Flights of Fear – Rug (1994)

Flights of Fear

Rug

(1994)

 

Graham Masterton (à ne pas confondre avec Matheson, comme je le faisais plus jeune), est un romancier britannique spécialisé dans l’horreur et le sexe sale à qui l’on doit tout un tas de récits mélangeant gore, pornographie et mysticisme. On lui doit notamment la saga du Manitou et, s’il n’a jamais eu la qualité d’un James Herbert, reste un auteur important pour le genre. Encore publié en France de nos jours dans diverses éditions, il n’a toutefois plus autant d’exposition qu’à l’époque de la collection Pocket Terreur, et c’est bien dommage. C’est en 1994 qu’il écrit Rug (littéralement tapis ou carpette, chez nous titré Le Loup pour faire un poil plus sérieux – que personne ne boude, les deux fonctionnent très bien au regard de l’intrigue), une nouvelle traitant du mythe du loup-garou, ou plus exactement du Skinwalker, à la sauce germanique. Celle-ci est immédiatement publiée dans la « bible » de l’époque sur le thème: le Mammoth Book of Werewolves édité par Stephen Jones. Une anthologie qui réunie un grand nombre d’histoires tournant autour de la lycanthropie et faisant partie d’une collection d’omnibus à propos des grandes figures du Fantastique (The Mammoth Book of Vampires, Frankenstein, Zombies, etc). En vérité, j’ignore si le texte a été écrit spécifiquement pour l’occasion, ou sélectionné rapidement pour remplir la compilation, toujours est-il qu’il figure tout d’abord dans une collection extérieure à la bibliographie de l’écrivain. C’est un an plus tard qu’il la recycle dans sa propre anthologie, Les Escales du Cauchemars, alias Flights of Fear, second recueil de sa collection après Fortnight of Fear (inédit chez nous), qu’il traite ici avec un léger gimmick: le voyage autour du monde.

L’idée est de nous présenter différents lieux, différentes cultures, qui tous cachent d’horribles histoires parlant de la Mort, de la Peur et de l’étrange. Globalement toutes les craintes communes à l’être humain, quel que soit son peuple ou pays d’origine. 6ème histoire de l’anthologie, Rug nous invite à Münster, en Allemagne, et situe son intrigue en 1960. C’est là qu’un ancien soldat anglais vient s’installer suite à quelques problèmes de couple, emmenant son fils de onze ans avec lui et s’installant chez une famille d’amis, les Smythe-Barnett. Et d’emblée Masterton complique beaucoup trop ce qui n’est censé être qu’un segment présenté en anthologie. Le cadre spatio-temporel ainsi que la situation dans laquelle se trouve les personnages principaux sont assez flous, d’une part parce que la narration épouse le point de vue de l’enfant qui ne comprend pas nécessairement tout ce qui se passe autour de lui, mais aussi parce qu’il y a un énorme manque de détails nécessaires à une bonne compréhension des choses. Cela n’aurait pas été un problème si l’auteur ne passait pas son temps sur ce background qu’il nous faut décrypter, indice par indice. Il semble donc que le père se soit réfugié en RFA, zone occupée entre autres par les britanniques depuis la fin de la guerre, pour s’éloigner de sa femme et que les allemands chez qui il vit sont des connaissances de longues dates. Mais tout cela reste difficile à cerner, parfois lourd et ralentissant le vrai sujet de la nouvelle (quoique soient bien écrit ces passages où l’enfant, trop jeune, visualise tout un tas d’expressions d’adultes au premier degré, comme par hasard ayant rapport à la brutalité, la transformation et la virilité).

En fait je soupçonne fortement Rug d’être une sorte de recyclage de ce qui devait être une histoire plus longue à la base. Une novella que Masterton n’aurait pas complété, quelque chose dans la même veine que son Sphynx. S’il a fini par transformer ce texte sans trop de problèmes, ces nombreux écarts, cette longue présentation du cadre et des relations entre les personnages, en sont sûrement les derniers vestiges… Autant ne pas trop s’attarder sur ces éléments qui, de toute façon, n’ont pas la moindre incidence sur les évènements qui se déroulent. Et donc, parce qu’il s’ennuie et n’apprécie que moyennement les gens avec qui il traine, le petit garçon fini par se faire porter pâle un jour de sortie et reste seul dans la demeure où il séjourne. Cherchant à s’amuser, il fini par s’éclipser au grenier où il va découvrir une pièce aménagée comprenant la photo d’une inconnue, ainsi qu’une peau de loup abimée par le temps. Une carpette, ou plutôt un de ces trophées de taxidermiste, puisqu’il reste de l’animal encore sa tête. Impressionné par la beauté de la bête, l’enfant commence à jouer avec, s’imaginant la vie qu’a pu mener celle-ci, plus sauvage et plus libre que la sienne. La nuit venue, il entend clairement du bruit en provenance du grenier et commence à penser que le loup est toujours vivant…

