Dave Made a Maze
(2017)
Le terme anglais “style over substance” est souvent employé pour décrire une œuvre qui soigne plus sa forme que son fond, mais sans pour autant avoir une connotation négative. Cela s’applique assez bien à ce Dave Made a Maze, film assez époustouflant si l’on parle de ses visuels ou de la créativité de ses décors et accessoires, mais qui pêche par une écriture bien trop faiblarde faisant défaut aux personnages et à l’intrigue. Ainsi on ne peut pas vraiment qualifier le résultat de réussi si l’on s’en tient uniquement à la qualité scénaristique du projet, lequel débute sur un postulat intéressant qui va progressivement disparaitre derrière l’ingéniosité de la scénographie. Les personnages sont creux et se contentent d’exister sans spécialement faire montre d’émotion devant l’étrange situation dans laquelle ils se trouvent, et la conclusion n’est pas franchement convaincante. Pour beaucoup cela suffira pour rendre son jugement sur cette petite production.
Heureusement celle-ci se rattrape avec l’impressionnant travail de construction autour du labyrinthe servant de cadre à son histoire. Notamment parce que l’endroit est entièrement composé de carton. Ça ressemble à une blague, et pourtant il faut sincèrement féliciter les responsables pour l’effort fourni, le directeur artistique Jeff White et les chefs décorateurs John Sumner et Trisha Gum, qui mériteraient presque d’être crédités comme co-réalisateurs vu leur contribution plus qu’importante à l’ensemble du film. Non pas que le metteur en scène (Bill Watterson, aucun lien avec le créateur de Calvin et Hobbes) n’ait rien à proposer de son côté, mais il se contente globalement de filmer son script sans trop en rajouter, apparaissant bien plus passif d’un point de vue artistique et créatif. On peut au moins lui reconnaitre de commencer sur des chapeaux de roues avec un mystère si absurde qu’on ne sait pas s’il va dériver vers la comédie ou sombrer dans l’horreur, un peu à la manière de La Moustache de d’Emmanuel Carrère.
Dave Made a Maze s’intéresse donc à Dave, personnage un rien dépressif qui ne semble pas avoir de travail et s’en retrouve très affecté. Lorsque sa copine part en voyage pour le week-end, il décide de passer le temps en construisant un petit labyrinthe en carton dans son salon. D’extérieur il ne paye pas de mine et ressemble à un assemblage grossier qu’un enfant aurait pu improviser au centre aéré, mais à l’intérieur les choses sont bien plus grandes à la manière du TARDIS de Doctor Who, et le constructeur se perd dans son propre dédale… Lorsque sa petite amie revient trois jours plus tard, il est toujours prisonnier. Inquiète et pensant qu’il fait une crise de nerf, elle contacte un ami qui débarque avec toute une foule pour voir le fameux labyrinthe, ne prenant pas les choses au sérieux. Lorsqu’il devient clair que Dave ne peux pas revenir, le groupe se décide alors d’entrer à son tour pour lui porter secours…
Un concept intriguant qui tient à la fois de la comédie fantastique et du film d’aventure, avec une pointe de La Quatrième Dimension pour faire bonne mesure. Le problème c’est qu’une fois ces bases posées, rien ne change et les protagonistes se contentent de progresser de salles en salles en répétant les mêmes actions. Cube, au moins, voyait la paranoïa s’installer et les personnages se dresser les uns contre les autres tout en cherchant des solutions pour parer les pièges. Ici l’équipe se contente d’observer et de fuir sans vraiment paniquer ou se mettre en colère, et le huis clos perd vite tout son intérêt. Il y a aussi de fausses idées, comme ces types tournant un reportage dans le labyrinthe sans que cela ne soit exploité de la moindre façon et qui auraient aussi bien pu être remplacé par n’importe qui, et certains gags ne fonctionnent pas du tout (l’interminable reprise du “You fuck my wive ?” de Robert DeNiro et la séquence toute en rimes).
