MERRY CHRISTMAS
Des choses bizarres, ça m’arrive tout le temps. Et tout le temps je me dis que je ne pourrais jamais tomber sur pire. Et bien sûr à chaque fois, je tombe sur toujours plus bizarre… Et c’est le cas aujourd’hui. Car cette fois, il n’était pas question d’un monde futuriste ou moyenâgeux, pas plus que d’une planète de Tortues Ninjas en guerre contre un Casimir grand comme Godzilla, ou de mon intrusion problématique dans un monde religieux où Dieu existerait vraiment (ce que, en tant qu’athée, je ne peux concevoir). Et il n’était pas non plus question d’un grand requin blanc, fruit d’une peur enfantine, en pleine piscine public. Alors qu’est ce qu’il y avait de bizarre cette fois? Et bien du blanc. Du blanc partout, que ce soit autour de moi ou dans ma tête. Un néant absolu. Et je me tenait là, dans cette immensité de vide, sans même savoir comment j’avais atterrie ici, ni où je me trouvais. J’étais confuse et désorientée, le corps engourdie et les jambes en coton. Et surtout une migraine épouvantable. J’eus beau essayer de comprendre, je n’y arrivais pas. J’étais complètement déstabilisée. Et j’avais froid.
Je fis un pas, puis un autre. Mon cerveau embrumé sembla réticent à fonctionner et à analyser. Pourtant, des associations de mots me permirent de retrouver progressivement la mémoire. “Froid” devint “hiver”, et “blanc” devint “neige”. Tandis que j’avançai, je commençai à faire des liens. “Neige” et “hiver” me firent penser à “Noël” et “flocons”. J’avais beau n’avoir que très peu d’expérience pour une Ambrienne, je me doutais que tenir des pensées aussi incohérentes en marchant risquait de me faire influencer Ombre. Mais n’étant pas très éveillée pour l’heure, cet auto-avertissement me vint trop tard.
Je levai la tête en sentant quelque chose. Il neigeait. Et je m’arrêtai subitement en voyant les flocons. Ceux ci avait la taille de cannettes de 33cl, et flottaient doucement en l’air, éclatant comme des bulles de savon au moindre impact, que ce soit au sol ou sur moi. Mais ce n’était pas seulement ça qui était étrange. Non, ce qui me perturbai, assez grandement je dois dire, c’était que ces flocons de “neige” étaient tous de petits Pères Noël !
Éberluée, je regardai tout cela sans rien comprendre. Je savais seulement que j’étais prise sous une pluie de petits bonshommes habillés de rouge qui tombaient au ralentit. Ils avaient des postures différentes, certains étant “allongé”, d’autres debout sur un pied, ou bien levant un bras pour saluer. Cela me fit un instant penser aux différentes formes des cristaux de neige. Et a des petits jouets. Tournant les talons, je me remis à marcher et à essayer de faire le point. Noël. Voyons… Une soirée, Vincent… Bien, alors je devais sûrement avoir fait le réveillon de Noël avec Vincent. Ma tête était lourde, et la pluie incessante des petits bonshommes me donnaient le tournis. Heureusement, je parvenais petit à petit à retrouver la mémoire. Le soir de Noël, avec Vincent… Nous deux devant un film… Bon, ça n’avait pas d’importance réelle mais quelques images de ce film me traversèrent l’esprit. Des chevaliers, des châteaux forts…
Et bien sûr, un grand château de pierre apparut devant moi. Il me rappelai celui du film. C’est alors qu’une forme apparut entre les créneaux. Il était habillé comme un garde et portait une légère moustache façon “Mousquetaires du Roi”.
– Who goes there ?!, fit-il.
Il avait beau parler anglais, quelque chose n’allait pas avec son accent.
– I’m sorry, lui criais-je d’en bas.
L’homme me repéra et gesticula comme un mime. Ce type n’était vraiment pas un simple garde.
– What do you want ?!
– I think I’m lost and…
– I don’t care, you stupid ugly english girl !
– What ? And you, who are you ?!
– I’m french ! Where do you think I’ve got this outrageous accent ?!
– But I’m…
Je m’arrêtai. Mais qu’est-ce que c’était que ce bordel ?
– Eh, je suis française aussi !
Il se retourna et sembla parler à d’autres personnes.
– Fétchez Santa Claus.
– What ? fit une voix.
– Fétchez Santa Claus !
