Ringo Lam (1955-2018)

 

Dans une interview pour le site easternKicks.com, Ringo Lam dit “Je ne veux pas regarder les informations… trop de violence”. Il aurait aussi bien pu dire que ce que l’on y trouve est trop dépressif. Et ainsi, quelques heures avant le nouvel an, l’année 2018 nous offre son dernier coup de pute avant de disparaitre, emportant avec elle le réalisateur hong-kongais âgé de seulement 63 ans. S’il n’était pas aussi célèbre que ses compagnons John Woo et Tsui Hark, il fut quand même l’auteur de films mémorables et fondateurs qui marquèrent, dans les années 90, la nouvelle vague du cinéma chinois. Et une révolution dans le genre Action. Il laisse derrière lui plusieurs œuvres dont au moins un incontournable: le polar City on Fire, avec Chow Yun-Fat. L’histoire d’un pauvre flic qui se retrouve plus ou moins forcé de jouer la taupe chez les criminels pour mettre un jour un dangereux gang de braqueurs de banques et de tueurs de flics. Mais avec le temps il fini par découvrir ces hommes qu’ils voyaient comme des ennemis de la société et fini par se lier d’amitié avec l’un d’eux, pourtant l’assassin de certains de ses collègues. La conclusion, tendue et très sombre, inspira grandement Tarantino qui en fit un quasi remake avec son premier film, Reservoir Dogs.

 

 

Mais Lam est responsable de bien d’autres morceaux de pellicules ravageurs. Son premier film, Mad Mission 4, lui donna la lourde tâche de succéder à Hark avec cette délirante parodie de James Bond pleine de gadgets improbables, de cascades stupéfiantes et d’un humour typiquement chinois. Le succès est tel que le producteur, Karl Maka, le remercia en lui offrant un chèque en blanc pour son prochain projet. Une aubaine qu’il utilise pour faire City on Fire, qui lui valu le prix du meilleur réalisateur au Hong Kong Film Festival. Vient ensuite Prison on Fire, suite « thématique » (remarquez la ressemblance des titres) toujours avec Chow Yun-Fat, mais aussi Tony Leung, auquel il donna une suite et dont l’influence se retrouve sur le Island of Fire avec Jackie Chan et Sammo Hung, qui en récupère plus que quelques idées. Avec Guerres de l’Ombre, le réalisateur s’ouvre à l’international et engage la sublime Olivia Hussey de Roméo et Juliette et Black Christmas, ainsi que Vernon Wells, inoubliable punk de Mad Max 2 pour les besoins de ce nouveau film noir. Suivit Double Dragon, une kung-fu comedy avec Jackie Chan et Maggie Cheung dont il partagea la mise en scène avec Hark, et l’explosive Full Contact qu’il ne faut surtout pas confondre avec le film de Jean-Claude Van Damme. Une série B magistrale où Chow Yun-Fat, Simon Yam et Anthony Wong font littéralement tout exploser.

 

 

Il délaissa un court instant les pistolets pour le très brutal Temple du Lotus Rouge, film d’art martiaux dont le titre original, Burning Paradise, résume assez bien les choses. Produite par Hark, cette adaptation d’un classique de la littérature chinoise s’éloigne drastiquement du style “aventure” fun et léger des Il Était une Fois en Chine pour livrer une représentation plutôt cauchemardesque d’un massacre de moines Shaolin par le peuple Mandchous. Un film visuellement impressionnant qui se solda par un échec cuisant au box office. Sans doute l’une des raisons qui poussa Lam à tenter sa chance aux États-Unis comme ses compères Hark, Woo et Kirk Wong, accouchant d’un Risque Maximum généralement oublié. Et si le film n’est effectivement pas ce qu’il y a de plus marquant, il demeure intéressant dans sa comparaison avec les autres films “HK / US” de l’époque. Ici pas question de câbles, de pirouettes et de visuels exagérés et tape-à-l’œil. Le cinéaste demeure extrêmement réaliste, jouant avant tout sur le côté sombre de son intrigue, et offrant à Jean Claude Van Damme un rôle bien moins caricatural que ceux qu’ils pouvait trouver avec Hark et Woo.

