Roots Search
(1986)
“We’re going to be tortured and killed by God ? Hahaha, what an honor !”
Noyé dans la masse et dans le temps, Roots Search est un film désormais oublié de tous, perdu dans l’immense catalogue de la Nippon Columbia où l’ont peut retrouver d’autres naufragés comme Final Fantasy: Legend of the Crystals et le délirant Mutant Turtles: Superman, où nos tortues ninjas préférées deviennent des héros de sentai en armures étincelantes. Son réalisateur, Hisashi Sugai, est un fantôme dont ne sais rien si ce n’est que la même année, en 1986, il participa à la production de MD Geist, également distribué par le label. Se retrouvant sans véritable expérience aux commandes de cette OVA d’une quarantaine de minutes, il aura au moins le bon sens d’engager quelques talents efficaces comme le scénariste Michiru Shimada, qui roulait sa bosse sur des séries cultes (Dr. Slump, Dragonball, Lamu), devenant progressivement un vétéran de l’industrie que l’on retrouve encore de nos jours sur de gros titres (Little Witch Academia, One Piece).
Ensemble ils accouchent d’un petit one shot qui trouve principalement son inspiration dans Alien, mais qui emprunte aussi à The Thing de John Carpenter, à commencer par son titre japonais (遊星からの物体 X, ou The Thing From Planet X), puisqu’il se nomme en réalité ルーツ・サーチ 食心物体 X, ce qui se traduit assez difficilement mais donne quelque chose comme Roots Search: Life Devourer X ou Gluttonous Object X, avec les mots food, eating heart et mind qui apparaissent en fonction de comment l’on découpe les kanji. Un nom très mystérieux, c’est sûr, mais que l’on peut à peu près expliquer à la vision du film. Roots Search, c’est la recherche de nos racines, un thème similaire à celui de Prometheus mais employé ici de façon plus spirituelle, l’héroïne se posant des questions philosophiques sur le sens de la vie et la raison de l’existence de l’Homme dans l’univers. Théologique aussi, puisqu’elle parle d’emblée de Dieu comme notre créateur.
Object X, ou la Créature X pour dire les choses correctement, c’est évidemment l’extraterrestre, menace sans nom et d’ailleurs sans forme qui va venir attaquer l’équipe d’une petite station spatiale. Inutile d’expliquer en quoi il se rattache aux termes de dévoreur et de glouton, mais les heart / mind ciblent en fait l’esprit plutôt que le corps, le monstre n’étant pas une simple bestiole carnivore venu satisfaire son appétit mais une entité lovecraftienne capable de sonder notre cœur, notre âme ou nos pensées, pour y trouver nos secrets les plus sombres et les retourner contre nous. C’est ainsi que le Tolmetskius, une base en orbite servant de centre de recherche sur les perceptions extrasensorielles, fait une rencontre du troisième type après qu’un vaisseau de guerre manque de les percuter, son équipage ne répondant pas. Aussitôt la jolie Moira, sujet d’expérience, est prise d’horribles visions qui lui montrent la mort atroce de ses camarades.
Répondant au SOS venant de l’astronef, les scientifiques s’y rendent pour découvrir que tous ses membres ont été massacré à l’exception d’un rescapé blessé, Buzz, qu’ils ramènent à bord de leur installation. Ils trouvent aussi le corps sans vie d’une sorte de monstre, humanoïde albinos et filandreux qui ressemble un peu à Swamp Thing mais avec une bouche en forme de vagin denté. Mal à l’aise, le capitaine ordonne immédiatement sa destruction et la chose est expulsée dans l’espace. Hélas il ne s’agit pas d’un être ordinaire et celui-ci revient à bord comme par magie, semblant se recréer à partir de rien. Alors que le survivant reprend conscience et tente de les avertir du danger, les membres du Tolmetskius vont être victime de phénomènes surnaturels trouvant tous racines dans leur passé trouble. Ainsi l’OVA fonctionne sur le même principe que La Galaxie de la Terreur où les peurs profondes des personnages prenaient forme pour les attaquer.
Ici ce sont leur culpabilité, leurs démons intérieurs qui viennent les hanter sous la forme d’une justice divine: des fantômes surgissent pour réclamer leur dû, comme cette jeune femme s’étant taillée les veines à cause du comportement volage de son petit ami, ce soldat abandonné par un camarade lâche ou ce patron contraint au suicide suite aux magouilles d’un partenaire cupide. Et peu importe qu’ils reconnaissent leurs fautes ou non, la Créature X les punira: l’un est empalé par une série de pieux projetés par télékinésie, transperçant son corps dans de grosses gerbes de sang, un autre est guidé à son insu dans le sas d’éjection dont la pression le fera exploser comme un ballon de baudruche, et un dernier va se liquéfier, réduit à l’état de masse organique frémissante. Comme souvent lorsqu’un clone d’Alien s’engage dans une direction de ce genre, les raisons derrière les attaques sont assez délirante, et Roots Search ne fait pas exception à la règle.
