United States Wrestling Association
Ta-Gar, Lord of the Volcano
Ça ne sera une surprise pour personne d’apprendre qu’un personnage comme Tag-Gar le Seigneur du Volcan provient de l’univers délirant de “Memphis Wrestling”, terme un peu générique désignant généralement la United States Wrestling Association, une promotion fondée en 1989 dans l’espoir un peu vain de concurrencer la WCW et surtout la titanesque WWF malgré des limitations budgétaires conséquentes et un réseau de diffusion télé limité à une chaîne régionale. Si sa création résulta d’une fusion entre la WCCW de Dallas et la CWA de Memphis, elle se retrouva dans la panade dès l’année suivante avec la retrait de sa branche texane suite à des désaccords financiers. Cela explique beaucoup quant à la pauvre qualité de ses spectacles, bien souvent montés avec trois bouts de ficelles et moins de dix lutteurs en stock. Vedette de la compagnie et responsable des bookings, le pauvre Jerry “The King” Lawler dû apprendre à recycler les mêmes gars sous différents rôles, utilisant parfois des masques pour faire cache-misère.
Une situation a priori peu recommandable, mais il l’exploita autant que possible non seulement parce qu’il n’avait guère le choix, mais aussi parce qu’il a toujours été un grand fan de comics et de films d’horreur. Collectionneur de masques d’Halloween et de créatures de série B, le King n’hésitait jamais à piocher dans sa réserve pour créer un heel à l’emporte-pièce et ainsi combler les trous dans son programme. En fait son propre fils Kevin trimballait avec lui un désormais légendaire cahier où il consignait tout un tas de personnages bizarroïdes et de scénarii délirants. C’est de là que provenait la fameuse Christmas Creature qu’incarna Glenn Jacobs avant qu’il ne devienne Kane à la WWF, et c’est certainement de là que provient Ta-Gar, Lord of the Volcano, dont le simple nom devrait suffire pour retenir votre attention. C’est durant l’été 1991 qu’il fit son apparition, pour un court run de quelques semaines seulement (et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi) dont il ne nous reste pratiquement rien faute d’archives.
Fort heureusement sa vidéo de présentation a survécu et il est possible d’en faire l’expérience comme au premier jour: c’est sur l’introduction atmosphérique du Centre of Eternity d’Ozzy Osbourne qu’apparaît une silhouette fantomatique. En arrière-plan, la peinture d’un volcan en éruption sur une île tropicale qui crache sa lave haut dans le ciel, tandis que de petites projections s’écrasent sur le quatrième mur. Bon, en raison de la qualité d’enregistrement et des couleurs délavées par le temps, le rouge infernal du magma a prit une teinte rosâtre et cela donne surtout l’impression de voir le Blob de Chuck Russell dans sa phase larvaire se multiplier sur l’écran, mais passons. Si le nom de Ta-Gar (prononcez Tai-Gar) semble tout droit sortir de Musclor et les Maîtres de l’Univers, l’idée était évidemment de surfer sur le succès alors récent de l’Undertaker, avec chorales et gongs pour renforcer la filiation. Pratiquement invisible sous l’effet de transparence d’un blue screen et de filtres vidéos, le Seigneur prend la parole…
Malgré sa voix grave et grondante à la Shockmaster, il s’avère très éloquent, un peu à la manière du Lord Humungus de Mad Max 2, et ce qu’il nous raconte n’a rien de la banale annonce d’athlète lambda. Ainsi nous explique t-il qu’il a exploré la galaxie à la recherche de combats, laissant derrière lui les corps brisés de nombreux opposants dont il a versé le sang. Cherchant de nouveaux gladiateurs pour tester sa force, il demande à ce que l’USWA lui présente ses meilleurs lutteurs, certain qu’il les détruira puisqu’il peut invoquer le “pouvoir du volcan” et le feu de la lave. Ce qu’il confirme aussitôt en enflammant magiquement l’une de ses mains gantées, présentant un don de pyrokinésie qui lui offrirait un énorme avantage dans un Inferno match. Et c’est sans doute pour cette raison qu’il n’en fit aucun (ça et la question épineuse de sécurité vu les faibles moyens de la compagnie). Parce que ce flambeau serait à peine visible avec l’incrustation sur fond bleu, il fut décidé supprimer tous les effets sur les dernières secondes…
Ta-Gar se révèle alors pleinement à nous et, surprise, il s’agit d’un sosie du Dr. Doom, alias Fatalis chez nous, ennemi juré des Quatre Fantastiques et l’une des figures les plus emblématiques de l’univers Marvel ! Si la tunique verte fut troquée pour une garde-robe noire (dont une veste sans manches en skaï peut-être un peu trop brillante), le masque et le capuchon sont identique à ceux du dictateur de la Latvérie, et il va sans dire que le King était un fan de Jack Kirby, dessinant à ses heures perdues et pensant même rejoindre l’industrie comics si jamais sa carrière de catcheur devait prendre fin. Difficile de comprendre comment la promotion a pu s’éviter une plainte de la Maison des Idées, d’autant plus que la panoplie du Seigneur comporte aussi un bouclier rond à la Captain America qu’il emportait avec lui durant ses entrées. A la place de la bannière étoilée, celui-ci représentait l’image du volcan servant de fond dans sa vidéo d’introduction… et pouvait même cracher du feu !
