Gore N°2
L’Autoroute du Massacre
(1985)
Lorsque dans les années 80 l’éditeur Fleuve Noir lance sa collection Gore, son directeur Daniel Riche frappe un grand coup en sortant La Nuit des Morts-Vivants comme premier numéro. Par la suite vont sortir alternativement des romans étrangers, qui seront traduits mais sévèrement amputés, et des récits français écrits spécialement pour l’occasion. C’est le cas de cette Autoroute du Massacre, second livre de la collection, dont l’auteur n’est nul autre que Joël Houssin, créateur de la série policière Dobermann. L’histoire se déroule durant la période des vacances d’été, sous une chaleur étouffante. Un barrage de routiers et un accident provoquent un embouteillage titanesque dans lequel se retrouvent Bernard et Isabelle, un couple en dérive et sur le point de très mal finir. Lorsque la voiture surchauffe et coule une bielle, ils ont alors la chance de tomber sur un petit groupe de jeunes qui accepte de les aider et de les remorquer sur une aire de repos, le temps d’effectuer les réparations. Le dépanneur ne pouvant se déplacer avant le lendemain et les bouchons n’ayant pas l’air de s’améliorer, il est alors décidé de passer la nuit sur place. Un campement est installé à l’écart, dans la forêt bordant la zone, mais à la nuit tombée ils sont attaqués par deux créatures monstrueuses…
Un véritable scénario de série B comme on en trouvait à la pelle à cette époque. Joël Houssin, bien loin de ses écrits de science-fiction et de sa saga policière, ne brille guère par l’exercice et livre un récit qui ne restera pas vraiment dans les mémoires. Sans être à la ramasse, l’écrivain ne semble pas porter un intérêt particulier à son histoire et se contente de narrer sans grande conviction les mésaventures de ses protagonistes. En découle un roman sans saveur, plat, et ne semblant jamais vouloir décoller. S’il n’est pas non plus totalement ennuyeux, L’Autoroute du Massacre pourra paraître vain et dispensable. Le récit était pourtant prometteur, avec un groupe de personnages laissant présager des meurtres réguliers et variés, ainsi que la nature amusante de la menace: des aberrations de la nature découvrant elles-mêmes tout juste leur goût pour la bonne viande. Deux frères, l’Aîné et le Cadet, issus d’une étrange famille vivant au fin fond de la forêt dans une petite vallée marécageuse. Les monstres, bien que souvent décrit par l’auteur, paraissent si informe que l’on arrive pas vraiment à se faire une idée exacte de leur physique. D’origine inconnue mais apparemment humaine, ils possèdent une gueule gigantesque garni de trois rangées de dents triangulaires et particulièrement tranchantes, le reste de leurs organes étant essentiellement destinés à la digestion. Leurs mains grossières possèdent chacune quatre griffes pouvant déchiqueter le bois ou éventrer la carrosserie d’une voiture et, en lieu et place d’épiderme, ils possèdent une couche de gelée visqueuse en perpétuelle reconstruction.
Finalement on n’apprend pas grand chose de ces choses inhumaines et c’est bien dommage car le potentiel était là. Nous ne savons pas d’où ils viennent, depuis combien de temps ils existent et comme pour bien souligner l’absence quasi totale de tout renseignement sur eux, les deux frères sont eux-mêmes complètement ignorant de leurs capacités et apprennent sur le tas de quoi ils sont capables. Comme si Joël Houssin était embarrassé de devoir utiliser des personnages surréalistes, il ne s’appesantit jamais sur eux malgré des interludes fréquents mettant en scène le point de vue du Cadet entre chaque chapitre. Lorsque le récit débute, leur père est déjà mort de cause inconnue. Profitant de l’absence de leur mère, les deux enfants partent se nourrir d’animaux et développent subitement un fort penchant pour la viande. Poussés par la faim, ils explorent les environs et vont découvrir que leur milieu naturel se trouve proche d’une autoroute pleine d’êtres humains qu’ils comptent bien dévorer. Lorsque les protagonistes s’isolent, c’est pour eux une occasion inespéré et ils se mettent en chasse. A partir de là les règles biologiques régissant les deux créatures vont sans cesse évoluer, au point que l’on se demande si l’auteur ne les auraient pas improvisés selon ses besoins pour relancer l’intérêt, très mince, de son histoire…
