I Spit on Your Grave III: Vengeance is Mine
(2015)
Oui je sais, nous n’en sommes qu’au second épisode et déjà je transgresse les règles. Techniquement, je devais me cantonner au genre horrifique et ne pas inclure de Thriller ou autres types de films d’Exploitation, même violent, dans le cadre de la fête d’Halloween. Toutefois c’est un peu un hasard si la sortie de ce troisième I Spit on Your Grave coïncide avec le projet, et je ne voulais pas passer à côté de ça. Car ce n’est pas demain la veille que je vais faire une rétrospective sur cette série, et que je voulais tout de même chroniquer certaines séances sur le vif. C’était l’un des but de Mental Hurlant, et parler de ce film était prévu. Quoiqu’il en soit, entre la dérive torture porn ultra gore de la série, et le fait que l’original était l’un des célèbres Video Nasties, se retrouvant banni aux côtés de films d’horrifiques plus traditionnels, on peut aisément faire le lien. De plus ces nouvelles versions s’apparentent presque à des slashers vu la manière dont tout repose sur les punitions violentes qui sont infligées aux différents antagonistes. Du coup je ne considère pas ce choix de film comme trop hors sujet pour Halloween.
I Spit on Your Grave III, donc, est le nouveau venu dans la saga initié avec le reboot de 2010. Certains viendront s’étonner que le classique de 1978 puisse engendrer des séquelles, mais ce n’est pas la première fois. Outre un remake turc (Intikam Kadini, 1979, plutôt marrant d’ailleurs), et un autre signé Cirio H. Santiago (Naked Vengeance, 1985), il existe une suite officieuse intitulée Savage Vengeance, où l’actrice Camille Keaton retrouve le rôle de Jennifer. Après le viol et la mort d’une amie, elle reprend les armes afin de la venger… De manière amusante, I Spit on Your Grave III est quasiment le même film ! Ainsi la Jennifer du remake de 2010, toujours jouée par Sarah Butler, revient ici après les évènements du premier et retombe dans l’auto-justice lorsqu’une amie est victime d’un taré sexuel…
Naturellement la qualité du film est bien supérieur à celle de Savage Vengeance, ce qui est d’ailleurs très surprenant tant on s’habitue à cet aspect inférieur qu’ont les DTV en raison de leurs budgets, mais le plus étonnant c’est que ce nouvel opus s’engage dans une direction totalement différente. Plutôt que de rejouer la même chose que les dernières fois, à savoir la vengeance d’une femme violée et laissée pour morte, qui exécute à la chaine ses tortionnaires, ce Vengeance is Mine traite les choses sous un angle plus proche du Thriller et du film de vigilantes. Ici Jennifer, se cachant sous l’identité de Angela, ne subit aucune attaque directement. Elle se fait discrète, n’a aucune attache avec qui que ce soit, n’ayant plus confiance en l’être humain. Méfiante, elle repousse tout ceux qui lui parlent et souffre de stress post-traumatique, lequel, associé avec ses pulsions de violence, lui donne des visions de meurtres dès que quelqu’un la serre d’un peu trop près ou lui manque de respect.
C’est sans doute pour lutter contre ses démons qu’elle se met à côtoyer un groupe de thérapie, sans pour autant participer. Les témoignages toujours plus douloureux des victimes ne font qu’entretenir la rage qu’elle garde au fond d’elle, mais heureusement elle fini par se lier d’amitié avec une participante. Une petite punk très franc-parler qui lui redonne un peu le goût à la vie même si elle semble instable. Tellement en fait, qu’elle n’hésite pas à l’embarquer dans une expédition punitive, afin de venger une toute jeune adolescente s’étant faite violer par son beau-père et devant continuer à vivre avec lui car personne ne l’écoute. Une simple agression, mais qui résonne en elle comme un acte juste.