De petites fusées de feu d’artifices jaillissaient d’un trou minuscule situé près du cratère, que Ta-Gar activait à l’aide d’un mécanisme caché. Le résultat était évidemment pitoyable puisque la production ne pouvait pas se permettre d’utiliser de grosses fontaines à étincelles, mais le concept lui-même demeure suffisamment fun pour faire sourire. En un sens on peut dire que Lawer et son fils ont développé un prototype de la présentation de Kane, lui aussi ganté, lui aussi masqué, et capable de faire jaillir des colonnes de feu par sa seule volonté. Ils tentèrent de l’exploiter à fond cette idée, l’incorporant même dans les combats via un magistral finisher mêlant elbow drop, claw hold et boule de feu. Dans un match contre Randy Johnson (une confrontation anecdotique d’à peine une minute servant surtout à introduire une feud désormais introuvable avec Bill Dundee), le Seigneur tirait en l’air une autre fusée cachée dans son gant avant de tomber coude en avant sur son adversaire prostré au sol.
En bon méchant, il appliquait alors sa main “brûlante” sur son visage sans lâcher prise, forçant l’arbitre à faire sonner la cloche, et il fallu l’intervention de “Super Star” Dundee et d’un coup de chaise sur le dos pour le faire fuir. Il est impossible de dire si ce gimmick était utilisé de manière récurrente puisqu’il n’existe plus la moindre trace de ses apparitions à la télévision en dehors de ce qui semble être son tout dernier match. Un final un rien décevant contre le King lui-même, lequel ne manquait jamais de monstres à affronter en attendant de vrais challengers comme Randy Savage ou Terry Funk. Car étrangement c’est Lawler qui semble ici utiliser des tactiques de vilain, sous couvert d’être concerné par les avantages injustes de son adversaire: il réclame à ce que l’on vérifie les gants supposément renforcés, se plaint plusieurs fois du masque qui pourrait blesser ses poings s’il tape dessus et tente même de le retirer de force, handicapant l’autre catcheur qui doit donc réajuster l’accessoire pour bien voir.
Le plus amusant reste sans doute ce commentateur décrivant l’objet comme étant fait de plastique dur plutôt que de métal, trahissant le kayfabe sans même s’en rendre compte. Mais même si ce dernier tente de jouer sur l’apparence effrayante du personnage (“On ne peut pas voir ses yeux, et si on ne peut pas voir les yeux d’un homme, comment le combattre ?”), le héros de la promotion expédie l’affaire en moins de quatre minutes, mettant un terme aux agissements du Seigneur du Volcan sans grands éclat. Le pire étant qu’à peine la victoire emportée, il est aussitôt attaqué par Eric Embry, un autre heel venu régler ses comptes, causant une distraction alors que Ta-Gar disparaît pour toujours, retournant sans doute à son volcan maintenant éteint. Toutefois grâce à son improbable nom, sa médiocre pyrotechnie et son casque doté d’un rictus permanent et de lentilles aux reflets verts, le Seigneur du Volcan aura su rester dans quelques mémoires et a finir par devenir une petite légende auprès des générations suivantes.
En outre il aura pendant longtemps cultivé le mystère autour de sa véritable identité, puisque le lutteur endossant le costume n’a jamais été crédité. Ni ses partenaires de scène ni l’équipe technique ne savaient qui il était, et encore maintenant il y a de nombreuses spéculations autour de sa personne. Plusieurs noms ont été cité sans preuves: Ole Anderson (uniquement pour la ressemblance avec sa voix, et qui ne bossait pas avec l’USWA), Paul Van Dale (père de Carmella à la WWE, qui a un tatouage au bras que Ta-Gar ne possède pas) ou encore Leonard Gulas (frère de George). Enfin il y a ce Jim Corbit qui ne semble pas exister, et pour cause: l’orthographe est mauvaise ! C’était en fait “Gentleman” Jim Corbett, nom de scène de David Vandiver, ancien bodybuildeur du Tennessee s’étant reconverti dans la lutte. Sur son site, il avoue avoir été non seulement Ta-Gar, mais aussi les mystérieux Lumber Jack et Masked Assassin, ayant traîné du côté de la NWA, de la WCE et de la WWF durant son parcours.
Désormais il écrit des livres de science-fiction pour les jeunes (Vandiye’s Journey of Many Lands) et œuvre comme motivational speaker, organisant des séminaires pour enfants et adolescents afin de les inspirer. C’est sûr, on est loin des ambitions dominatrice du Seigneur du Volcan, mais considérant à quel point le job de catcheur pouvait être dangereux pour le moral et la santé, surtout à cette époque, soyons heureux d’apprendre que Ta-Gar va bien et qu’il a su retomber sur ses pattes après son départ. Quant à ceux qui seraient déçus que le mystère soit finalement résolu, qu’ils se penchent sur d’autres énigmes comme Bota, the Witch Doctor ou Yomamba, the Jungle Savage. Cela devrait les occuper un moment.
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