La Citadelle du Vertige
(1990)
Alain Grousset, technicien à France Télécom (!), est un passionné de science-fiction habitant dans un manoir où sont entreposées des tonnes de livres (au sens propre). A l’origine d’un fanzine (Fantascienza) et critique littéraire (chez Lire particulièrement), il aura écrit plusieurs nouvelles tant pour la littérature Jeunesse (Okapi) ou adulte (Fluide Glacial). La Citadelle du Vertige constitue son premier roman et une heureuse expérience puisqu’il a raflé le Grand Prix du Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1990, devenant par l’occasion un best-seller.
L’histoire se déroule dans une époque médiévale typiquement européenne et à pour cadre un étrange bâtiment: une immense cathédrale qui s’élève par-delà les nuages et dont la construction n’a de cesse depuis des générations. Ce gigantesque édifice abrite, au sein de son dernier étage en date, toute une population cohabitant dans ce qu’ils nomment leur “village”. Les deux étages en-dessous sont réservés au Seigneur et à son personnel privé, que l’on ne voit que très rarement, quant aux autres ils sont tout simplement déserts et interdit d’accès. En effet, il est dit que la Terre appartient désormais au Diable et que les Ténèbres y règnent. Personne n’a le droit de redescendre et aucun ne s’y tente, chacun travaillant d’arrache-pied pour parvenir au même et unique but: aller toujours plus haut afin de rencontrer Dieu.
Le roman nous décrit un monde pittoresque où les humains cherchent à tout prix à se rapprocher de la Lumière Divine qu’ils voient dans le ciel, ce dernier n’étant pour eux qu’un couvercle qu’il faut dépasser (les étoiles ou le soleil étant des “trous” par lesquels filtre la dite Lumière). Tout en découvrant la façon de vivre de ce peuple, subsistant grâce aux mystérieux Servites, nous faisons connaissance du jeune Symon, fils du maître du chantier. Celui-ci ne vivant jusqu’alors que pour devenir artiste, en devenant tailleur de pierres, et pour son amour de la jeune Bertrade, commence à montrer des signes d’instabilité. Le garçon se pose de plus en plus de question au sujet de la Cathédrale et la perspective d’y rester cloîtré pour le restant de ses jours n’est pas pour le réjouir. S’il continu de vivre sa vie dans un premier temps, la mort mystérieuse de son père fait rejaillir ses incertitudes. Pour lui, son père a été tué car il savait quelque chose. Il décide alors de redescendre chaque étage de la Cathédrale dans le but de retourner sur Terre et d’y trouver des réponses…
Probablement parce que pensé comme un livre destiné à un jeune public, La Citadelle… se voit être extrêmement condensé. Quelques pages, peu de lecture, et c’est là le véritable défaut de l’œuvre. Car si le roman, qui pour le coup se rapproche plus d’une novella, est très rapide à lire, son histoire, elle, met un sacré bout de temps avant de commencer. En fait c’est bien simple, sur les quatre parties qui constituent le récit, le sujet principal (la longue descente de la Cathédrale par Symon) ne se déroule que dans la toute dernière !
Dommage car l’intrigue ne manquait pas d’intérêt, d’autant plus que l’auteur retravaille le principe de la célèbre Tour de Babel et se laisse aller à poser un jugement sur la Religion et plus précisément sur l’Église, manipulatrice d’esprits. Hélas cela ne va pas très loin et malgré les plaisantes révélations finales (quoique prévisibles) et un épilogue intéressant, le reste du livre se borne à décrire le quotidiens des villageois dans la Cathédrale. Non pas que cela soit inintéressant, bien au contraire: l’atmosphère moyenâgeuse y est même très bien restituée. Seulement on ne peut s’empêcher d’être déçu par la lenteur de la progression de l’histoire, surtout que l’écrivain attise la curiosité avec l’existence de ces invisibles Servites que l’on nous décrit comme une peuplade de damnés devenus sourds et muets après avoir refusé de participer à la construction de la Tours, alors marqués par le Diable, et condamné à remonter de la Terre vivres et matières premières, ou encore par le mystère qui entour le Seigneur et ses suivants, personnages irradiant de beauté et de magnificence tel des divinités, qui auraient été temporairement rendu immortels par Dieu lui-même…
Toutefois on ne peut pas vraiment reprocher à l’œuvre de ne pas approfondir pleinement son sujet car il s’agit avant tout d’un livre pour jeunes lecteurs, et non pour un public pouvant se plonger sans difficulté dans des histoires plus longues et plus complexes. Cependant il est à noter la violence assez corsée de certaines séquences, à savoir un combat contre des chiens où le personnage principal se met à régresser vers un état bestial pour survivre, puis lors d’une lutte brutale s’achevant sur une mise à mort froide et calculée, dictée par la vengeance. La Citadelle du Vertige: un roman Jeunesse, mais pas infantile !
Petit récit entre la Fantasy et la science-fiction se déroulant dans un univers réaliste (le Moyen-Âge), La Citadelle… est un roman très court et assez statique mais qui possède toutefois une intrigue intéressante et une atmosphère très réussie. Le livre se laisse même très bien suivre par un public plus âgé que celui ciblé, car ne tombant jamais dans le piège de la naïveté et parvenant à surprendre dans sa conclusion, par la tournure que prennent les évènements. Reste qu’en raison de son petit volume on a parfois plus l’impression d’assister à l’introduction d’une plus grande histoire que celle qui nous est donnée.
L’ouvrage est parsemé d’illustrations de Manchu, dessinateur spécialisé dans la SF spatiale et entre autre responsable du design des personnages de Ulysse 31 et de la série Il Était une Fois… L’Espace. Des dessins accompagnant agréablement l’ouvrage et qui n’empiètent aucunement sur l’histoire.
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