Bon, j’avais compris. Tout ça provenait du film Monty Python and the Holy Grail. Mais lorsque j’entendis le bruit d’une catapulte, ce n’était pas une vache que l’on me “fétcha” mais un gros Père Noël (taille réelle celui-ci) , que je vis partir au loin bien au-dessus de moi, tout en gesticulant et faisant “Oh-Oh-Ooooooooh” (ce dernier “Oh” devenant de plus en plus faible comme il s’éloignait de mon champ de vision).
– Now get out or I repeat a second time-euh !
Mieux valait ne pas le vexer et je me retirai sur le champ, non sans résister à l’envie soudaine de mimer être à cheval. Derrière moi, les “français” me lancèrent des noix de coco et des hirondelles tout en criant “A witch ! Burn the Witch !” comme des possédés, tandis que la pluie de Pères Noël s’éteignit. Je commençai à me demander si je n’étais pas entrain de rêver, mais je sentais nettement Ombre tout autour de moi. J’étais belle et bien coincée dans un monde délirant. Mais comment cet endroit pouvait ressembler à une hallucination aussi folle de ma part ?
Alors que j’y réfléchissais, et qu’un flash-back me montra Vincent et moi boire quelques verres de champagne pendant la soirée, le bruit du vent se fit entendre et le sol prit comme la composition de la neige, mais sans en devenir. C’était comme-ci le sol faisait le bruit de la poudreuse sous mes pas tout en restant solide. Complètement dingue. Aussi je commençai à me demander si je n’étais pas entrain d’influencer cette Ombre involontairement à cause d’une substance nocive. Après tout, on m’avait déjà averti que l’usage de la drogue pouvait amener un Ambrien à transformer ses hallucinations en réalité. Est ce que j’étais ivre ? Ma migraine pouvait effectivement être dû à une gueule de bois.
Apparemment encore sans aucun contrôle de moi-même, je renonçai à tenter une influence véritable (la migraine étant trop forte) et continuai d’avancer. Le problème était qu’il se mit a faire encore plus froid qu’avant. Comme si j’arrivais au Pôle Nord (ne dit-on pas que c’est là que vit le Père Noël ?). Puis je vis une petite forme noire, au loin. Elle se mouvait et venait à ma rencontre. Lorsque nous nous trouvâmes face à face, je fus à peine surprise de constater qu’il s’agissait d’un pingouin.
Celui-ci était très mignon et me dévisagea un instant avant d’ouvrir le bec et de parler avec une voix d’enfant.
– Slide !
Puis il partit sur la gauche et se jeta sur le ventre pour glisser sur le sol comme s’il s’agissait d’une plaque de verglas. Je me promis intérieurement d’arrêter de regarder Fight Club aussi souvent. Et allez savoir pourquoi, je me mis à le suivre. En chemin, nous croisâmes une famille d’ours blancs tenant de petites bouteilles de coca dans leurs grosses pattes (non, ne me demandez pas comment ils font !), regardant un ciel inexistant. Enfin pas si inexistant que ça car en levant la tête, je vis une sorte de “tâche” noire avec une multitude de petits points scintillants, et quelques comètes qui passaient çà et là. Les ours se détournèrent à peine de leur spectacle pour nous regarder avant de retourner à leur occupation. Bon… Si les pubs s’y mettaient maintenant… Je devais vraiment être pompette à cause champagne… Après tout, je ne tiens pas l’alcool et ne bois jamais.
Le pingouin continua de glisser et moi de le suivre en grelottant, jusqu’à ce qu’un changement de relief ait lieu sur le terrain. L’immense surface plate devint une région de collines et de dunes de neige argentées. Mes jambes s’y enfonçaient jusqu’aux mollets et j’éprouvais des difficultés pour avancer. Et j’étais trop désorientée pour effectuer une quelconque influence en Ombre, même si ma migraine semblait s’être atténuée. Je devais commencer a désaouler. Heureusement mon petit compagnon glissait lentement et je pouvais le suivre.
Après une petite montée (oui, oui, le pingouin glissait en montant), je le vis sauter du sommet de la dune et disparaître de mon champ de vision. Je le suivi et le retrouvai quelques mètres plus loin, faisant la queue avec une trentaine de ses congénères, jusqu’à une forme solide assez haute, sorte de petite montagne de glace de quelques mètres de haut sur laquelle ils grimpaient avant de s’en servir comme plongeoir. Sur la droite, je remarquai de petits bâtons plantés à intervalles réguliers, comme pour noter une distance.
