Friday the 13th: Bad Land
(2008)
Après un petit temps chez Avatar Press au milieu des années 2000, la licence comics de Vendredi 13 s’envola chez une compagnie bien plus réputée jusqu’à la fin de la décénnie. Car c’est DC Comics qui la récupèra, l’intégrant à son nouveau label WildStorm – anciennement une petite boite concurrente et devenue une sorte de fourre-tout pour l’éditeur qui y publiait ce qui ne rentrait pas dans sa ligne super-héroïque normale ou dans sa collection mature chez Vertigo. Un déménagement un peu à double tranchant puisque si ce nouvel acquérieur possède de biens plus gros moyens et une visibilité beaucoup plus large que le précédent, il se montre également bien plus timide question contenu graphique. Car si l’un est spécialisé dans l’ultra-violence et la nudité frontale, l’autre est plus mainstream et doit rendre des comptes à différents échelons de l’industrie, ne pouvant subitement publier une revue où une femme nue se fait salement étriper par un maniaque sous la douche. Le fan était donc en droit en droit de s’inquiéter mais heureusement les responsables parvinrent à trouver une sorte de compromis, en montrer au moins autant que dans les films, si ce n’est plus.
Contre toute attente le problème vint plutôt du côté du script, puisque la première mini-série développée en 2007 (sous le nom ultra générique de… Friday the 13th) s’étirait inutilement sur six numéros. De quoi creuser les personnages on pourrait dire, sauf que non, ceux-là restant aussi stéréotypé que dans les années 80 et se montrant généralement détestable sans raison particulière, créant chez le lecteur une sorte d’apathie que les meurtres, brutaux mais expédiés, ne parviennent pas à chasser. WildStorm corrigea le tire aussitôt, misant sur des histoires plus courtes en deux numéros pour les prochains titres afin de frapper vite mais fort, et conservant le concept de la série limitée en plusieurs épisodes pour un sujet plus à-même d’en profiter: la crossover Freddy vs. Jason vs. Ash. Après le tragique Pamela’s Tale et l’amusant How I Spent My Summer Vacation, Bad Land débarque courant Mars/Avril 2008 et termine la trilogie sur une note sacrément sombre. Reprenant un concept vaguement utilisé durant le premier run qui veut que Jason n’est pas tant le problème que le lac de Crystal Lake lui-même, l’intrigue élabore une sorte de malédiction autour des lieux, où le Mal arrive forcément, Voorhees ou non.
Le scénario, signée Ron Marz (Batman / Aliens, Green Lantern vs. Aliens), se divise ainsi en deux époques et alterne constamment entre elles pour montrer comment les mêmes évènements s’y reproduisent malgré le passage du temps. Durant l’Ouest sauvage, quelques trappeurs sont surpris par un blizzard qui pourrait bien les tuer et trouvent refuge dans une hutte indienne isolée. S’y trouve une jeune mère et son bébé, forcément vulnérables, et après avoir profité de sa nourriture certains hommes vont attaquer la femme pour la violer. Suite à ça l’un d’eux va prendre peur en la voyant fouiller dans des affaires et lui tire dessus, la tuant ainsi que son petit. C’est à ce moment que le père revient, chargeant les coupables sous la colère. Blessé au visage par un coup de feu, il s’enfuit dans la forêt mais n’abandonne pas sa vengeance, et bientôt, tel Jason, il va traquer et tuer les coupables un par un… A notre époque, exactement au même endroit, trois randonneurs se perdent dans une tempête de neige et s’abritent dans un chalet du camp Crystal Lake désormais abandonné. Inévitablement un couple va en profiter pour s’envoyer en l’air, mais Jason rôde et va profiter du chaos d’une dispute pour massacrer ces intrus…
Bien sûr les circonstances ne sont pas franchement comparables: d’un côté nous avons une victime totalement justifiée dans sa revanche, de l’autre un tueur en série s’en prenant à de pauvres adolescents en balade. Mais l’idée du mauvais endroit (bad land) demeure. Les protagonistes du présent répètent les actions de ceux du passé et la BD souligne ces échos en les présentant parfois côtes à côtes, jusqu’à la conclusion du carnage où les assassins regagnent les eaux givrés du lac pour disparaître. L’indien se suicide en emportant le corps de sa compagne, Jason retourne à ses ténèbres en emmenant le cadavre d’une jeune femme, le Mal triomphe dans tous les cas. Intéressant, et même si cela demeure plutôt simpliste au final, l’ambiance compense assurément avec des images parfois saisissantes. La présence de neige à Crystal Lake donne une atmosphère unique (que bien de fans aimeraient justement voir être représentée dans un film) et les images sont majoritairement réussies et expressives malgré quelques lacunes trahissant une deadline sans doute très courte pour l’illustrateur.
Parmi les moments fort citons ce type choisissant de s’occuper du nourrisson pendant que ses amis viole la maman, cette vue aérienne du lac gelée avec une petite ouverture fissurée par laquelle vont se glisser les meurtriers pour s’y noyer, et cette scène de sexe où la mignonne héroine chevauche son partenaire et observe son propre reflet dans une vitre en cours d’orgasme avant d’apercevoir la silhouette de Jason au-dehors. Et puis bien sûr il y a les meurtres excessivements violents: décapitation à la machette, hache plantée en plein crâne avec cervelle qui gicle, bâton de ski transperçant une tête pour ressortir par l’orbite, corps empalé sur une branche d’arbre, caboche broyée par un gros rocher… Bad Land y va fort, comme la première mini-série, cependant il semble claire que l’artiste n’a pas eu le temps de tout détailler. Si l’essentielle du livre est superbement dessiné, plusieurs cases trahissent un changement soudain de style, comme s’il y avait eu précipitation ou manque de temps. Ce sont souvent les blessures gores, ou le corps de Jason lorsqu’il est en mouvement. Mike Huddleston (Grendel: Red, White and Black, Mnemovore, Guillermo Del Toro’s The Strain) est généralement plus soigneux que ça.
Ou peut-être juste n’était-il pas à l’aise avec ces éléments, mais cela n’est pas trop grave d’autant que son travail est soutenu par les couleurs de Darlene Royer (le crossover The X-Files / 30 Days of Night), qui a travaillée avec une palette limitée considérant l’atmosphère hivernale et s’en sort honorablement. Un comic satisfaisant donc, qui prouve une fois de plus que la franchise Vendredi 13 pourrait s’affranchir du carcan “slasher” et diriger Jason dans un tas de directions différentes si seulement les fans la laissaient faire. Vu les réactions unanimes lorsque certains s’y tentent (Chapitre 5, Jason va en Enfer, Jason X), ce n’est pas demain la veille. WildStorm s’y essaya encore une fois après ça néanmoins, avec le très bon one shot Abuser and the Abused, où le zombie au masque de hockey rencontre une autre tueuse dont les actions se justifient plus ou moins du fait qu’elle est constamment abusée par son entourage et fini par se rebeller de manière un peu excessive. Après ça, et à la fin de parution de Freddy vs. Jason vs. Ash et sa suite, WildStorm perdit la licence ou ne la renouvella pas. La faute peut-être au reboot de Platinum Dunes sorti quelques temps plus tard, dont l’existence changea probablement bien des choses dans les contrats de la New Line Cinema…
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