Venom: The Enemy Within
(1994)
Il peut sembler hasardeux de parler de ce Venom: The Enemy Within, mini-série comics plutôt quelconque mettant en scène une version obsolète d’un personnage qui n’a pas toujours fait l’unanimité. Oui mais la chose a été écrite par Bruce Jones, auteur qui a tout à fait sa place dans ce blog puisqu’il a fait ses armes sur des bandes-dessinées purement horrifiques. Avec son tout premier boulot, pour le magazine Web of Horror, mais surtout à travers les célèbres Creepy et Eerie qu’on ne présente plus. D’ailleurs une de ses histoires, Jenifer (dessinée par le récemment disparu Bernie Wrightson, on le regrettera), fut adaptée par rien de moins que Dario Argento pour la série Masters of Horror ! Autres accomplissements: on le retrouve scénariste sur le show télé The Hitchhicker, une anthologie située entre The Twilight Zone et Tales From the Crypt et il bosse sur des versions comics de deux grandes franchises du cinéma d’horreur: Hellraiser (un numéro pour Epic Comics, un label de Marvel) et The Texas Chainsaw Massacre version Platinum Dunes, avec l’étrange Raising Cain.
Et puis bien sûr, il y a Conan. Beaucoup, beaucoup de Conan, à une époque où le barbare se trouvait encore chez Marvel pour une longue et prestigieuse carrière. D’ailleurs son influence s’en ressent fortement ici ; tellement que le cœur de l’intrigue écrite pourrait en fait très bien avoir été découpée de la revue du Cimmérien et greffé dans celle du symbiote extraterrestre en une expérience de Frankenstein de la BD !
Il faut dire que les aliens, la cybernétique et les mutations génétiques, bien que très à la mode durant ce Dark Age des années 90, Jones s’en tape totalement. Lui a grandit en dessinant des démons, des sorciers, des rituels sombres et anciens. Pas étonnant alors que Venom croise des satanistes priant les Grands Anciens, des gobelins provenant des entrailles de la Terre et un artefact maléfique vieux comme le monde. L’air de rien, un véritable bol d’air frais à une époque où Spider-Man et ses compères passent leur temps à voyager dans des futurs post-apocalyptiques, combattre des robots high-tech ou parcourir la réalité virtuelle.
Comme pour marquer le coup, il débute son aventure en pleine nuit d’Halloween, alors que la publication de la mini-série, en trois numéros, s’étale entre Février et Avril. Et passé une courte introduction où le “Protecteur Fatal” fait son boulot de façon tout à fait conventionnelle (il veille sur les enfants d’un quartier de San Francisco et intervient lorsque deux truands tentent d’enlever un petit garçon, espérant demander une copieuse rançon à ses parents), le scénariste ne perd pas de temps et lance les hostilités: un des bandits échappent miraculeusement à Venom et part se réfugier dans le métro. Une panne de courant plus tard, et après avoir découvert le corps mutilé d’un passager, il est dévoré par une horde de petits monstres démoniaques, périssant dans l’obscurité la plus complète.
Venom, a sa poursuite mais sans succès, va entendre parler de l’horrible évènement mais tente de rationaliser: des rats probablement, voilà tout…
Seulement lorsque Eddie Brock décide de rentrer chez lui, prenant à son tour le métro, l’incident recommence. Lui et quelques passagers sont agressés et l’anti-héros ne s’en sort que grâce à son symbiote. Venom lui-même se retrouve en difficulté lorsque les créatures combinent leurs cris stridents pour former une véritable onde de choc. Une vague sonique qui, on le sait, se trouve être l’une des grandes faiblesses du symbiote. Éjecté du wagon sous sa puissance, il ne peut sauver les autres victimes tandis que l’onde se propage sur plusieurs kilomètre à la ronde, provoquant pas mal de destruction dans la ville.
En réalité les petits monstres appellent à l’aide, leurs cris fonctionnant comme un ultra-son pouvant affecter des personnages d’origine surnaturelle. Une sorte de fréquence radio que devrait entendre leur leader, lui permettant de se transporter directement dans leur antre secrète situé plus loin dans les galeries souterraines de la ville. Seulement voilà, ce sont en fait deux êtres qui sont touchés et involontairement téléportés: Morbius le vampire, qui se régalait du sang de quelques dealers aux docks de New York, et le Demogoblin, qui était occupé à anéantir une bande de satanistes du dimanche quelque part dans la même ville.
