Action Comics #456
Superman – Jaws of the Killer Shark !
(1976)
Lorsqu’il sort durant l’été 1975, Les Dents de la Mer change à jamais le paysage culturel de notre planète. Son impact peut encore se ressentir actuellement, d’une part parce que Hollywood continu de sortir ses blockbusters courant Juillet / Août comme cela est devenue une tradition depuis le triomphe du chef d’œuvre de Spielberg, mais aussi parce que la Sharksploitation se montre en très grande forme même quarante ans après l’apparition de son premier avatar. De nos jours celle-ci apparait de plus en plus stupide et caricaturale, et nous vient immédiatement en tête des monuments d’imbécilité comme Shark Exorcist, Sharkenstein et autres House Shark. Pourtant il n’a pas fallu attendre notre époque pour voir déferler des copies difformes du mètre-étalon du film de requin, et dès les années 70 quantités de clones plus ou moins fidèles, et plus ou moins détraqués, envahissaient les petits cinémas de quartiers comme les bandes-dessinés. DC Comics ne pouvait pas rester insensible à ce phénomène et, disposant d’un monstre du même genre dans son écurie depuis les Sixties, se décida à le ressortir dès que possible.
Ainsi, quelques mois après les résultats du box office, débarque ce Jaws of the Killer Shark ! dans les pages de Action Comics #456. Une histoire de Superman qui fait la couverture du magazine, l’illustration détournant celle très connue de son modèle et montrant la tête du poisson carnivore sortir de l’eau pour venir happer la cape du super-héros face à une foule de baigneurs horrifiés. Une image qui interpelle et qui donne envie de se plonger dans ce crossover improbable pour voir comment un vulgaire squale peut devenir un ennemi à la hauteur du plus grand des justiciers ! Le lecteur courageux risque cependant d’être fort déçu puisque l’animal – un requin tigre plutôt qu’un grand blanc – n’est en réalité présent que dans la toute première page ! Car en fait d’animal, il est ici question d’un humanoïde mi-homme mi-poisson baptisé The Shark, un super criminel finalement très ordinaire si ce n’est que sa tête est celle d’un carcharodon. Étrangement ses origines ne l’associent pas à Aquaman mais plutôt à Green Latern, dont il partage d’ailleurs l’uniforme spatial.
A l’origine il n’était qu’un animal avant d’être irradié lors d’un accident atomique, évènement qui va le transformer de fond en comble et lui conférer l’équivalent de plusieurs millions d’années d’évolution en quelques minutes. Désormais dotée d’un corps de bipède, la bête va devenir un prédateur d’un nouveau genre, s’attaquant à l’Homme qu’il perçoit comme une proie de choix avec l’aide de ses nouveaux pouvoirs psychiques. Entres autres facultés, il peut sonder les esprits à la recherche d’informations et projeter de la peur chez sa proie qui se retrouve ainsi tétanisée d’effroi (un concept évidement très proche de Sinestro, l’ennemi juré de Green Lantern). Enfin il peut obscurcir la perception d’autrui afin de paraitre plus humain, et ce faisant il s’est même créé une fausse identité civile du nom de T.S. Smith, les initiales tenant pour… Tiger Shark ! Bienvenu au Silver Age, mesdames et messieurs ! Souvent ramené à sa forme de requin après une défaite, The Shark se retrouve parfois enfermé dans un aquarium ou relâché en mer selon les scénaristes mais trouve toujours un moyen de revenir en pleine possession de ses moyens.
C’est le cas dans cette histoire où, exhibé à l’aquarium de Metropolis, il parvient à absorber le cycle d’évolution d’un visiteur, recouvrant alors sa forme humanoïde tandis que la victime, un petit garçon de neuf ans, se transforme en une gelée protoplasmique ! Heureusement que quelques savants consciencieux récupèreront celle-ci afin de permettre à Superman d’inverser le procédé… Quoiqu’il en soit notre créature perd immédiatement tous liens avec le requin des Dents de la Mer et ce qui s’ensuit se trouve être pour le moins ordinaire, voir même anecdotique. Elle parvient à “s’envoler” en générant un torrent d’eau qu’elle peut projeter dans les airs puis remonter physiquement, comme un saumon le fait avec les rivières, atterrissant un peu plus loin sur un ferry où – heureux hasard – se trouvent Loïs et Clark. Feignant de tomber par-dessus bord, le reporter peut facilement se changer en Superman sans que personne ne s’en aperçoive, et surtout pas Loïs qui tente pendant ce temps là de prendre une jolie photo de Shark plutôt que de fuir comme tout le monde. Déformation professionnelle sans doute.
