Leprechaun
(1993)
“Fuck you, Lucky Charms !”
Si la New Line Cinema est connue sous le nom de “The House That Freddy Built”, car devant un succès phénoménal aux Griffes de la Nuit qui la plaça dans la cours des grands, Trimark Pictures pourrait, elle, être surnommée “The Little House That Leprechaun Built”. Car Leprechaun est son seul véritable titre de gloire. Et si je rajoute le “petit” ce n’est pas tellement pour faire une mauvaise vanne mais surtout parce que la compagnie n’a jamais vraiment décollée, ne produisant que de modestes films: Kickboxer 2, Dolly Dearest, King Cobra, Le Dentiste… Essentiellement de la série B de vidéoclubs, un marché alors en hausse en ces années 90. Sans se placer en concurrente directe de la Full Moon, il faut reconnaitre que la boite a sortie quelques perles ici et là, et que Le Retour des Morts-Vivants 3 ou les Warlock restent encore aujourd’hui des valeurs sûres du genre, plutôt appréciées par les fans. Rien qui ne durera sur le long terme cependant, si ce n’est cette franchise tournant autour du petit farfadet irlandais incarné par le nain Warwick Davis, dont on vient récemment d’annoncer un tout nouvel opus. L’occasion parfaite pour revenir sur la série, qui compte plus de bons moments que de mauvais, contrairement a ce que voudraient nous faire croire les spectateurs moqueurs.
Il faut cependant l’avouer, ce premier volet n’est pas le meilleur de la saga, posant en fait simplement les bases de ce qui deviendra par la suite un univers franchement délirant et caricatural. En l’état, Leprechaun premier du nom apparait surtout comme un petit film d’épouvante destiné aux plus jeunes malgré quelques moments de violence surprenants. Pas étonnant puisque c’était exactement le résultat voulu par son créateur, Mark Jones, justement issu du circuit “pour enfant” de l’industrie: scénariste sur une poignée de séries télé et de cartoons, il s’est principalement illustré à travers des titres comme Scooby-Doo, Superboy, A.L.F., Police Academy, Mr. Magoo ou encore L’Agence Tous Risques. Et sa première réalisation devait ainsi s’orienter dans cette direction, avec un côté “horreur” plus proche de Chair de Poule ou de Fais-moi Peur que des exploits de Freddy Krueger ou Jason Voorhees. Cela se ressent d’ailleurs pas mal sur le produit final puisque, malgré les rajouts et les réécritures effectués à la demande des producteurs, le ton général reste très léger et plusieurs personnages semblent directement tiré d’un dessin animé. Pas tellement un problème en soit puisque la nature même de la menace, un petit lutin adepte des cabrioles et des répliques en rimes, permet de faire le lien entre l’aspect innocent du scénario et la écarts sanglants lors des divers meurtres.
L’intrigue se déroule dans un coin de campagne perdu du Dakota du Nord, où habitent un vieux couple d’Irlandais. Revenant justement de là-bas après les funérailles de sa mère, Daniel O’Grady ne rentre pas les mains vides puisqu’il a pu récupérer l’or d’un Leprechaun âgé de 600 ans. Il ignore cependant que celui-ci l’a suivi jusqu’aux États-Unis en se cachant dans ses bagages et qu’il est prêt à tout pour récupérer son bien. Son épouse fait une chute mortelle durant la confrontation, et lui-même est victime d’un AVC alors qu’il cherche à se débarrasser du petit monstre. Il parvient à l’enfermer dans une caisse en bois, l’y gardant prisonnier grâce aux pouvoirs d’un trèfle à quatre feuilles – l’équivalent chez les gnomes de la croix ou de l’ail pour les vampires. Dix ans plus tard, la demeure est racheté par un père et sa fille, des citadins venus changer d’air. Alors qu’ils travaillent à la rénovation de la bicoque avec l’aide d’un trio de réparateurs (Nathan, un pseudo Kevin Bacon qui tape dans l’œil de la jeune femme, son petit frère Alex qui est encore un gamin, et Ozzie, un garçon souffrant d’un retard mental), ils réveillent le farfadet et le libère par inadvertance. Celui-ci va alors agresser le groupe pour retrouver son or, justement découvert un peu plus tôt, tuant quiconque se met en travers de son chemin…
S’ensuit une longue nuit de bataille entre les jeunes gens et le Leprechaun, et le scénario s’emballe comme dans un cartoon comme Tom et Jerry ou Bip-Bip et le Coyote, les humains cherchant par tous les moyens d’éliminer un adversaire invincible. Et façon Looney Tunes, chacun va s’en prendre plein la poire constamment, sans que cela n’ait de véritables conséquences: à la manière de Ash dans les Evil Dead, les héros se font griffer, couper, frapper, trébuchent, se prennent dans des pièges à animaux et son terrorisés par une créature surnaturelle qui peut apparaitre n’importe où. Où qu’ils aillent, la créature parvient à le suivre, et ils n’ont que peu de méthode pour le tenir éloigner – si ce n’est une bonne décharge de fusil à pompe. Le héros viril se fait méchamment pincer les couilles, son jeune frère manque de se faire placer la tête dans un piège à loup, Ozzy avale tout rond une des pièces du lutin par accident. Quant à l’héroïne en short, elle se fait caresser les jambes par le lutin avant de se faire griffer: quand son père rationalise les choses et pense qu’un animal a simplement dû se frotter contre elle, la jeune femme rétorque qu’elle sait reconnaitre une main baladeuse se promenant sur ses cuisses quand elle en sent une, à la plus grande surprise de son paternel !
