleurer. Elle était bien la dernière personne dont il s’attendait à relever le défi… Et sur son terrain encore.
Il en était perplexe. Il se rendait compte que non content de ne jamais avoir prit la jeune femme au sérieux, il l’avait de très loin sous-estimé.
Il l’a jugeait lâche et pourtant elle se tenait devant lui, il l’a jugeait légère et pourtant sa douleur déformait l’espace autour d’elle, il l’a jugeait stupide et pourtant en cet instant le regard qu’elle posait sur lui était dénué de toute trace de doutes, du moindre soupçon…

La large créature stabilisa lentement sa position, écartant ses puissantes jambes dans le sable gris. Il avait battit toute son existence sur des certitudes et pour la première fois se trouvait en but à ce qu’il n’avait pas prévu et qu’il ne comprenait pas…

La jeune femme était une experte en combat à mains nues, sa position ne laissait aucun doute, aucune faille. Sa garde était impitoyablement fermée…

Dante le savait… Léandra allait le tuer…

Les faits étaient assez frais… A la vérité, il refroidissait encore.
Par vengeance, suite à l’extermination de sa race par la famille dont Premutos était le dernier représentant, Dante avait exécuté son frère. Premutos Dalgarry gisait sans vie non loin de là. Le pourquoi ni le comment importait peu, après tout, c’était leur histoire. Dante avait simplement fait ce qu’on attendait de lui. Deux derniers héritiers de deux lignées qui s’était exterminée: l’un des deux devait mourir sous les coups de l’autre, c’était inévitable… Et Dante avait choisi de ne pas être celui-là.

Le combat avait été bref… Si on peut parler de combat, il avait frappé une seule fois et son frère s’était écroulé, blessé à mort ! Premutos avait toujours mis un point d’honneur à ne pas savoir se battre, c’était sa répartie sa seule véritable arme… Une arme bien légère face au la force brut d’un Démon de sa stature. Dante avait imaginé que Léandra serait en colère, ou très triste, voir les deux. Ou bien encore qu’elle se sentirait libérée… Mais il ne s’attendait pas à la voir apparaître devant lui par un portail d’Atout aussi puissant !
La jeune femme, visage fermé, était déjà en larme quand elle avait jaillit devant lui. Elle s’était précipitée sur le corps de son époux. Dans son attitude, Dante avait reconnu autant de douleur que d’incrédulité. Il l’avait regardé ausculter le corps de son époux, cherchant un dernier souffle de vie. Elle s’était résignée… Elle avait passé une main dans les cheveux du mort, essuyé le sang qui maculait son visage, fermé ses yeux et l’avait embrassé tendrement. Cette attitude si douce et si féminine, de la part d’une femme qui défonçait les murs à coup de poings, l’avait profondément marqué.
Dante avait commencé à comprendre que sous ces dehors de folle furieuse, la jeune femme cachait un cœur…
Et c’est dans un silence un peu gêné qu’il l’avait observé reboutonner la veste de son défunt mari et lui chuchoter quelques mots à l’oreille…

Elle avait réussi en quelque geste à apporter un semblant de paix à cet homme qu’elle avait à l’évidence sincèrement aimée.

“Je n’te demanderais même pas pourquoi… Je le sais déjà…”

La phrase était dure, violente et le ton calme avait le tranchant d’une guillotine. C’était une attitude adulte. L’attitude de celui qui sait face à l’enthousiasme brouillon d’un jeune enfant… Dante l’avait reçu de plein fouet. Il s’était attendu à un ‘pourquoi’ à des pleurs ou à des imprécations plus violentes les unes que les autres. Il s’était préparer a ce qu’elle se rue sur lui en larme lui tambourinant la poitrine de ses petits poins serrés… Mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui dise de but en blanc, et avec une telle maturité, qu’elle comprenait.