A la manière de The Dark Side of the Moon, où une navette rencontrait le Diable lui-même à travers un passage cosmique reliant la Terre à la Lune, le monstre se présente non pas comme un vulgaire envahisseur venu du cosmos mais comme le messager de Dieu ! Selon lui le Seigneur aurait rendu le Jugement Dernier sur l’Humanité, la condamnant pour ses innombrables péchés, et son envoyé est là pour nous tuer tous jusqu’au dernier. Intriguant, d’autant que lorsque celui-ci révèle sa véritable forme, elle s’avère très H.R. Giger dans l’âme et plus proche d’un être démoniaque qu’autre chose (imaginez un virus uniquement composée de corps humains enchevêtrés les uns dans les autres) et Moira refuse même de le croire après avoir sondé ses pensées: elle ne détecte absolument rien de divin en lui, ne ressentant que sa haine et sa soif de sang. La réponse de la créature ? Elle lui rit au nez comme un vulgaire vilain d’opérette ! C’est sûr, la menace en prend un peu un coup…
Mais l’air de rien cela semble indiquer que l’héroïne à raison, d’autant qu’elle et Buzz n’ont absolument rien à se reprocher, forçant l’antagoniste à s’en prendre à eux physiquement, comme un vulgaire agresseur. Il devient un gigantesque blob doté d’un second corps insectoïde capable de cracher des tentacules péniens, lesquels vont évidemment venir ligoter la jeune fille (sinon ça ne serait pas drôle). Une dernière partie beaucoup moins imaginative du coup, et qui nous prive d’un duel psychique et idéologique entre Moira et le monstre alors que tout indiquait que nous y aurions droit. Il faut dire qu’avec moins d’une heure au compteur, les choses bougent trop vite et le film ne prend jamais le temps de creuser ses idées. Et le budget est minuscule comme l’attestent l’animation limitée, le chara design peu inspiré et les décors simplistes qui rendent le film peu attirant malgré son esthétisme 80s désormais charmant par son côté âpre et rétro.
Seule l’héroïne s’en sort un peu, mignonne avec ses grands yeux et son petit chapeau, ainsi que les looks des vaisseaux spatiaux signés Yasuhiro Moriki (Angel Cop, Lily C.A.T., MD Geist) et des horreurs organiques générées par la Créature X. Ce n’est pas grand chose en vérité, et cela associé à l’intrigue un rien barrée fait que beaucoup rejettent cette OVA, en déconseillant généralement sa vision. Dommage car il y a plein de petites choses qui valent le coup d’œil ici, dans les visuels comme dans la narration: le fantôme flottant de cette femme nue qui esquive en riant les tirs laser de son ancien amant, une force surnaturelle obligeant un garde à se tirer dessus avec son propre désintégrateur, la reprise du plan d’ouverture de La Guerre des Étoiles, avec son très long vaisseau passant au-dessus de la caméra. Le Tolmetskius évoque le casque des Space Jokeys et Buzz est rendu aveugle juste après avoir enclenché le mécanisme d’autodestruction, se retrouvant incapable de fuir…
Mais surtout il reste la possibilité que Moira puisse avoir raison concernant la bête qui manipulerait alors nos concept religieux contre nous, la notion de christianisme étant soulignée ici par le fait que tous les personnages sont occidentaux. Un concept original et intéressant qui trouve écho dans un épilogue similaire à celui de L’Au-Delà de Lucio Fulci. En cours d’histoire, Moira embrasse Buzz et entrevoit ainsi un avenir en apparence idyllique: ils sont nus et seuls comme Adam et Eve dans une sorte de grand jardin, et de leur union va naître un bébé. De quoi nous assurer qu’ils s’en sortiront malgré la situation désastreuse dans laquelle ils se retrouvent à la fin, piégés alors que la station explose. Et pourtant ils se retrouvent catapultés dans une autre dimension, sorte de cave organique apparemment entièrement composée de corps humains, comme le prouve ces cadavres enchevêtré aux parois (une imagerie très Alien dans l’âme encore une fois).
Ils ont sans doute été englouti par le monstre sous sa véritable forme (cet espèce de virus organique géant) et Moira compare l’endroit à l’Enfer. Les voilà à errer en territoire inconnu tel Catriona MacColl et George Warbeck, avec même l’image tournant au sépia durant le dernier plan. Cependant une petite touche d’espoir réside en la présence d’un tunnel d’où brille une lumière, et l’héroïne trouve confiance en cette vision d’un avenir serein qu’elle a eu précédemment. Un sacré épilogue que l’on peut interpréter à toutes les sauces: sont-ils sauvés par la divine intervention et vont-ils rejoindre le Paradis ? Y a t-il vraiment quelque chose pour eux au bout du tunnel ou hallucinent-ils sous contrôle mental ce bonheur possible ? On peut alors se demander si, dans la vision de la jeune fille, l’image de son enfant contenu dans une bulle et s’envolant vers la Terre pourrait en fait symboliser l’envol du monstre vers notre civilisation.
Et qu’en est-il de sa déclaration à propos de ces dons de précognition, “c’est plutôt comme si je me souvenais du futur” ? Bref, il est possible que je suranalyse et que Roots Search ne soit que du flanc avec son discours religieux cryptique, n’étant en fait qu’une petite série B à bas budget torchée par quelques inconnus à une époque où l’industrie était en plein boom. Il n’empêche qu’il propose malgré tout quelque chose qui le différencie un peu des autres et ne mérite pas le mépris dont il est victime. Cela étant dit il est vrai qu’il existe de bien meilleurs représentants du même genre (Lily C.A.T.) et la disparition de cette OVA dans les limbes de l’animation japonaise est tout à fait justifiée. De nos jours elle s’adressera principalement aux fans d’horreur, de curiosités et d’animes vintages. Comme le diraient ceux qui ne veulent pas se mouiller: I enjoyed it for what it was.
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