Et puis la jeune femme apprend un jour que sa camarade a été retrouvée violée et assassinée par son ex-petit ami. Remettant sa confiance en la police, elle tombe de haut lorsque le coupable est relâché par manque de preuves. Jennifer craque et décide de prendre les choses en main. Une action en amenant une autre, et devant la manière dont la police traite l’affaire (ils semblent plus actif sur le meurtre d’un salopard que sur une affaire de viol, où la victime est en attente d’aide), elle perd progressivement la raison et se met en tête d’exterminer tous les porcs qui trainent dans les rues. Son passé refait cependant surface et elle devient bien vite une suspecte aux yeux des autorités…
L’intrigue évoque ainsi beaucoup plus Exterminator ou les frasques du Punisher que l’habituel Rape & Revenge, d’autant que si l’héroïne joue au jeu de la séduction pour appâter ses proies, jamais viol il n’y a sur sa personne. Le film souhaite clairement appuyer sur le côté psychologique de l’affaire, et représenter le fameux risque de devenir un monstre à force de se battre contre des monstres. I Spit on Your Grave III ne répond en fait même pas vraiment aux attentes de torture porn, puisque l’on ne compte en réalité que deux scènes du genre. Très violentes certes, dans la lignée des précédents films, mais qui sont presque “anecdotiques” tant le script tend vers autre chose. C’est osé et bien plus intéressant que de livrer un remake merdique de l’original à la sauce Saw, complètement improbable.
En revanche, cela ne risque pas de jouer en faveur de cette séquelle puisque beaucoup vont se dire qu’il y a tromperie sur la marchandise. Pire, le thème du film ne plaira pas au public-cible, plus là pour la nudité et la brutalité. Bien que l’on reste dans une œuvre de pure Exploitation, avec tous les défauts que ça implique d’exagération et de défauts (les hommes sont presque tous des porcs, la Justice est inepte au possible, et d’un point de vue technique on compte beaucoup trop de flashbacks du premier opus, dont la présence n’est que partiellement justifiée et montre surtout l’étroitesse du budget), Vengeance is Mine tente d’explorer la psyché fragile d’une jeune femme traumatisée. On comprend la paranoïa, la haine, le dégout et la colère, on ressent le sentiment d’injustice et l’envie de massacrer les pourritures qui traite les femmes comme de la merde. Mais en contrepartie, on voit à quel point ce mal-être est néfaste, empêche la personne de se reconstruire et peut lui faire perdre la raison. Si, à priori, Jennifer devient une vigilante derrière laquelle on se range, tuant de façon vicieuse des connards qui l’ont bien cherchés, elle fini par devenir de plus en plus nihiliste et agressive et va jusqu’à provoquer ses cibles potentielles. Son besoin de vengeance disparait au détriment d’une pulsion meurtrière, et son traumatisme n’est même plus une excuse. Il devient un prétexte.
Enfin bref, il y a là une certaine forme de réflexion que beaucoup ne voudront pas partager. Peu importe que l’on soit d’accord / pas d’accord, il faut avant tout prêter attention à tout cela et le remettre en question. Malheureusement lorsqu’un film se nomme I Spit on Your Grave III, la seule chose qu’il est supposé offrir c’est une succession de scènes gores. Et si on en recense bien deux ou trois, très efficaces, Vengeance is Mine se montre très vide dans ce domaine. Et je dois avouer que, bien que préférant ce Thriller psychologique au Rape & Revenge faussement provocateur, il m’est arrivé de m’y ennuyer un peu. Le fait est que le rythme du film, bien que correct, est tout de même freiné par de longues scènes de conversations dont certaines n’étaient pas nécessaire. Le collègue de Jennifer, qui tente de la draguer et qu’elle perçoit comme un danger, apparait beaucoup trop pour rejouer la même scène. Pareil pour la relation entre l’héroïne et l’inspecteur, qui se répète autour du même propos.
Et pour ne pas arranger les choses, quand bien même le film est visuellement soigné et dans la même veine que les deux précédents, le manque de décors donne l’impression d’assister à une production de petite ampleur. Jennifer passe son temps à errer dans les mêmes décors (son boulot, la salle de thérapie de groupe, et dans le bureau de sa psy) et n’entre en contact qu’avec un nombre limité de personnages, donnant l’impression que le film a été tourné vite-fait en espérant combler les attentes avec des flashbacks du premier I Spit on Your Grave, rajoutés un peu partout). Les précédents opus paraissaient mieux structurés malgré leurs intrigues simplistes, et je vois bien celui-ci être perçu comme le mouton noir de la série, trop “bavard”, trop lent, trop sage mais paradoxalement fustigé pour son concept violent. Ça serait dommage car il parvient à rendre Jennifer beaucoup plus “vivante”, à la fois attachante et terrifiante dans sa folie, que la version de 2010 où elle apparaissait comme un improbable clone de Jigsaw.