“Vous ne pouviez même pas imaginer une autre issue hein ? Trop con pour ça ! Et l’un… Et l’autre… ”

Elle s’était redressée, le visage baissé. Dans le sable, de petites marques se creusaient dans le sable comme autant de goutte de pluie creusant le sol…
Dante avait gardé le silence et remarqué, à la lueur de la lune, l’anneau d’or blanc qu’elle portait à l’annulaire de sa main gauche. Tsumyn luisait faiblement. Comme souvent en situation de crises, l’esprit se focalise sur des détails sans grande importance… C’était sans doute cette alliance qui, concrétisant le liens qui unissait la traîtresse du Phoenix et le rejeton des Dalgarry, avait permis a sa détentrice de ressentir les derniers instant de son époux.

“Tu pourrais avoir la décence de répondre à celle dont tu as fais une veuve…”

Il n’y avait rien à rép…

Le claquement sec couvrit à peine le bruit de la chitine cédant sous l’impact…
Lentement Dante porta sa main à son visage. Ses griffes cliquetèrent sur les fissures qui ornaient maintenant sa face…

Le mouvement de la jeune femme avait été si fulgurant qu’il n’avait même pas vu le bras se déplacer. Elle venait de lui coller la plus belle mandale de toute sa vie.

“Pourquoi… Tu veux te venger toi aussi ?”

Il se faisait maintenant face, Léandra, le visage baigné de larmes et une détermination farouche au fond des yeux plantait son regard au fond de celui du démon:
“– Tu vas répondre…
– Il n’y a rien à dire femme.
– Ne me parle pas comme ça ! Ça ne te ressemble pas !
– Qu’est ce que tu en sais, je suis un…
– TA GUEULE !”

Le cri avait atteint Dante au creux de l’estomac. Un cri primal, chargé d’une myriade d’émotions. Le cri qu’ont redouté tout ceux qui se sont heurté aux véritables défenseurs des valeurs de la famille… Un cri devant lequel on ne peut que baisser les yeux et regarder ses pieds…

“– Ta famille, ta nature ! Tout ça ce n’est qu’un prétexte ! Vous êtes les deux même toi et lui ! Deux parfaits crétins qui n’ont jamais pris leurs propres décisions ! Tu n’as fait qu’exécuter les choix qu’un autre a fait pour toi et lui n’a fait que refuser de se plier à tout ce qu’on a pu lui demander ! Et en faisant ça, lui aussi se conformait a ce qu’on attendais de lui
– Non je dev…
– RIEN DU TOUT !!! Tu as choisi ! Inutile de chercher une raison ou une excuse ! Il n’y en a aucune de valable !”

Dante ne répondit rien. Il savait comment cela allait finir. Ils allaient s’affronter et l’un d’eux allait mourir.

“– Tu peux chercher tout les prétextes que tu veux, pas un ne pourra excuser ce que tu as fais. Tu as tué ton frère !
– Ce n’était pas m…
– Bien sûr que si ! Pas par le sang ni même par l’espèce ! Mais regarde moi dans les yeux et ose me dire en face que tu n’as jamais été sincère quand tu le protégeais et que tu vivais sous son toit! Pendant vos dispute et vos jeux… Pendant vos aventures ! Vas-y je t’écoute ! Dis-moi que tu ne la jamais aimais et respecté comme le ferait un frère !
– …”

Souvenirs et vieilles images traversèrent l’esprit de Dante. Il s’aperçut avec horreur que les bons était au moins aussi présent que les mauvais. Si ce n’est plus.
La chitine de ses certitudes était ébranlée… Fissurée.
Finalement… Finalement…
“– Mais il n’y a aucun autre moyen d’éviter ce qui va suivre, n’est-ce pas ?
– Oui…
– Tu es convaincu que l’on va se battre et que l’un de nous doit mourir…
– Oui…
– Tu sais pourtant que chaque mort ne vengeait pas le précédent ?
– Oui…
– Et malgré ça, tu reste convaincu que c’est la seule façon juste ?
– Oui…
– Soit, mais avant ça, je dois te dire une chose, Dante…”

Dante regarda le bout de jeune femme devant lui qui enlevait lentement son blouson et le posait derrière elle. Sur son visage, la douleur et la rage le disputaient à la tristesse et l’indignation.
Symbiosis se ramassa sur lui même et coula lentement au sol le long des jambes de la jeune femme, figé en une petite sphère palpitante.

