Nintendo Entertainment System
Master Chu and the Drunkard Hu
(1989)
Voilà un jeu dont la réputation n’est plus à faire. Master Chu and the Drunkard Hu nous provient de Taïwan, qui n’en déplaise au CCP est un pays différent de la Chine, et fut développé par la compagnie aux multiples noms Sanchen, alias Thin Chen Enterprise, alias parfois Commin ou Joy Van lorsqu’il s’agissait de développer des jeux vidéos de consoles à la mode, dont notamment la Famicom / NES pour laquelle elle produit plus de 70 titres différents. Des titres produits sans l’aval de Nintendo bien sûr, faisant de la société le plus gros créateur et distributeur de cartouches NES bootlegs à l’époque, ce qui n’est pas un mince exploit. Naturellement cela signifie que ce side scrolling n’a pas écopé du fameux Nintendo Seal of Quality, et cela ressent immédiatement à travers son nom anglais, qui jamais n’aurait pu utiliser le mot “ivrogne” s’il avait été soumis au circuit officielle. Malheureusement c’est là où le fun s’arrête puisque cela signifie que la chose n’a pas non plus passé le moindre contrôle concernant son fonctionnement, de l’affichage graphique au gameplay, et comme on peut s’y attendre le résultat laisse à désirer.
Victime d’une programmation discutable, le jeu se retrouve bourré de bugs et surtout d’une jouabilité chaotique où rien n’est correctement balancé. Des plateformes invisibles se retrouvent dans des endroits inattendus, les enemis les plus simples encaissent de nombreux coups avant de mourir et certaines touches demandent de la patience pour être maitrisées, notamment le bouton du saut qui s’opère avec la flèche “haut” de la croix directionnelle et qui propulse le personnage dans les airs comme une fusée. Enfin certains choix sans conséquences véritables peuvent quand même taper sur les nerfs, comme cet item servant à devenir invincible pendant quelques secondes qui émet un son strident tout le temps de son utilisation. La musique est la même mélodie qui passe en boucle durant chaque level (heureusement pas si mauvaise) et visuellement c’est une véritable purge, avec des niveaux identiques à la palette de couleur très limitée. Qu’ils s’agissent de palais, de temples ou de réserves de magasin, les décors se ressemblent tous et possèdent le même arrière-plan noir tristement vide, à peine meublé d’accessoires et de fournitures.
La seule exception est un petit arène situé dans les cieux, parmis les nuages, mais globalement Master Chu est une bouillie inesthétique d’où il est parfois difficile de différenciers les ennemis des décorations ou même des objets à récupérer. Un dragon à l’air menaçant peut s’avérer être une simple statue tandis qu’une clé à prendre peut ressembler à une sorte de bras griffus sur lequel on hésite à sauter. Le plus drôle étant sans doute le bonus de soin qui prend la forme d’un petit homoncule hideux se baladant ici et là, semblant être un ennemi que l’on ne compte pas poursuivre la première fois qu’on le rencontre ! Enfin, pour un jeu qui met l’accent sur l’exploration de fond en comble de ses environnements, retourner en arrière s’avère particulièrement chiant puisque le personnage se retrouve alors trop proche de la fin de l’écran et que l’on voit à peine les obstacles. Bref, l’expérience n’est pas bonne et toutes les critiques se sont déjà plaintes de ces problèmes. Il ne s’agit pas d’un bon jeu et pour beaucoup cela suffira – à juste titre – pour passer son chemin. Toutefois il convient de tempérer un peu les avis, souvent trop brutaux.
Contrairement aux ragots cela n’a rien d’injouable, et le joueur dispose de plusieurs outils pour remplir à bien sa mission. Outre des items de soins et d’invincibilités que l’on peut trouver assez souvent, le moindre coup rend le personnage indestructible pendant quelques secondes, ce dont on peut abuser contre les bosses et quelques adversaires récalcitrants, et les continus sont illimités. On peut également bloquer tous les projectiles à l’aide du bouton de défense qui déploie un éventail protecteur, tandis que le bouton d’attaque lance une série de boules d’énergie qu’un power-up en forme de parchemin améliore à la manière d’un Contra, permettant de tirer en cône de deux puis trois rangées, même si un coup reçu fait perdre un niveau. Tout cela est amplement suffisant pour venir à bout des dix petits niveaux constituant l’aventure (dont les trois derniers sont juste une série de boss à affronter), et il est permis de jouer à deux, ce qui facilite grandement la tâche. Car le but n’est pas ici d’éliminer tout le monde mais de faire la chasse aux œufs de Pâcques: ce sont huit symboles de Yin et Yang cachés un peu partout qu’il faut trouver pour finir le niveau.