Laissant là mon petit camarade, je longeais la file d’attente pour atteindre le plongeoir de glace. Je fixais le pingouin qui s’y trouvait. Ce dernier sauta et disparut de mon champ de vision jusqu’à ce que j’entende un gros “PAF”. Je le vis soudainement réapparaître, planant au-dessus du sol marqué par des piquets. L’animal atterrit tête la première dans la neige molle et je vis ses petites pattes se débattre. Il se dégagea pour aller rejoindre les autres tandis qu’un second pingouin prit sa place sur le plongeoir.
Je contournai la masse de glace pour y trouver un être impressionnant , mesurant dans les trois mètres de haut , couvert de fourrure blanche.
– G… George, c’est toi ?!
Je n’en revenais pas. C’était bien mon yéti, le même que j’avais rencontré quand mon père m’avait fait visiter Ombre pour la première fois. Celui qui m’avait dragué et qui était matelot sur un galion volant !
L’adorable homme des neiges posa sa massue en me voyant et poussa un petit bruit guttural digne de Chewbacca. Comment pouvait-il se trouver là ? Question con… Quant on bosse sur un navire volant… Quoi qu’il en soit, il ouvrit grand les bras et me souris de toutes ses dents pointues. Je me sentis contrainte de l’étreindre. Les pingouins nous entourèrent, grimpant sur le plongeoir ou sur le Sasquatch lui-même. Celui-ci lâcha une série de grognements, comme d’habitude, auxquels je ne compris rien, comme d’habitude. Par contre, j’eus nettement l’impression d’avoir totalement retrouvée mon état normal (le fait que je sois frigorifiée excepté). En claquant des dents, je lui expliquai que je ne pouvais pas rester avec lui et qu’il fallait que je rentre chez moi. Le gros velu poussa un grognement de déception mais me caressa la tête. Je m’inclinai pour le saluer et m’excusai avant de partir. Je leur adressai un signe de la main auquel tous répondirent, agitant leurs petites ailes (pour les pingouins) ou un minuscule mouchoir blanc en versant une larme (pour George).
Je m’éloignai en accélérant. Il fallait que je retrouve Vincent, il devait m’attendre. Enfin en espérant qu’il n’y ait pas de décalage temporel trop important entre ce monde et la Terre. Me dépêchant, je modifiais peu à peu Ombre pour lui faire retrouver l’aspect de mon monde. Je croisai en chemin un vol de flamants violets puis, sur le bord d’une route, un écureuil qui me fit des appels de phares avec une lampe torche. Pas de doute, j’étais encore un peu bourrée. Je m’étais complètement imbibée de champagne et avait laissée mon delirium influencer Ombre lorsque j’avais voulu me rendre à la cuisine… Qu’elle idiote je fais ! Heureusement que mes pensées étaient complètement innocentes.
Bientôt je me retrouvai sur Terre, non loin de chez moi. Il faisait encore nuit et nous étions toujours dans la nuit du 24 au 25 décembre d’après ce que je pouvais voir dans la rue. Avec un soupire de soulagement je regagnai ma maison.
Une fois devant chez moi , j’eus la mauvaise surprise de trouver la porte fermer à clef. Je me mis alors à tambouriner dessus comme une malade.
– Vincent ! Ouvre la porte ça caille !!
J’attendis quelques secondes avant qu’il n’ouvre. Il me fixa avec un air ahuri (mais trop mignon !).
– Ben ? Qu’est ce que tu fous là ?!
– Est ce que j’t’en pose des questions ?!!
Je le poussai pour entrer et me plaquer contre un radiateur. Vincent ferma la porte et me regarda sans comprendre.
– T’allais à la cuisine non ?
– Oui.
Il se gratta la tête.
– Tu t’es perdue dans les couloirs ?
– J’ai eue… Quelques complications…
Il me regarda puis son visage s’illumina.
– Oh je vois… Tu vas bien ?
– Je suis morte de froid.
– Je vois… Faudrait voir à pas trop forcer sur le champagne, hein ?
Je secouai la tête.
– Viens m’aider à me réchauffer au lieu de dire des âneries !
Il me gratifia d’un grand sourire que je lui rendis sans problème. Puis il m’enlaça.
– Et ton cadeau ? , fit il.
Je l’embrassais pendant une éternité.
– Ça reviens au même je suppose, non ?
Il sourit.
– Et attends de voir mon cadeau à moi, fis-je.
Nous nous étreignîmes plus fort et finîmes par tomber à la renverse. Sans importance…
Et joyeux Noël Natasha !
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