Fortress
(1985)
Attention de ne pas confondre ce Fortress avec celui de Stuart Gordon, film de science-fiction avec Christophe Lambert. Il s’agit ici d’un Survival où l’on retrouve, méconnaissable, Vernon Wells, le célèbre punk de Mad Max 2 et inoubliable Bennett dans Commando. Dans le domaine de l’Ozploitation, voilà un petit film qui n’est jamais évoqué et qui pourtant mérite d’être vu. En fait de long métrage, il s’agit d’un téléfilm signé HBO, ce qui passe totalement inaperçu tant la réalisation et la qualité visuelle se montrent de qualité, puissante même. A vrai dire l’un de seuls indices qui permet de s’en rendre compte, c’est à quel point l’affiche du film est introuvable ! La vrai n’est qu’une photo de production, et il faudra attendre la VHS internationale pour découvrir une superbe illustration très « Exploitation », du genre qui faisait rêver à l’époque des vidéo-clubs.
Adapté d’un roman homonyme, l’intrigue semble s’inspirer d’un fait divers véritable où une classe de jeunes enfants fut prise en otage par un criminel armé. Mais à vrai dire les faits ont ici tellement été détournés, refaçonnés, cette anecdote ne vaut même pas la peine d’être mentionnée car elle donnerait une fausse image de ce Fortress. En aucun cas nous n’avons affaire ici à un drame réaliste et, au contraire, il s’agit d’une œuvre de fiction plutôt improbable dans son genre: entre le film d’horreur sérieux et… la grande aventure à la Disney !
Incroyable mais vrai, bien qu’il s’agisse clairement d’une œuvre sombre, notamment dans sa conclusion surprenante et osée, L’École de Tous les Dangers (titre français) donne parfois plus l’impression de suivre les tribulations d’un groupe d’enfants à la manière d’une production familiale: les antagonistes sont des caricatures forcément méchantes et ineptes, et les bambins s’unissent avec naïveté face à l’adversité, comme si tout n’était que gaudriole. Plus d’une fois l’ambiance tend vers Le Dernier Vol de l’Arche de Noé ou Les Naufragés de l’Île aux Pirates plutôt que Délivrance ou Sans Retour.
L’histoire montre comment une petite classe de campagne, littéralement située dans le trou du cul de l’Australie, dans le bush, est subitement agressée par une bande de criminels. Aucune raison n’est donnée et on suppose un enlèvement pour demande de rançon, le film préférant suivre le point de vue des enfants, l’angoisse de la situation, plutôt que de verser dans le récit policier. Pris en otage, embarqués dans un fourgon, ils sont réunis au cœur de la forêt et abandonnés dans une grotte dont les kidnappeurs bloquent la sortie. Comprenant qu’ils ne peuvent compter sur sur eux-mêmes, les mômes, sous le commandement de leur maitresse, tentent de s’évader…
Voilà à quoi se résume le sujet, avec même une certaine répétition dans les évènements: par trois fois les écoliers s’échappent du repaire des bandits avant de se faire rattraper, jusqu’au dernier acte où ils parviennent à se retrancher dans une nouvelle grotte plus importante. La « forteresse » du titre, d’où ils décident cette fois de riposter, la classe devenant alors une véritable tribu ou chacun trouve sa fonction, même les plus jeunes. Un sujet pareil, ça évoque forcément cette idée de retour vers un comportement primaire, sauvage, où les traqués finissent par devenir des chasseurs et se rebiffent brutalement contre leurs agresseurs. Et c’est le cas ! Le dernier acte du film le confirme ouvertement, et le récit passant son temps à jouer sur les situations stressantes qui, inévitablement, vont mener à cette régression typique du survival.
La véritable surprise repose sur la façon dont tout cela est traité. Il y a une réelle volonté de rapprocher Fortress de La Colline à des Yeux et de plonger dans l’Horreur. Tout y est: une musique synthé atmosphérique, des morts sanglantes montrées ouvertement (un otage se prend une cartouche de fusil dans le ventre, un brigand rebelle se fait décapiter et un autre tombe dans une fosse garnie de piques) et la conclusion est particulièrement sombre, nous laissant perplexe quant au devenir des bambins. Techniquement parlant, ce téléfilm est un véritable survival qui repose sur une ambiance étouffante et une mise en scène très premier degré.