Dans son imagination fertile, il lui a manqué de respect en jouant à l’aventurier et en improvisant une bataille avec lui, d’où il sortait naturellement vainqueur. Terrifié à l’idée que la chose vienne se venger, surtout qu’elle semble maintenant à deux doigts de sa porte, il panique. Pourtant c’est un humain qui entre dans la chambre, son hôtesse, Madame Smythe-Barnett, qui le réconforte sans qu’il ne comprenne où est passé la bête qu’il s’attendait à voir. Perturbé, il va s’intéresser aux légendes locales et en apprendre plus sur les hommes-loups. Notamment Gunther Schmidt, un meurtrier qui a sévit dans la région durant le début du siècle jusqu’à ce qu’il disparaisse après une toute dernière victime… La fille de la photographie ! Bien que d’un jeune âge, il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que la peau trouvée dans le grenier appartenait à Schmidt, tué et dépecé par le père de sa dernière proie, en un acte de vengeance. Mais comment s’est-elle retrouvée chez les Smythe-Barnett ? A partir de là, l’obsession du gamin va prendre un tournant inattendu, celui-ci cessant alors d’avoir peur de la créature maintenant qu’il l’a identifié. Schmidt n’était pas un loup-garou traditionnel, un homme qui devient bête, mais plutôt l’inverse: un loup prenant forme humaine ! Le récit met un point d’honneur à expliquer le procédé, la façon dont l’humain se trouve à l’intérieur du loup, la peau de l’animal évoquant un costume, plutôt que de jouer le coup de la nature bestiale se cachant dans l’homme.

Le mythe du skinwalker se retrouve ici, avec cette idée que le monstre a besoin d’un hôte, un humain se vêtant de sa peau, pour prendre forme. Masterton opère une sorte de fusion entre le mythe du loup-garou médiéval, parfait pour une cité européenne décrite comme « une ville grise dans une plaine grise », et celui de l’animisme tribal proche des cultures natives américaines (n’est-il pas justement connu pour sa saga du Manitou ?). Intéressant quoiqu’un peu confus, la faute encore à ce qui doit être un récit original tronqué ou inachevé. Tout l’historique autour de la peau, qui a tué le monstre, qui l’a tannée, comment les Smythe-Barnett l’ont récupéré, est à peine expliqué (à peine nécessaire surtout) et pourtant la narration se perd en détails qui semblent préparer le terrain pour plus d’explications, de révélations. Comme ce prologue, qu’on ne comprend surtout qu’une fois avoir lu la fin, ou la présence de la photo de la victime, qui semble surtout là pour permettre à l’enfant de comprendre l’origine de la carpette, sans pour autant avoir de sens puisque les Smythe-Barnett n’ont à priori aucun lien avec elle. Résultat, la lecture se fait plus compliquée qu’elle ne devrait l’être, trop d’éléments venant encombrer le déroulement de l’histoire et retenant notre attention sans que cela n’en vaille la peine.

Dommage, mais c’est là que l’histoire prend son envol. Séduit par l’idée même d’homme-loup, l’enfant se relève la nuit suivante pour jouer à nouveau avec le tapis, mais d’une manière beaucoup moins innocente. Il la charme, lui explique qu’il connait son secret mais qu’il peut devenir son nouvel humain, son nouvel hôte. Il s’emmitoufle dans la peau, cherchant à devenir loup, s’imaginant sauvage et meurtrier et invincible. Le petit garçon déambule dans les couloirs de la maison, grognant devant les portes de chaque chambre où dorment les habitants. Il « disparait » derrière cette nouvelle identité, même lorsqu’un adulte fait subitement irruption devant lui. Même lorsqu’il s’agit de l’innocente Madame Smythe-Barnett, qui plus tôt l’avait consolé. Seulement voilà, il va vite réaliser que la peau ne se trouve pas ici par hasard et qu’elle possède déjà un propriétaire… La suite ne se raconte pas vraiment sous peine de livrer la totalité du récit, mais les images marquent. Un corps sans peau, dont on peut voir les organes fonctionner, une famille dépecée de façon grotesque, et le tapis de loup, retrouvé en apparence normal, déformé par une bosse comme si quelque chose se cachait dessous. Des restes humains à moitié digérés… Si Rug pêche un peu par une trop longue exposition, qui risque de rendre le lecteur plus confus que conscient des tenants et aboutissant de cette intrigue, il fonctionne à plein pot aussitôt qu’il touche à son sujet principal. Un môme, un loup, une désagréable sensation de dépaysement et le thème de la Sauvagerie.

Sans conteste l’une des nouvelles les plus mémorables du recueil, du Masterton pur jus qui ne recule devant rien. Pas même devant les graphiques mais inutiles descriptions sexuelles qu’il trouve toujours le moyen de nous recaser, comme d’habitude, et sans se poser de question quant à leur véritable nécessité.

 

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