Les autres victimes ne sont pas en reste même si c’est là que le gore entre en jeu, transformant des séquences inoffensives en quelque chose d’un peu plus vicelard. Ainsi un flic se fait briser la nuque, le vieux O’Grady sert de jump scare vivant, son corps tombant d’une cage d’ascenseur à la manière d’un Jack-in-the-Box à l’envers, tandis qu’un commerçant est littéralement broyé lorsque le Leprechaun lui passe dessus en bâton sauteur. Privé de ses pouvoirs après la perte de son or et une décade d’emprisonnement, le farfadet mord ses proies jusqu’au sang, laissant des blessures sanglantes plutôt impressionnantes. Le final montre notamment le pauvre Ozzie se faire lacérer le visage à répétition dans une séquence qui n’a absolument rien de drôle – surtout en raison du handicap du personnage. Pour un enfant, tout cela ira beaucoup trop loin. Pour un adulte les choses sont différentes puisque l’on peut immédiatement noter les limitations du maquillage gores, tant à cause du petit budget que du fait que les effets furent élaborés sur le tard. Leprechaun n’a clairement rien d’impressionnant et ses suites iront bien plus loin. C’est heureusement l’idée même du propos qui se remarque, permettant au film de garder son aspect cartoonesque mais tout en lorgnant du côté d’un public adolescent, comme pour un Itchy & Scratchy ou Happy Tree Friends.
C’est particulièrement vrai avec tout ce qui concerne le Leprechaun lui-même, dont l’invincibilité permet un tas de débordements. Et s’il inflige un grand nombre de tourments au reste du casting, il n’est pas le dernier pour encaisser les coups: il se fait ainsi cramer le nez avec un allume-cigare, se brûle la main sur une plaque chauffante et doit la décoller à l’aide d’une spatule, se coupe l’autre dans une porte qui claque (le membre amputé doit grimper de lui-même à la poignée pour l’ouvrir et rejoindre son propriétaire de l’autre côté), se fait tirer dessus à bout portant au shotgun avec de grandes giclées de sang vert, se prend une barrière lorsqu’il chute en patins à roulettes et se fait crever un œil d’un bon coup de matraque dans l’orbite, devant alors récupérer le globe oculaire d’une victime pour recouvrer la vue. Pour tout dire, il se fait même peur en voyant son propre reflet dans un miroir ! Le film passe son temps à le faire surgir de n’importe où (frigo, cheminée, capot de voitures, coffre-fort), à le déguiser et à lui faire utiliser tout un tas d’accessoires et de véhicules (tricycle, fauteuil roulant, skateboard, pogo stick, voiture un plastique pour poupées). Il utilise ses dons de ventriloque sur un cadavre et fabrique un mini char d’assaut à l’aide d’outils agricoles et d’instruments de ferme.