S’ensuit un combat pratiquement ininterrompu entre les deux adversaires, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’à l’époque T.S. Smith était loin d’être un vilain de second rang, tenant assez facilement tête au fils de Krypton période pré-Crisis, ce qui est loin d’être un mince exploit. Parmi ses stratégies, il utilise son champ de force aquatique pour fabriquer des espèces de “comètes liquides” avec lesquelles il bombarde Metropolis pour détourner l’attention du Kryptonien, ou reflète la chaleur des rafales optiques de celui-ci, le forçant du coup à devoir réparer des dommages collatéraux qu’il a lui-même engendré. En fait le scénariste manipule son public puisqu’il nous fait croire jusqu’au bout que le requin a le dessus sur l’Homme d’Acier, le poursuivant sans relâche afin de l’étreindre contre lui pour le noyer. Car en guise d’aura protectrice, le monstre possède une sorte de cocon d’eau qui lui permet de respirer dans notre atmosphère. Mais tel est prit qui croyait prendre car, tout comme il faut régulièrement changer son bocal à poisson sous peine de voir Bubulle s’étouffer, Shark fini par épuiser la réserve d’oxygène présente dans le liquide et s’essouffle donc idiotement.
L’affaire est vite bouclée, et après un message écologique plutôt nébuleux concernant la couche d’ozone (l’antagoniste ayant puisé dedans pour récupérer un peu d’énergie, il a créé un trou, laissant la ville vulnérable aux rayons UV) le requin et le protoplasme retrouvent tous deux leurs formes d’origines. Sympa, Superman va même jusqu’à renvoyer son ennemi à l’océan en supposant que la perte de son schéma évolutif l’a fait mentalement régressé au point de redevenir un banal animal. On aimerait bien lui dire que cela ne l’a pas empêché de revenir par le passé, mais l’Homme de Demain est parfois un peu naïf. Et l’histoire de se conclure tout aussi sottement avec l’idée que notre héros doit désormais trouver un moyen de réparer la couche d’ozone avant que les citoyens de Metropolis ne souffrent de quelques “coups de soleil” supplémentaires ! D’aucun penseront qu’il s’agit d’une situation bien plus dangereuse que la banale évasion d’un super-mutant, et pourtant cela nous est présenté comme s’il ne s’agissait que d’une petite broutille sans importance. Avec une mentalité pareille ce n’est pas étonnant que notre planète soit dans un tel état…
Quoiqu’il en soit, ce Jaws of the Killer Shark ! ne laissera pas un souvenir impérissable avec ses treize petites pages et sa couverture mensongère. Voilà une aventure plutôt basique qui ne branchera que les amateurs de bandes-dessinées vintage, même s’il faut reconnaitre que l’action reste très divertissante et qu’il y a là un charme rétro non négligeable. L’auteur, Cary Bates, demeure un vétéran du genre tandis que l’artiste, Curt Swan (co-créateur de Supergirl, ici secondé par Tex Blaisdell à l’encrage, un autre vieux de la vieille) sait parfaitement comment dynamiser même les scènes les plus anodines et sublimer la stature héroïque de Superman. Il s’éclate aussi beaucoup avec le travail de perspective lorsque ce dernier s’envole, ce qui modernise l’air de rien l’aspect visuel pourtant plus tout jeune du comic-book. Quant à The Shark, il viendra souvent rendre visite à Aquaman par la suite, devenant un méchant récurrent dans l’écurie DC au point de même faire une apparition dans le big event légendaire Crisis on Infinite Earths.
DC vs Marvel.
Mon adolescence 😉