Certains sont enfermés des des coffres dissiminés un peu partout, mais la plupart sont invisibles et nécessitent d’être touché par les tirs du joueur pour apparaître, forçant celui-ci à sauter dans tous les sens et canarder partout. Avoir un partenaire accélère les choses et permet de ne même plus se soucier des ennemis, alors vite pulvérisés. On peut également détruire les barrières de feu ou les pièges lanceurs de flèches de cette manière. Restent les boss, peu impressionnant car de la même taille que les adversaires ordinaires, et très facile à détruire puisque répétant tous la même tactique. Les programmateurs les recyclent plusieurs fois, avec le même arène doté d’une grosse plateforme bien pratique au beau milieu de l’écran pour sauter d’un côté et de l’autre sans se faire toucher. On s’amusera au moins de l’apparence du premier, sorte de souche d’arbre vivante qui ressemble au monstre de From Hell It Came. Le reste est malheureusement très générique avec ces guerriers interchangeables et dépourvus du moindre gimmick, à l’image du bestiaire limité du jeu (araignées, chenilles, serpents et chauves-souris épilleptiques, on aura connu plus diabolique).
Des créature à la solde du dieu hindou Shiva, ici considéré comme destructeur et représenté par un être siamois à deux têtes. Une aberration qui n’a aucun sens et fait une apparition finale très décevante en guise de dernier boss, puisque prenant la forme d’une idôle qui ne bouge pas et se contente de lancer des flammes avec ses yeux. Quand finalement détruite, celle-ci ne clignote pas, ne s’effondre pas, et seule l’apparition d’une clé à récupérer vient confirmer que l’on en est venu à bout. L’illustration du boitier américain s’inspirait de la statue de Kali dans Le Voyage Fantastique de Sinbad, et cela prouve qu’il ne faut jamais juger un jeu à sa couverture. Mais que fait cette dinivité étrangère en plein Taiwan ? Aucune idée ! Celle-ci a simplement décidée d’envahir un village et de maudire ses habitants en leur envoyant ses ignobles servants (dont une fleur volcanique et une tête coupée d’automate vomissant des carreaux d’arbalète), entrant alors en guerre contre le Maître Chu et l’ivrogne Hu du titre, personnages qui ne signifieront rien pour les Occidentaux mais qui se trouvent être des héros littéraires bien connu de leur patrie d’origine.
Car Chu n’est autre que Chu Liuxiang, personnage d’une série de romans écrit par le taiwannais Gu Long, auteur prolifique spécialisé dans le wuxia. Une sorte de Robin des Bois parfois surnommé Dàoshuài (盜帥, pirate, le titre original du jeu étant justement 盜帥楚留香, soit Chu Liuxang le pirate) qui lui aussi vole aux riches pour donner aux pauvres, mais combat également les injustice au sein du jianghu (la communauté des arts-martiaux), utilisant un grand évantail en guise d’arme non létale puisque refusant de tuer. Ses aventures connurent plusieurs adaptations sur le grand comme sur le petit écran, dont une bonne partie furent réalisées à Hong Kong par la Shaw Brothers. Hú Tiěhuā est son ami d’enfance, et contrairement à ce que la version international du jeu veux nous faire croire (il serait devenu alcoolique à force d’échouer à repousser Shiva), celui-ci a simplement un penchant pour l’alcool, cliché bien connu du genre et lié à la fameuse boxe de l’homme ivre popularisée par Jackie Chan dans Le Maître Chinois et Combats de Maître. L’air de rien on peut sentir le respect des programmateurs pour ces protagonistes.
Maitre Chu est ainsi plus détaillé qu’on ne le pense a première vue, son éventail étant affublé d’un petit symbole tandis que l’on peut apercevoir l’objet fermé dans l’une de ses mains lorsque l’on tir un projectile de l’autre. Une brise fait légèrement bouger ses vêtements comme pour lui donner de l’allure, et son ami Hu n’est pas qu’un color swap mais bien un nouveau sprite au look différent, un sabre remplaçant l’accessoire et des flasques d’alcool servant comiquement d’armes de jet. On appréciera aussi le changement de couleur des barres d’énergie pour les différencier en un clin d’oeil, ce qui semble une évidence mais n’est pas si commun dans l’univers des jeux bootlegs (tout comme l’indicateur des symboles à collectionner, bien utile également). La conclusion montre le ou les personnage(s) s’envoler sous le regard d’une déesse bienveillante dont l’identité sera sans doute moins nébuleuses aux gamers taiwannais ayant lu les bouquins originaux. Quelque chose qui passe complètement au-dessus de la tête des Occidentaux, généralement trop occupés à prétendre que ce jeu finalement juste (très) médiocre fut la pire expérience de leur vie.
Un avis que l’on doit surtout à l’influenceur James Rolfe, qui avait chroniqué le jeu dans l’un des tout premiers épisodes de sa série The Angry Video Game Nerd (le neuvième, avec Shit Pickle en guest star), du temps où celle-ci était une petite révolution dans le monde d’Internet. A leur décharge, il faut dire que Master Chu and the Drunkard Hu fut distribué chez eux par Color Dreams, un sacré champion du bootleg mal foutu lui aussi, connu de tous pour ses cartouches non officielles aux couleurs bleues ou noires qui – littéralement – annonçaient la couleur quant à la qualité des produits. Difficile alors de leur repprocher d’être si méfiant tant les mauvaises surprises furent nombreuses pour eux…
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