Reste l’argument psychologique au cœur des actions de Dave, de son choix d’avoir commencé à construire le labyrinthe et de vouloir le terminer malgré le danger que cela représente. En découvrant qu’il est un artiste vexé de n’avoir jamais accomplit quoique ce soit d’important dans sa vie et dépendant encore financièrement de ses parents, il est impossible de ne pas faire le parallèle avec la vie du réalisateur lui-même, petit acteur au CV sans éclat malgré qu’il ait la quarantaine bien entamé. Le discours final du héros, bien que compréhensible puisqu’une telle situation n’est pas idéale, apparait du coup comme une plainte un peu juvénile et difficile à prendre au sérieux. Quant à sa romance avec sa petite copine, mise à mal par leur train de vie répétitif et la responsabilité qu’à le garçon dans la création du labyrinthe, elle n’est finalement jamais explorée malgré sa grande importance vis-à-vis de la conclusion.
Ce n’est donc pas une œuvre particulièrement bien écrite ou mise en scène, mais comme expliqué plus haut tout est contrebalancé par la grande réussite de la composition scénique. Le monde de Dave prend littéralement vie sous nos yeux et nous bombarde de créatures, de pièges et d’illusions d’optique: un mur en forme de clavier cache des passages secrets dans les touches noires, une tête géante façon Zardoz vomi des flots de papiers kraft, des oiseaux-origami font leurs nids dans les hauteurs. Certaines pièces jouent sur les fausses perspectives pour tromper les promeneurs, une warp zone dans un tuyau à la Super Mario transforme les personnages en marionnettes et certains murs saignent si ont les déchires. Une méchante coupure de papier change petit à petit la main de la victime en morceau de carton et la reproduction géante d’un vagin hypnotise quiconque passe à sa portée pour mieux les transformer en matière première.
Le film verse même parfois dans une sorte de gore cartoonesque, avec ces obstacles façon guerre du Vietnam où guillotines géantes et piques viennent décapiter et empaler les intrus dans des gerbes de serpentins et de confetti ! Evil Dead 2 et Killer Klowns From Outer Space ne sont parfois pas bien loin (toutes proportions gardées), en témoigne cette séquence surréaliste où une cordelette douée de raison se tend en voyant une paire de jambes approcher d’elle, riant sous cape… pour mieux soupirer de déception quand la personne choisi de prendre un autre chemin. Un cadavre revient sous la forme d’un zombie en carton manipulé comme une marionnette et dont on ne sait pas bien s’il s’agit d’une imitation ou de l’original qui aurait été métamorphosé et le labyrinthe altère la réalité pour s’étendre comme un virus dans notre monde. Et bien sûr il y a le minotaure, joué par le catcheur John Hennigan (John Morrison, peut avant son retour à la WWE), qui incarne en réalité toutes les frustrations de Dave et sa colère intérieure.
Tout ceci est réalisé en dur, avec les effets spéciaux les plus rudimentaires possibles mais qui demeurent impressionnant dans leur nombre et leur démesure. Chaque pièce est unique, mélangeant décors en taille réel et miniatures qu’il est pratiquement impossible de différencier, et jamais le côté cheap de l’entreprise ne vient briser la magie. Le plus drôle dans tout ça c’est que la production n’a strictement rien payé, ayant emprunté à quelques bennes de recyclages de manufactures durant la totalité du tournage ! Sympa, l’équipe aura ensuite tout rendu afin de rester écolo. Cet improbable côté do it yourself aura valu au film d’être taclé au même titre que tout le reste sur le site de feu Roger Ebert, le critique utilisant même le terme « Hipster Etsy » pour décrire le résultat. C’est indéniable, mais c’est justement ce qui fait sa force à mon sens.
Alors bien sûr Dave Made a Maze est loin d’être l’œuvre culte qu’elle prétendait être du temps où elle faisait la tourner des festivals, et elle est désormais déjà oublié eà peine quelques années plus tard, la carrière de Bill Watterson n’ayant pas plus avancé après coup. Mais la présentation est telle que l’on peut facilement faire abstraction du maigre contenu et des errances narratives. Bien qu’il reprend à son compte une histoire bien connue de la mythologie grec, le script parvient à avoir l’air original à une époque où Hollywood ne mise plus que sur les reboot et les univers cinématographiques, et l’absence de CGI pour dépeindre cet univers surréaliste apparait comme un parti-pris fort respectable. Autant de petites raisons qui forcent la sympathie pour ce film malgré ses flagrants défauts.
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