L’une des trouvailles les plus amusantes est de donner un véritable TOC au personnage, et d’en jouer dans le scénario. Ainsi nous apprenons que le Leprechaun est cordonnier, et il ne peut alors s’empêcher de polir toutes les chaussures qu’il trouve (y compris celles d’une de ses victimes, forcément tâchées de sang). Et donc, lorsque l’héroïne doit faire une sortie pour trouver de l’aide, ses camarades tiennent le lutin éloigné en balançant des bottes un peu partout: il s’empresse de les ramasser et de les essuyer une par une, malgré son envie évidente de poursuivre la fuyarde !De quoi donner un brin d’épaisseur à la créature, même si hélas toute sa mythologie n’est pas très développée dans cet opus. On découvre tout au plus que l’or du lutin, qui prend la forme d’une bourse contenant cent pièces anciennes, est certainement à l’origine de ses pouvoirs magiques et qu’il a autrefois échangé son âme pour les obtenir. Cela explique sans doute pourquoi il tient tant à récupérer son trésor et à punir les voleurs. Il existe aussi quelques règles inspirées des contes d’autrefois, comme cet arc-en-ciel que l’on peut suivre pour découvrir l’or du Leprechaun ou le fait que seul un trèfle à quatre feuilles peut le tuer pour de bon.
C’est peu, et là encore les prochains films en rajouteront afin d’épaissir leurs scenarii. Pour autant, Leprechaun n’avait pas été pensé comme le premier volet d’une franchise à exploiter et bien sûr devait s’adresser à un public n’ayant besoin que de lignes directives très simples. Malgré ça le film reste le plus intéressant du lot dans la raison pour laquelle les héros dérobent le butin du gnome: c’est ici Ozzie qui va suivre l’arc-en-ciel qui mène au pièce d’or, et en premier lieu pour avoir une preuve de l’existence du Leprechaun qu’il est le seul a avoir vu jusque là. C’est Alex, l’enfant, qui trouve le trésor et décide de n’en parler à personne pour que les “adultes” ne puissent pas le leur prendre. Par amitié pour son camarade simplet, il imagine une raison irréalisable mais très honorable pour justifier l’utilisation d’une telle fortune: avec autant d’argent, ils pourraient payer une opération pour “réparer” le cerveau d’Ozzie et le rendre plus intelligent, lui évitant les moqueries d’autrui. C’est simple, cohérent avec la maturité de ces protagonistes, compréhensible par le public-cible envisagé à l’origine, et tellement plus original que les péchés d’avarices utilisés par les autres scénaristes dans les futures suites…
Rappelons au passage qu’il s’agit d’une production de toute petite ampleur, et que cela se ressent énormément à la vision. La mise en scène de Mark Jones apparait comme hasardeuse et débutante, le réalisateur ne parvenant pas à camoufler son maigre budget. L’unité de lieu est notamment un problème, puisque le film est pratiquement un huis-clos se déroulant dans la maison O’Grady mais doit gérer deux escapades en centre-ville qui se raccordent difficilement à l’ensemble. En résulte l’étrange impression que les personnages font des allez-retour pas franchement nécessaire si ce n’est pour dynamiser le film et rajouter quelques scènes chocs. Le Leprechaun est d’abord gardé dans les ténèbres, ou n’est présenté que par “morceaux”, afin d’éviter une présentation trop frontale, mais ceci est abandonné en plein milieu de l’histoire sans raison particulière, le nabot apparaissant alors de plein pied et au grand jour. Cela permet de voir que le costume et le maquillage établit par Gabe Bartalos apparaissent encore un brin grossiers et ne seront un poil raffinés que dans les films suivants. Il faut aussi noter beaucoup d’ADR (des répliques doublées quand les acteurs ont le dos tournés ou que leur bouche n’est pas visible, afin de donner l’illusion qu’ils parlent même si ce n’était pas le cas lors du tournage) là encore pour rendre le film plus consistant.
Du coup le réalisateur compense via quelques “emprunts” que les fans de films d’horreur ne manqueront pas de reconnaitre. Hommages ou pillages, ils sont surtout là pour rendre le film visuellement plus marquant et offrir quelques trucs intéressant à regarder entre deux meurtres. Tout comme Critters en son temps, Leprechaun trouve le moyen de caser une scène où le petit monstre ravage une cuisine, en référence aux Gremlins. Le coup du téléphone des Griffes de la Nuit est totalement reprit, une petite main venant remplacer la langue qui sort du microphone. Quand le lutin s’aventure dans la forêt pour traquer une proie, la caméra adopte son point de vue et se met à virevolter comme dans Evil Dead. Plus subtile, et peut-être involontaire, mais la relation entre les trois décorateurs – Nathan, Alex et Ozzie, évoque un peu celle des héros de Phantasm – Jody, Mike et Reggie. Leurs âges et physiques correspondent énormément, même si le trio apparait ici bien moins naturel que dans le film de Don Coscarelli (pas étonnant puisqu’ils se connaissaient réellement avant le film et étaient amis dans la vraie vie). De manière amusante, c’est finalement l’unique idée originale de Leprechaun qui demeure la plus mémorable, et celle-ci fut totalement improvisée ! Car durant le pillage de la cuisine, une scène devait montrer le farfadet découvrir les céréales Lucky Charms et s’en gaver.