Le film vaut de toute façon bien mieux que beaucoup d’autres entrées de la série, en incluant tout ce qui a été fait entre l’original et le remake. La conclusion, très ouverte et laissant entrevoir un nouvel opus, n’est heureusement pas trop prévisible, et l’idée de créer un avatar féminin du Punisher / L’Exécuteur / L’Exterminateur est plaisant. Sarah Butler est impeccable, tour à tour sans défenses et totalement psychopathe, et si la série se poursuit, elle pourrait aussi bien devenir une anti-héroïne positive qu’une tueuse en série s’attaquant aux innocents dans son délire Justice.
Pourquoi ne pas lui faire croiser le chemin de Katie dans le prochain, puisqu’elle n’apparait pas ici ? Les deux pourraient faire équipe ou, au contraire, représenter des personnages s’opposant l’une à l’autre malgré une expérience similaire. A vrai dire c’est un peu une occasion manquée ici. Jennifer aurait parfaitement pu rencontrer la survivante de I Spit on Your Grave 2 et se lier d’amitié à celle-ci, avant que son décès ne l’affecte et ne mène aux évènements de ce film… Et dans le même ordre d’idée, pourquoi ne pas ramener Camille Keaton, et ainsi inclure le film original dans la série ? Une rumeur persistante laissait à penser que ça serait le cas pour ce 3ème film, mais hélas non. La première Jennifer n’apparait absolument pas, quoique j’ai un temps pensé qu’elle pourrait peut-être être la psy qui tente de rationaliser le comportement de la seconde.
Bref. I Spit on Your Grave III est différent de ses prédécesseurs. Similaire en de nombreux points, mais tentant une approche plus réaliste et plus psychologique, préparant le terrain pour la création d’une vigilante borderline, ce qui manque sérieusement dans le paysage du cinéma Bis actuel. Sarah Butler est parfaite dans le rôle, et la saga à le don de se montrer techniquement à la hauteur tout en affichant des scènes de violence sexuelles dignes d’un Andreas Schnaas (ici par exemple, Jenny pratique la fellation à un pénis qu’elle découpe ensuite au couteau dans le sens de la longueur, avant d’arracher à la main les morceaux pendouillant. A un autre type, elle place une barre en métal dans l’anus qu’elle enfonce ensuite à grands coups masse). Un mélange improbable des sévices de série Z, dans une histoire de série B, mais filmé comme du gros budget.
Si je ne peux que comprendre le rejet que provoque la saga depuis le remake 2010, tellement loin de l’original qui n’allait pas du tout dans de tels excès, j’encourage tout de même la vision de celui-ci en particulier. Sa volonté de fournir une histoire différente, plus complexe, est courageuse, et le message autour du viol, la façon dont les victimes peuvent se rabaisser ou être traitée comme secondaire aux yeux de la Justice, est malheureusement bien vrai et mérite que l’on s’y attarde.
PS. Évidemment le film est réalisé par un homme, mais cela ne vient pas amoindrir le propos et on trouve quand même des éléments intéressant. L’un d’entre eux est, par exemple, la présence d’un homme dans le groupe de thérapie. Non pas une victime de viol, ce qui aurait été quelque chose à exploiter, mais le père d’une ado qui s’est suicidée après un non-lieu. Celui-ci se sent coupable car il avait convaincu sa fille de contacter les autorités et demeure traumatisé par toute l’affaire, assistant aux réunions pour partager l’expérience. Et pourtant sa présence dérange à priori. Comme Jennifer, on ne peut s’empêcher de trouver cela suspect et de se méfier de lui. Une réaction qui montre quand même que le film est plutôt bien foutu lorsqu’il s’agit de nous mettre à la place de l’héroïne et de nous faire comprendre sa façon de voir le monde.
VERDICT: CITROUILLE
(c’est comme « Joker », mais façon Halloween)
Drôle de manière de manger un hot-dog.
Un coup à s’en foutre partout, ça.