Appelé chez nous le Bouffon Noir, celui-ci est plutôt méconnu car étant un protagoniste très secondaire dans l’écurie Marvel. En réalité, il s’agit ni plus ni moins d’une repompe du personnage d’Etrigan de DC, avec qui il partage plusieurs points communs.
Physiquement il ressemble à une déclinaison du Super Bouffon (Hobgoblin), qui lui-même descendait du célèbre Bouffon Vert (Green Goblin), possédant comme eux un planeur et des bombes-citrouilles. Seulement ici il ne s’agit pas d’un homme costumé mais d’une véritable entité démoniaque, tantôt héroïque tantôt maléfique selon le scénariste qui l’emploi. Le concept de base, comme pour Etrigan, était d’en faire un monstre repenti au service du Bien, servant Dieu en éliminant tous les pêcheurs, les hérétiques et les monstres croisant son chemin. C’est ici le rôle qu’il tient, même si cela ne semble pas avoir beaucoup de sens a priori puisque les antagonistes le vénère comme leur maître, taguant son visage sur les murs comme une carte de visite et tuant supposément en son nom. Bien sûr le script fini par nous donner une explication, le véritable maître des créatures se trouvant être quelqu’un d’autre, un manipulateur qui les utilise à ses propres fins et qui ne respecte pas sa parole dans le pacte conclu, poussant les démons à appeler un Sauveur.
Mais ne soyons pas dupe. La véritable raison pour laquelle Bruce Jones a utilisé le personnage, c’est parce qu’il trouvait que les noms “goblins” et “Demogoblin” allaient bien ensemble ! Une idée si bête qu’elle est plutôt hilarante, et on peut même se demander pourquoi le titre de la mini-série ne reflète pas ce délire. Plutôt que ce The Enemy Within générique et pas très engageant, quelque chose comme King of the Goblins aurait été plus sympa et proche des revues Creepy et Eerie.
Quoiqu’il en soit, le reste de l’intrigue suit assez basiquement la formule “crossover” de ce type de publication. Alors que les démons attaquent la ville en masse, causant panique et chaos au point que la loi martiale soit déclarée et que tout San Francisco soit mis en quarantaine (mais que font les super-héros ?!), Venom tente d’intervenir comme il peut et retrace les goblins dans les réseaux souterrains. Il tombe nez-à-nez avec Morbius, premier a avoir été téléporté par l’onde sonique générée plus tôt, et les deux se mettent sur la gueule, chacun pensant que l’autre est responsable de leurs mésaventures. Le vampire n’étant cependant pas le Messie attendu par les petits monstres – une simple erreur, son caractère surnaturel l’ayant pour ainsi dire placé sur la même “fréquence” que Demogoblin, d’où confusion – le duo se retrouve submergé par d’innombrables hordes en colère et doivent travailler ensemble pour s’en sortir et mettre fin à ce climat de terreur.
Sans surprise, on se retrouve l’habituelle construction “rencontre/malentendu/combat/vérité/alliance” qui existe depuis toujours et qui fini par devenir un peu lourde à la longue. C’est un peu une preuve que cette mini est une publication formatée, suivant un standard probablement sollicité par Marvel que Bruce Jones aura appliqué, le scénariste étant un peu plus imaginatif que ça. D’un autre côté avec seulement trois numéros en tout est pour tout, il n’y avait guère de place pour développer plus intelligemment l’intrigue. L’angle d’approche a sûrement été choisi pour sa simplicité et pour coïncider avec l’agenda de publication de la compagnie.
En fait lorsque l’on analyse le sujet, il est même surprenant que The Enemy Within ne soit pas plus court tant les protagonistes passent de découvertes en découvertes sans vraiment laisser de place au mystère. Les évènements s’enchainent à grande vitesse et lorsque le puzzle est assemblé, tout cela semble un peu… banal. Inutile, si ce n’est pour le fun que l’on peut en retirer. Pas le genre de numéros que vous irez prêter à vos amis si vous espérez les intéresser à Venom, Marvel ou les comics en général.
L’un des exemples les plus flagrant de cette forme d’écriture paresseuse se déroule peu après que le symbiote et Morbius décident de s’associer. Prisonniers des souterrains de San Francisco, ils finissent par suivre un ancien tunnel qui les ramène directement à la surface, en plein dans l’ancienne prison d’Alcatraz. Parfait pour relancer l’enquête et faire s’interroger sur les origines des goblins et de leurs actions. Seulement voilà, le duo repère immédiatement un énième dessin du Demogoblin dans une des cellules, lequel amène à un indice capital: le journal intime du coupable ! Les protagonistes n’ont plus qu’à en lire le contenu pour savoir exactement ce qui se passe et qui tire les ficelles. Pratique.