Ainsi leur constitution si particulière peut les rendre pratiquement invincible puisque leur “chair” gélifiante se résorbe instantanément. Cependant cela implique le sacrifice d’une altération de leur masse corporelle (faire disparaître un énorme impact de fusil coûte la diminution de membres et un rétrécissement de la boîte crânienne par exemple). Étrangement, la dernière partie du roman se met a dévoiler une nouvelle caractéristique de leur immortalité, puisque l’on se rend compte que leur conscience s’étant à un niveau cellulaire (même réduit en miette le Cadet peut toujours penser, bien qu’affaiblit) et même fusionner avec leur environnement (le même personnage qui, éclaté sur le bitume, va se fondre à celui-ci pour devenir temporairement une masse gigantesque capable de se mouvoir !). Houssin, se rendant sûrement compte qu’il va un peu trop loin, va alors revenir sur sa décision: l’Aîné, lui aussi détruit, ne revient pas sous une autre forme tandis que son frère “s’endort” subitement, sans véritable raison si ce n’est qu’il fallait bien arriver au terme du récit à un moment ou un autre…
Se rajoutent également quelques caractéristiques étranges comme celle de la reproduction: une femme se fait ainsi violer dans son sommeil et, plutôt que de donner naissance à une autre créature, va elle-même se métamorphoser. Un élément qui ne va finalement jamais être exploité si ce n’est à la toute fin du roman, permettant simplement de donner une dernière séquence horrifique certes bien fichue mais totalement accessoire (on sait pertinemment qu’avec ou sans ce revirement de situation, la finalité reste la même) ainsi qu’une fin ouverte très prévisible… Mais le plus surprenant reste la raison bien précise pour laquelle les deux frères s’étaient vu interdire de manger des êtres vivants: malgré un sacré appétit, ils sont tout simplement allergique à la viande ! Une découverte finale stupéfiante et parfaitement inattendue qui va permettre l’éradication de l’Aîné sur une touche d’humour plutôt bienvenu. Le problème étant que, ceci intervenant sur le tard, il demeure l’étrange impression que l’écrivain semble se dépatouiller maladroitement pour conclure son livre en ajoutant ici et là quelques détails arrangeant.
L’Autoroute du Massacre, malgré quelques bonnes trouvailles (des flics expéditifs tout droit sorti des Dobermann) et séquences horrifiques, est victime de sa propre nature: une œuvre de commande copiant un scénario archétype qui n’intéresse pas son auteur ; un produit conçu a une période où l’on comptait des centaines d’œuvres semblables et qui ne possède pratiquement aucunes idées neuves. Certes le rendu est techniquement bon (bonne narration, refus de nudité gratuite, pas trop de vulgarité) mais hélas insipide. Un Joël Houssin mollasson et peu divertissant.
Oui mais, par contre, « L’écho des suppliciés » … 😃
Ah oui ! Mais ça c’est une autre histoire.
Pas d’accord avec toi Plume, et n’oublions pas qu’Houssin essuyait les plâtres de cette toute nouvelle Collec’, premier volume français à paraître. C’est du classique certes, mais efficace.
Meh. Je suis d’accord pour dire qu’il fallait s’y mettre et que c’était sûrement pas évident pour tout autant de raisons, mais ce 1er essais c’est quand même franchement en mode « ouais bon, c’est un ptit roman quoi ». Et ça a l’air de coller pas mal avec sa façon d’être très… euh… calme.
(les monstres sont carnivores, puis en fait non ils sont allergique, puis leurs mutations sont comme une MST, mais en fait nan puisque la maman capture des gens pour avoir une nouvelle portée… Bref. Vite vite, remettons des flics facho comme dans Dobermann)
Non, moi ça me va des monstres sur une aire d’autoroute et des suppliciés dans une station de ski : je préfère largement ça ! Même si on y trouve des incohérences à la pelle (mais bon, il ne faut lire ni Corsélien, ni Hutson, ni un camion d’auteurs de la Collection). Je préfère même ça à des flics fachos.
Non non tu m’as mal compris, lol. Les incohérences ne me dérangent pas du tout en soit, et justement pas chez les auteurs que tu cites (je surkiff Hutson) qui eux se lâchent à 100% dans le délire. Ça apporte un cachet « série B » / « nanar » / « populaire » assumé et délirant.
Justement quelque chose que je ne retrouve absolument pas dans l’Autoroute. Le manque total de continuité me donne surtout à penser que Houssin s’en branlait un peu de son intrigue et à juste pondu la chose pour le fric / l’expérience, mais sans assumer. Il n’y a pas d’implication de sa part, tout semble écrit en mode somnambule. Y a des gens, y a des monstres, A se fait bouffer par B et merde faut que j’improvise une conclusion euh bon ben voilà, hop.
Aucune passion, aucune envie de jouer avec ses monstres, de se complaire dans le gore ou de pondre du Twilight Zone de goreux. Honnêtement je vois vraiment l’Autoroute comme une sorte de machin un peu bâclé, à la manière (par exemple) de son intervention dans le commentaire audio du film Dobermann. Efficace, bien écrit, c’est indubitable (je ne dis absolument pas que le film est un « mauvais » Gore comme je parlerai de Fétidus, hein !) mais son ton monocorde laisse parfois à penser qu’il se demande ce qu’il fout là.