A présent, Léandra ne portait rien d’autre que sa détermination. Elle était telle que Premutos la préférait… Nature. Et sans son armure symbiotique, Dante ne doutait pas qu’elle ne pourrait pas le vaincre. Ou voulait elle en venir ? Elle voulait mourir elle aussi ? C’était ça sa vengeance ? Tenter de le faire culpabiliser, de lui salir les mains ?

“– Aujourd’hui, tu as tout perdu !”

Hein ?

“– Aujourd’hui tu as sacrifié ta famille, ta noblesse, ton intégrité et tu as perdu tout ceux pour qui tu comptait et qui comptaient pour toi !”

Mais qu’est ce qu’elle…

“– Aujourd’hui, tu as trahis celui qui t’aimait plus que tu n’en a jamais été capable et tu as fait une veuve et un orphelin…”

Quoi ?

L’énorme Lune Rousse flottait au dessus de lui. A tendre la main il était persuadé qu’il pourrait la toucher.
La mémoire lui revenait doucement. Implacablement…

Le combat avait été rapide. Chaque coup s’était enfoncé profondément et lui avait vrillé le cœur. Chaque impact avait résonné en lui comme un coup de feu dans une église. Elle lui avait fendu le cœur. Il avait voulu revenir en arrière… Il avait prié que ce ne soit qu’un cauchemar et qu’il allait se réveiller… Il se sentait salis, bafoué. Et il savait maintenant qu’il en était le seul responsable…

Dante gisait, étendu sur le sable, sa carapace fendue en de multiples endroits le faisait souffrir, il allait falloir de long mois pour qu’elle se ressoude d’elle-même.
Il n’aurait jamais pu imaginer qu’une jeune femme nue pouvait lui donner autant de fil à retordre.

Léandra l’avait écrasé ! Et chacun des coups qu’elle lui portait était ponctué de reproche. Il s’était trompé. Trompé sur toute la ligne… Il avait sacrifié des choses irremplaçables… Maintenant, il s’en voulait… Elle l’avait tabassé jusqu’à ce qu’il sombre dans l’inconscience. Ivre d’une douleur qu’il n’avait jamais connue, le cœur déchiré de chagrin et de remords, il avait prié pour sombrer à jamais.
Elle allait le mettre à mort et il pourrait enfin retrouver les siens… Tous les siens…

Il se redressa.

Elle était toujours là, elle s’était rhabillée. Assise sur le sable, elle berçait doucement son époux décédé dans ses bras en regardant la lune. Léandra chantait doucement a voix basse une petite berceuse destiné aux enfants… Pour apaiser leurs peurs.
Il se souvint que son frère dormait souvent très mal. Agité de remords ses nuits étaient ponctuées de terreurs nocturnes…
Le souvenir de la petite chansonnette entendu jadis derrière l’intimité de la chambre des deux amants lui perfora le cœur. Elle lui tournait le dos…

La chanson s’arrêta… Léandra soupira doucement.

“– Tu as cru que ce serait aussi simple… Et bien non… Tu vas devoir vivre avec ça Dante. C’est ce que font les êtres humains et c’est ce que tu vas faire toi aussi… Puisque Premutos t’as donné sa vie, tu vas t’en montrer digne. Mais ne compte plus jamais sur moi pour t’adresser la moindre parole, pour t’accorder le moindre soutien… Si seulement tu pouvait savoir à quel point je te hais de ce que tu m’as fait…”

Une question restait suspendu… Une question a laquelle il devait absolument répondre…

“– Leandra, tout à l’heure, tu as dit que j’avais fais un orphelin… Tu es… En… ?”

La réponse avait longtemps résonné sur l’étendu du désert.

“Oui…”

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