 

 

Le film a aussi pour lui de nous montrer les jolis seins de Natasha Henstridge, et il fut sans doute responsable de la popularisation de cette grosse pétoire qu’est le Desert Eagle, pistolet que l’on retrouva par la suite fréquemment dans les jeux vidéos avec Resident Evil 2 et les Tomb Raider. Au-delà de ça, ce projet marque une étape importante dans la carrière du karatéka belge, alors au bout du rouleau. Non seulement sommes-nous vers la fin du genre Action à l’ancienne avec ses gros bras que tout le monde trouve ringard, mais l’acteur lui-même traverse une mauvaise passe entre prise de drogue et prise de tête par conflit d’égo. Avec Lam, il se trouve cependant un allié qui revint le voir lorsqu’il était au plus bas et lui sorti la tête de l’eau avec deux films qui impressionnèrent même ceux qui aimait critiquer la star. Le plus connu est Replicant, où pour la première fois depuis longtemps JCVD incarne un méchant. Un psychopathe ultra violent qui a Michael Rooker aux fesses. Incapable de l’arrêter, la police s’associe avec des scientifiques qui vont cloner le criminel, espérant que ce double puisse les renseigner sur la façon d’agir et de penser de leur cible. Celui-ci est traité comme un chien par son surveillant, mais son innocence va permettre à l’inspecteur de retrouver une humanité égarée par sa lutte incessante avec le tueur en série qu’il poursuit.

 

 

Beaucoup moins célèbre, In Hell, qui pourrait presque être Prison on Fire 3, montre comment un homme qui a tout perdu lors de l’assassinat de sa femme se retrouve incarcéré pour avoir voulu se faire vengeance… et sombre encore plus loin en raison de cet univers carcéral corrompu où des combats entre prisonniers sont organisés par les gardiens. Loin de ses rôles de grands héros adeptes du high kick, Van Damme devient un monstre humain qui régresse au point de devenir un animal. Mais là encore la chaleur humaine existe quelque part et son identité lui sera restituée suite à une rencontre inattendu avec un autre détenu. Enfin il convient de mentionner l’étrange Triangle qui se situe quelque part entre le drame criminel et le film d’aventure, et qui est composé à la manière d’un cadavre exquis en trois parties écrites et tournées par différents cinéastes. Lam y retrouve Hark mais aussi l’excellent Johnny To pour une histoire qui part un peu dans tous les sens mais se montre très intrigante tant dans son point de départ (trois mecs en besoin d’argent pensent pouvoir régler leurs problèmes avec un trésor ancien à la valeur est inestimable, et passent leur temps à se courir après en fonction de qui pique le butin aux autres) que par son assemblage chaotique de styles et d’intrigues.

 

 

Le dernier film de Lam, Sky on Fire, vit le jour suite au décès de sa mère qu’il n’arriva pas à accepter. Hanté par l’idée d’être impuissant face à la maladie et aux aléas de la vie, il injecte dans ce thriller l’idée d’un remède miracle qu’il convient de protéger à tout prix. Une sorte de coup de tête qu’il scénarise et réalise rapidement sans se soucier de si cela fonctionne au non. Le résultat est une déception faute d’un bon script et d’une mise en scène précipité, et peut-être était-ce une erreur artistiquement parlant que de se lancer si vite. Mais nul doute que quelque chose devait le ronger fortement et il y a peut-être désormais quelque chose à extraire de tout ça. Si les circonstances de son décès ne sont pas encore très claires (il fut retrouvé inanimé dans son lit, hier, par son épouse), il faut admettre que la disparition de sa parente et son dégoût de plus en plus visible par le contexte socio-politique de son pays (“J’aime et je hais cet endroit” disait-il), qu’il dénonçait fréquemment, y sont certainement pour quelque chose. Il nous quitte hélas bien trop vite. Parmi les premiers à faire quelques commentaires, Jean-Claude Van Damme, se déclarant être profondément attristé par la nouvelle, et Daniel Wu, acteur principal sur Sky of Fire, qui le décrira comme un véritable maestro avant de rajouter que Ringo Lam nous manquera. Il a absolument raison.

 

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