(et pour les auteurs je ne me souviens plus exactement, mais c’était je ne sais quel auteur français qui, en répondant à « quel sont le/les meilleur(s) Gore selon toi » répondait du genre Joël Houssin et XXX sont les mieux écrits. Avec un ton assez condescendant et typiquement français des gars qui sont dans les mêmes cercles d’écrivains, qui ne se mêlent pas à tout le monde, et qui globalement on joué le jeu une fois ou deux, mais en on un peu rien à foutre du Gore / populaire, et qui sous-entende que leur livre à eux sont bons parce que c’est leur « talent » qui l’a permis, là où les autres livrent des petites merdes oubliables.
Honnêtement j’ai vraiment vu ça du genre « bon Joël c’est un pote, je le connais, on a fait 2-3 Gore un temps mais c’est que dalle pour nous, le Gore ça pisse pas loin et on a fait mieux. Encore une fois, c’est qu’une perception du truc, mais ça fait très France-Paris snob)
— après mes propos ne tiennent que sur l’Autoroute, je ne parles pas de l’Echo.
Au fait, à quels auteurs penses-tu quand tu dis que certains lui cirent les pompes à propos de ce livre ?
Je ne crois vraiment pas que c’était l’attitude d’Houssin à propos de ses deux Gore. Ayant un peu communiqué avec lui, ce n’est pas du tout l’impression qu’il m’a donnée, bien au contraire. Comme la plupart des auteurs avec qui j’ai pu communiquer d’ailleurs. En revanche, oui, les mecs savaient qu’ils n’écrivaient pas « Les Misérables », et cette sympathique distanciation par rapport à leur oeuvre Gore – un peu dilettante -, que tu sembles prendre pour du « Je-m’en-foutisme », est plutôt appréciable selon moi : ne pas trop se prendre au sérieux quoi, et accoucher – parfois – d’une oeuvre marquante malgré les délais serrés d’écriture… Quant au fric, euh, ce n’était vraiment pas une raison suffisante, crois-moi… Et puis Joël Houssin était un ami de Daniel Riche : il ne s’en serait pas foutu à ce point. Un seul auteur m’a laissé une impression mitigée parmi tous ceux que j’ai pu interviewer, mais je préfère parler de la majorité !
je prefère ses ecrits pour le post apo
Clairement !
Je rejoins David dans ses propos. L’autoroute du massacre est le premier des deux Houssin que j’avais lu et je reconnais ne pas m’être ennuyé une seule seconde. Alors OK, cette histoire de crapauds humanoïdes mangeurs d’hommes est complètement débile (c’est la collec qui veut ça) et n’arrivera jamais à la hauteur de l’Echo des Suppliciés, mais elle est quand même sacrément fun. Je trouve qu’avec seulement deux romans Houssin a su s’imposer comme l’un des meilleurs auteurs français ayant écrit du Gore.
Non justement, je ne dis pas qu’elle est débile cette histoire, je dis qu’elle n’est pas ASSEZ débile. Elle est bâclée: on dirait qu’il improvise ce qu’il écrit au fil des chapitres. Sinon au moins ça aurait été amusant, comme du Hutson ou un type du genre qui se laisse aller au n’importe quoi.
Il est certain qu’Hutson est l’un des meilleurs auteurs publiés dans la collection mais il est difficile de comparer ses bouquins (ainsi que ceux des autres anglo-saxons) avec les romans français. Le fait qu’ils aient été charcutés à mort pour correspondre au format ne permet pas réellement de faire de comparaison de style entre les uns et les autres. Quand on lit Victimes du même Hutson on se dit que le roman va à cent à l’heure (logique puisqu’il en manque une bonne partie) et qu’on serait curieux de voir ce que peut bien donner le même texte en version intégrale. Est-il aussi speed ? Le bouquin d’Houssin n’aurait-il pas été identique s’il avait au départ dépassé largement les 150 pages et connut ce « tronçonnage forcé » ? Bah, l’autoroute du massacre est là et qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas, perso je le trouve toujours plus sympa que les Verteuils qui avaient un peu trop tendance à se répéter.
Hutson a été tronçonné pour son bien en quelque sorte, aux dires de Daniel Riche lui-même : je ne l’ai pas lu en VO, mais je pense que ses romans auraient eu moins de chien et de rythme dans leur version intégrale.
Oui Jerôme pour L’Autoroute du Massacre : et puis comme j’essayais de le montrer dans ma chro, le mec débroussaillait le terrain et mettait en place quantité de motifs qu’on retrouverait ensuite – parfois « en mieux », parfois « en moins bien » – dans les volumes suivants de la Collec’, notamment chez les Français. Rien que pour ça…
Et si c’était Jean Pierre Andrevon, celui qui regarde le genre (et pas que le genre …) de haut ? 😑