Un stratagème qui permet à l’auteur de gagner du temps et resserrer l’action, mais qui empêche sincèrement toute implication tant l’excuse est grossière et caricaturale.
L’intérêt il faut le chercher ailleurs, dans les racines horrifiques de cette histoire tout d’abord, qui emprunte autant aux EC Comics (un peu de gore dans les attaques des bestioles, dont une victime énuclée assez surprenante) qu’aux écrits de H.P. Lovecraft et Robert E. Howard via une sorcellerie antique utilisées par une secte adepte du sacrifice humain.
Il se trouve aussi dans les combats de monstres proche de ceux des Universal Monsters, où un mutant extraterrestre, un vampire et un démon se bottent réciproquement le cul avec hargne. C’est l’hommage inattendu aux films de monstres géants, lorsque Demogoblin fini par s’emparer du médaillon mystique contrôlant les créatures, le pouvoir le faisant grandir de vingt mètres de haut ! Il se balade ensuite en pleine ville direction le pont du Golden Gate, tandis que ses légions de petits monstres se massent à ses pieds. Le duo Venom / Morbius a ses moments, notamment dans le fait que le symbiote semble constamment oublier que son partenaire est un vampire, tandis que celui-ci est peu compréhensif du comportement très 90s kid du Protecteur Fatal. L’une des meilleures scènes les montrent attaquer l’antagoniste dans son antre, fracassant une grande fenêtre pour le surprendre: Morbius se demande aussitôt pourquoi ils ne passent pas simplement par la porte principale tandis que Venom tente de lui expliquer la notion d’entrée dramatique.
Bruce Jones rend hommage à son run sur Conan en développant des lieux et objets étranges comme ce trône en pierre perdu au fin fond d’une grotte ou la Librairie de Rhan, qui semble ne comporter que des grimoires maléfiques et dont les membres évoquent les noms “Shoggoth” et “Cthulhu” dans leurs incantations. Enfin, le collier de pierres magiques contrôlant les goblins semble directement provenir de l’univers du Cimmérien.
Et puis il y a les idées sympa, provenant là encore du milieu horrifique où bosse le scénariste depuis ses débuts. Comme le fait que les monstres attaquent dans l’obscurité la plus complète, seules des paires d’yeux rouges apparaissant aux victimes au tout dernier moment. Le corps de Venom est décrit ici comme étant “brillant” en raison de la texture huileuse du symbiote – quelque chose de jamais bien retranscrit en BD car toujours montré par couleurs opaques. Ici ce détail met en avant le côté semi-liquide du personnage, ce qui est plutôt sympa.
Les origines de l’antagoniste évoque un début de segment à la Creepy, puisqu’il n’était qu’un petit truand sans envergure jusqu’à ce qu’il soit témoin d’un sacrifice humain par hasard. Impliqué malgré lui, il est sauvé par l’intervention de la police mais se retrouve collé au trou pour ses délits, avec pour seul bien le collier du grand prêtre qu’il a arraché durant leur lutte. Jugé sans valeur par les hautes instances, l’objet fini par fasciner le voleur qui, détenu à Alcatraz, va se renseigner à travers le rayon “occulte” de la bibliothèque. Comprenant son pouvoir, il commence alors à réaliser des rituels de magie noir depuis le fond de sa cellule…
Même les petits monstres reçoivent un soupçon de personnalité avec le fait qu’ils ne sont pas foncièrement méchant et qu’ils sont simplement forcés d’aider quiconque détient le médaillon. Invoqués lors d’un essaie à Alcatraz, ils espèrent regagner leurs profondeurs ténébreuses une fois leur tâche accomplie avant de comprendre que leur maître ne compte pas en rester là. C’est pour cela qu’il finissent par invoquer à leur tour le Demogoblin, espérant que celui-ci puisse alors les libérer.
L’amateur de BD horrifiques à l’ancienne y trouvera son compte, d’autant plus que les monstruosités ici décrites s’affranchissent de tout historique lié à l’univers Marvel. Pas besoin d’en savoir sur Blackheart, Belasco ou le Fils de Satan pour s’y retrouver ici et le néophyte entrera dans l’histoire sans problème pour peu que Venom lui-même ne représente pas un obstacle.