En revanche, le concept est totalement parasité par la façon dont la petite troupe est décrite. Après une présentation franchement réaliste des enfants, entre leurs réactions face à la menace et leurs interactions, et la mise en avant de la maîtresse comme héroïne incontestée, devant à la fois gérer sa propre peur, celle des enfants et trouver une échappatoire pour tous, Fortress change la donne dès lors qu’ils se retrouvent enfermés dans la grotte. Subitement l’ambiance est beaucoup plus détendue, tourne à l’humour bon enfant lorsque chacun invente une solution improbable à leur problème, et la musique jusqu’ici très réussie part elle aussi également dans un certain lyrisme des plus relaxants. Ceux qui étaient des otages apeurés, craignant la mort, deviennent subitement des héritiers de La Guerre des Boutons. Chacun se trouve une tâche particulière et leur périple prend des allures d’aventure. Un peu effrayante peut-être, mais un « danger » parfaitement inoffensif, comme dans la grande tradition du film familial.
Ce changement et si subite, si inattendu, qu’il laisse songeur. Se serait-on trompé de film ? Est-ce que, malgré le début parfaitement sérieux, le téléfilm serait une œuvre du genre opposé auquel on pensait avoir affaire ? Perdu ! Fortress change là encore son fusil d’épaule et retombe dans le climat lourd et limite malsain. La classe tente de se réfugier dans une ferme mais se retrouve entre les mains de leurs poursuivants, et les choses vont de plus en plus mal: les kidnappeurs commencent à fantasmer sur la maîtresse et la plus âgée des gamines, un couple de vieillards est exécuté avec la violence d’un film de Steven Seagal (genre Justice Sauvage) et le film n’hésite pas à verser dans l’horreur pure et dure comme lorsque l’héroïne, s’enfuyant à travers champ, tombe subitement sur l’un de ses poursuivants… Celui-ci, en fait mort, s’écroule lentement au sol sans avertissement, tandis que sa tête coupée demeure accroché à la barrière contre laquelle il était adossé !
Soit le réalisateur ne sait pas sur quel pied danser, soit il fait exprès de nous tromper pour mieux nous prendre à revers. Toujours est-il que cela rend son film extrêmement perturbant. Car il recommence, l’animal, protégeant ses personnages dans les dédales d’une nouvelle grotte qui devient un repaire façon Peter Pan contre les pirates. Décidant de se défendre, le groupe se presse pour créer des armes de fortune, des petits pièges, et se peignent le visage de suie pour former un clan d’allure primitive. Le tout sous une musique guillerette qui laisse à penser que la suite des évènements va tomber du côté de Maman j’ai Raté l’Avion, en plus campagnard.
Peine perdue, l’affrontement est brutal. Un homme caché dans la forêt hurle des obscénités à ses proies, menaçant une gamine de viol avant de la poursuivre lorsqu’elle craque psychologiquement et s’enfuie. Une lutte éclate entre un antagoniste et l’héroïne, avant que les enfants ne viennent à son aide en écrasant l’ennemi avec un éboulement, projetant son corps dans une fosse où il fini empalé. Enfin l’ultime attaque, celle contre le leader des criminels, évoque une chasse humaine façon Comte Zaroff, le perdant se voyant mis à mort d’une façon particulièrement sauvage. Si les enfants s’en sortent (évidemment), on ne peut que se dire que le trauma psychologique est irréparable.
Et comme pour nous assener une bonne claque, alors que l’on fini par imaginer la conclusion très happy end avec des enfants ravis d’être rentré chez eux comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, Fortress va plutôt se la jouer Beware ! Children at Play lorsque débarquent en plein cours deux inspecteurs de police. Ceux-ci tentent d’entretenir une conversation avec la maîtresse à propos de l’incident et de sa déclaration, expliquant que certaines choses ne collent pas, mais la femme refuse de parler sans la présence des gamins. La tension est palpable et le film ose l’impensable: la petite tribu est bien restée à l’état primaire malgré les apparences. La salle de classe, bardée d’armes tribales et de morceaux d’animaux, fait penser à l’antre d’un groupe de chasseurs. Les enfants entourent leur maitresse d’un air protecteur et le dernier plan du film dévoile, parmi les crânes et les bocaux de formoles, un cœur humain, conservé comme trophée par nos « héros ».