La marque donna sa permission et Mark Jones tourna la séquence, seulement voilà: après avoir vu le film, les officiels revinrent sur leurs décisions et les empêchèrent de la montrer ! Furieux d’avoir perdu du temps et de l’argent, le cinéaste se décida à retourner la scène, remplaçant le nom célèbre par un substitut (Lucky Clovers) et rajoutant un passage où le monstre recrache les friandises de dégoût. Plus loin dans le film, alors qu’Alex triomphe du Leprechaun en lui faisant gober un trèfle, sa réplique initiale (“Your luck just ran out !”, que l’on retrouve en slogan sur l’affiche) est modifié en une ligne absolue géniale: “Fuck you, Lucky Charms !”. Fun, mémorable, et pour preuve: à ce jour, je n’ai encore jamais goûté a cette marque de céréales ! Moins drôle mais tout de même reconnaissable est la présence d’une jeune Jennifer Aniston dans le rôle de l’héroïne. Une inconnue qui n’a pas encore percée avec Friends. Quelques années plus tard, après son immense succès et son mariage avec Brad Pitt, son nom sera placardé en haut de toutes les éditions vidéos du film afin de capitaliser dessus un maximum. Et bien sûr, le nom de Warwick Davis finira également par être reconnu avec le temps, l’acteur étant désormais une “célébrité geek” après quelques apparitions dans Harry Potter et Doctor Who, tout en étant celui qui fut découvert avec Le Retour du Jedi. D’ailleurs George Lucas reçoit ici un Special Thanks au générique pour l’avoir laissé apparaitre dans le film alors qu’il était encore sous contrat exclusif avec lui.
Il est intéressant de noter que c’est avant tout grâce à lui que la série devint si populaire, le comédien se donnant à fond dans le rôle du farfadet. Malgré le maquillage et même les doublures pour certaines cascades (Deep Roy, vu dans Freaked, Alien From L.A., Flash Gordon et cloné un millier de fois pour les Oompa Loompa de Charlie et la Chocolaterie version Burton), c’est lui qui trouve la voix, les expressions faciales, l’attitude parfaitement sadique du Leprechaun. Sans lui, personne n’aurait prêté la moindre attention à cette série B sympathique mais bancale et sans le sou. Et si Davis lui-même ne considéra pas le tournage comme une bonne expérience, les retours positifs des fans finirent bien vite par le faire changer d’avis sur le film. Et l’air de rien, le lutin cupide est entré dans la pop-culture très rapidement grâce à lui, ayant même le comédien Mike Myers lui faisant référence dans Wayne’s World 2. De nos jours, l’acteur est au sommet de son succès mais garde un faible pour le personnage qu’il a incarné pour un total de six films, au point qu’il ne dirait pas non à un nouvel opus.Mais après un Leprechaun: Origins qui l’a exclu (et n’avait de toute façon rien à voir avec la saga), les nouveaux détenteurs des droits ne semblent pas enclin à faire appel à ses services. Prévu pour 2019, et produit par Syfy, Leprechaun Returns remplace celui qui a fait le personnage par un acteur inconnu et donc moins gourmand – Linden Porco, dont la filmographie n’impressionne pas vraiment au delà d’un rôle non crédité de cadavre dans Cult of Chucky.
Autant dire que ce nouveau Leprechaun 2 s’annonce mal et sera sûrement boudé par bon nombre de fans, et à raison. Après un horrible reboot co-organisé par la WWE, la seule chose que les nouveaux responsables de la franchise ont trouvé à faire est de pondre un téléfilm qui aura les mêmes valeurs de production que Sharknado ? Comme pour enfoncer le clou, l’annonce joue sur le retour d’un autre acteur vu dans le film original: Mark Holton (vu dans les Teen Wolf, ça remonte), qui reprendra ainsi le rôle d’Ozzie. Un choix étrange qui ne suscite pas vraiment l’engouement. Tout espoir n’est pas perdu cependant, puisque la chose est écrite par une scénariste de Ash vs. Evil Dead (l’épisode dans l’asile, qui était plutôt pas mal) et surtout sera tournée par Steven “Astron-6” Kostanski, réalisateur de The Void et de Father’s Day. Une excellente nouvelle qui laisse espérer au minimum un film gore et délirant, qui pourra alors peut-être nous faire oublier l’absence de la véritable star de toute la série…
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