C’est d’autant plus probant que la mini-série précédant celle-ci, Venom: The Madness, mettait déjà l’anti-héros face à un trio de démons (dont une sorte de sosie du Ghost Rider) dans une intrigue beaucoup plus complexe, intéressante, mais pour le coup beaucoup moins accessible. Le surnaturel, notamment, y était traité de façon beaucoup plus “comic-book”, les entités démoniaques pouvant tout aussi bien être remplacées par des créatures d’une autre dimension ou d’origine extraterrestre.
L’autre bon point, c’est que cet atmosphère propre à Bruce Jones est parfaitement retranscrite avec un illustrateur de talent. Quelqu’un qui va droit à l’essentiel et n’essaie pas d’exagérer son style, comme cela se faisait beaucoup à l’époque: il s’agit de Bob McLeod, entre autre co-créateur des Nouveaux Mutants (une série qui comptait parmi ce que la compagnie à pu faire de mieux… jusqu’à sa récupération par inénarrable Rob Liefeld avec l’arrivée des années 90) et ayant travaillé comme encreur sur une histoire majeure de Spider-Man, La Dernière Chasse de Kraven. Peut-être pas un des plus grands talents de la firme, mais clairement quelqu’un qui a comprit le type d’univers que le scénariste a établit et ne cherchant jamais à réinterpréter celui-ci, ou à déborder afin de marquer la mini-série de sa propre patte.
Reste quand même ce qui touche à l’antagoniste, un peu faible et sans envergure. En fait un simple petit escroc qui sème la zizanie en ville pour s’opposer au maire et prendre sa place en embobinant la population, pensant qu’il pourra ensuite prendre le contrôle de l’état tout entier, voir du reste du monde ! Et cela sans élaborer de plans plus concret que de lâcher des milliers de goblins dans les rues, ignorant visiblement qu’il vit dans un monde regorgeant de super-héros, super-vilains, d’extraterrestres, de robots et de Mutants.
D’un autre côté pas une seule personne ne semble se soucier du sort de Chicago autre que Venom, Morbius lui-même n’atterrissant là que par accident, alors peut-être est-il dans le vrai quelque part…
Mais peu importe, c’est la même logique de comics qui veut que Gotham City possède encore de vulgaires cambrioleurs lorsque Batman et sa clique patrouillent continuellement la ville depuis des années. On ferme facilement les yeux pour se laisser embarquer dans dans les scènes d’action, la mythologie toujours plus folle de l’univers Marvel et l’humour pachydermique des années 90, comme lorsque Venom décrit Morbius comme d’un “hemoglobin-happy zombie with a New York attitude”, avant tout simplement de le traiter de sale snob parce qu’il refuse de lui serrer la main lorsque tout est terminé ! Ceux qui avait adoré le voir jouer au rappeur avec Hulk apprécieront.
Les plus réticents auront aussi pu se laisser tenter à l’époque par la couverture brillant dans le noir du premier numéro, stratégie gimmick au même titre que les cartes à collectionner et les mentions “collector” collées à chaque lancement de nouvelles série. Et si d’ordinaire je suis le premier à rappeler qu’il s’agissait avant tout d’arnaques qui ont contribué à plomber l’industrie, franchement, qui ne voudrait pas d’une couverture où Venom brille dans le noir ?
C’est hélas quelque chose que l’on ne retrouvera pas de nos jours, bien que la même illustration ait été utilisée pour la couverture du recueil sorti en 2013, contenant cette histoire parmi d’autres. Même le titre The Enemy Within lui a été donné, comme si Marvel concédait à dire que cette mini-série est plutôt divertissante ! Pour l’accompagner, le volume regroupe également les deux mini précédentes (Venom: The Madness, cité plus haut, et Venom: Funeral Pyre, un crossover un peu moyen avec le Punisher) ainsi que Incredible Hulk & Venom #1, où à lieu l’improbable rap dont je vous ai parlé.
L’essentiel de la série Venom, en gros, pour ceux qui ne voudrait rien rater. Reste encore cette histoire farfelue où lui et Carnage découvrent qu’ils peuvent voyager à travers l’Ethernet en passant par les écrans d’ordinateur, mais celle-ci a été intégrée dans le recueil Carnage Classic sorti l’an dernier, avec entres autres Mind Bomb et It’s a Wonderfuld Life, déjà chroniqués sur L’Imaginarium. Bref, si vous vous intéressez aux symbiotes, vous savez quoi acheter. Ça vous fera réviser vos “classiques” en attendant l’arrivée prochaine de Edge of Venomverse ce mois de Juin.
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