L’effet est saisissant et conclu l’histoire sur une très bonne note, quand bien même on passe son temps à se demander pourquoi le réalisateur a opté pour une mise en scène partiellement « tout public », voir humoristique ? Ce n’est pas comme si le bonhomme, futur réalisateur de Dark Age (film de crocodile plutôt mystique que clone des Dents de la Mer), était ignare. Son film, il le soigne, lui confère une atmosphère unique en utilisant à bon escient les paysages sauvages Australiens magnifiques, un score synthétique très effectif et une caméra bien placée, qui livre ici des cadrages très intéressant. Peut-être ne savait-il pas comment souligner la naïveté des jeunes enfants autrement que par l’excès, peut-être voulait-il insister sur l’innocence des personnages et garder leur point de vue du début à la fin, entre la terreur et l’amusement selon les moments. Ou peut-être pensait-il tout simplement que cela protégerait la révélation finale, qui surprend beaucoup en effet…
Dans tous les cas il faut vraiment mentionner son travail car, sans lui, Fortress aurait sûrement ressemblé à ce qu’il est censé être: un téléfilm. En l’état l’œuvre tient sans problème la comparaison avec de plus gros budget et offre des séquences vraiment impressionnantes, comme la longue évasion par voie sous-marine, la maîtresse découvrant une source dans la grotte où elle est enfermée. Devant plonger sous l’eau pour accéder à la sortie, elle fini par perdre ses repaires et à tôt fait de manquer d’air, ne pouvant même pas remonter à la surface puisque se trouvant dans un tunnel inondé. On note un important travail d’éclairage et une volonté de rendre les kidnappeurs réellement terrifiant malgré leurs masques de carnaval. Ceux-ci sont d’ailleurs mémorable, notamment ceux du canard et du Père Noël.
Le seul véritable point faible de ce survival réside dans le jeu d’acteur, franchement passable. Les bambins ne sont pas exaspérant en soit mais peuvent parfois porter sur les nerfs. Non pas à force de geindre mais parce que au contraire certains semblent incapables d’émettre la moindre émotion de peur ou d’inquiétude face à ce qui leur arrive, diminuant un peu l’impact de certaines scènes. Leur maitresse, Rachel Ward (qui est apparemment un peu connue en-dehors du cercle de l’Ozploitation), sonne plutôt juste sans pour autant convaincre pleinement. Rien de dérangeant, mais elle ne dégage jamais l’intensité nécessaire pour le rôle et c’est dommage. A la place, la caméra s’attarde longuement sur son corps dénudé durant sa nage souterraine, et certains diront que ça remplace tous les talents du monde.
Enfin les criminels sont pour ainsi dire parfait mais le script commet l’erreur de les montrer trop désorganisé. Passe encore qu’on ne connaisse pas leur motivation, ce qui rend même le film plus étrange, mais leur opération est tellement bâclée qu’on est en droit de se demander comment ils pensaient pouvoir échapper aux forces de l’ordre. La mutinerie qui a lieu, hors-champ, après l’exécution de quelques otages fait manquante car rien ne laissait supposer une telle réaction. Et la mort de Vernon Wells (méconnaissable de tous le film, mais celui qui porte le meilleur masque: le canard !) en pâtit, car on ne comprend pas immédiatement pourquoi on le retrouve décapité. Belle effet de trouille cependant. Du reste je ne peux citer que quelques lenteurs, les otages passant beaucoup de temps à parler, se balader, et essayant trop souvent de s’enfuir sans y arriver. Si le montage avait un peu resserré tout ça, le film aurait gagné en rythme et en efficacité. Rien de bien méchant ceci dit.
Véritable surprise donc, que ce Fortress. Bancal certes mais très bien mis en forme, assurément Australien et s’inscrivant parfaitement dans la légende de l’Ozploitation d’autrefois. Si le genre vous tente, voilà un avatar moins connu mais qui vaut bien le coup d’œil !
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