Daredevil
(2003)
Suite au succès consécutif des X-Men et de Spider-Man (mais n’oublions pas Blade), la Marvel décide de donner le feu vert pour lancer une série d’adaptations de ses plus grands héros. Daredevil va enfin connaître une sortie cinématographique officielle, après sa peu ressemblante apparition au sein d’un téléfilm issu de la série Hulk, avec Bill Bixby et Lou Ferrigno… Daredevil le film devait être une adaptation de la période Frank Miller, utilisant les personnages du Caïd (Kingpin), de la mythique Elektra et du Tireur (Bullseye). De quoi faire un bon spectacle, d’autant plus que Mark Steven Johnson s’autoproclamait « plus grand fan de Daredevil » lors des séances promotionnelles.
Évidemment rien ne fonctionne jamais comme prévu, et plutôt que d’être le chef d’œuvre promis, Daredevil se révèle être un sombre échec, voguant carrément avec le nanar. Les trahisons envers le comic-book sont tellement nombreuses qu’on est en droit de se demander comment le film a pu en arriver là. Bien sûr les studios ont participé au massacre, allégeant un maximum l’ambiance sombre et très adulte de l’univers de Daredevil pour mieux sortir le film en PG-13 (interdit aux moins de 13 ans), ce qui détruit bien sûr toute l’ambiance originale.
Johnson ne cache pas ses démêlés avec les producteurs et précise que la version du film qui fut exploité n’est pas du tout celle qu’il concevait, alors bien plus sombre. Et pourtant c’est bel et bien Johnson qui est le plus responsable de la purge que représente Daredevil. Loin de montrer les personnages sous leur meilleur jour, c’est comme s’il s’était mis à les ridiculiser les uns après les autres, brisant leur potentiel pourtant énorme.
L’histoire en elle même ne contient finalement pas grand chose. On fait connaissance de Matthew Murdock, brillant avocat aveugle qui perdit la vue lors d’un accident dans sa jeunesse, et qui endosse le costume d’un diable rouge pour faire lui-même Justice lorsque vient la nuit. Alors qu’il rencontre la belle Elektra, dont il tombe amoureux, le Kingpin, dirigeant d’une grande organisation criminelle, décide de tuer le père de cette dernière. Il envoie Bullseye faire le travail, lequel réussi fait passer Daredevil pour le responsable. Elektra se met alors en tête de venger son père, ne sachant pas que Daredevil est l’homme qu’elle aime…
Comme le montre ce résumé, l’intrigue tiens sur un ticket de métro et n’offre que du vide. Daredevil fait son travail, échoue, est prit pour cible par Elektra qui se bat contre lui, puis va punir les vrais coupables. Aucune surprise, aucun rebondissement, aucune prise de risque. Daredevil ne révolutionne rien et ne fait preuve d’aucune intensité, ne possède absolument pas l’essence du Daredevil papier. Passe encore si, derrière ce scénario honteux, se trouvait au moins l’esprit des comics, hors il n’en est rien. Johnson fait passer ses personnages pour des guignols et ne semble montrer aucun respect pour l’œuvre qu’il adapte. Ainsi passe à la moulinette le personnage de Foggy Nelson, le collègue et ami de Murdock, qui devient une sorte de sidekick à peine présent et qui passe son temps à se faire ridiculiser. Le Kingpin, originalement extrêmement obèse, se retrouve interprété par un Michael Clarke Duncan, grand baraqué qui se la joue propre sur lui et hilare pendant tout le film, ne possédant pas une once du charisme du personnage et voyant sa fameuse force surhumaine (ne collant pas du tout à son physique par ailleurs) n’être qu’à peine exploité lors du climax.
Tout ceci est consternant mais le pire est réservé aux deux personnages les plus célèbres, Daredevil et Elektra. Le premier se voit être interprété par un Ben Affleck ne collant pas du tout au rôle, et perdre toute sa classe que ce soit en Matt Murdock comme en Daredevil. En effet, l’aveugle ne possède qu’une unique scène de procès, qu’il perd, ne montrant rien de ses fameux talents d’avocat. Il n’est pas du tout l’adulte responsable qu’il est supposé être et on le retrouve carrément entrain d’utiliser son handicape pour tenter lamentablement de draguer les filles (en l’occurrence Elektra), quand il ne laisse pas ses clients le remercier gentiment avec des objets divers au lieu de le payer pour ses services.
Pour ce qui est de Daredevil, nous avons droit à un personnage en combinaison de cuir rouge (il s’habille en quelques plans et s’entraîne quelques secondes devant la caméra pour montrer qu’on a affaire à un dur) qui ne possède pas une once du charisme de la Tête à Cornes, et qui va jusqu’à représenter tout l’opposé de ce qu’est le personnage ! Car si le héros est censé être le dernier recours d’une justice défaillante, on sait que derrière le masque Murdock possède une confiance aveugle (!) envers la Loi et ne se venge aucunement sur ses proies, les livrant tout simplement à la Justice. Ici Daredevil balance un violeur sur une rame de métro pour le tuer froidement, allant jusqu’à y prendre du plaisir. Le Justicier devient alors un vigilante sadique dans la même ligné du Punisher, ce qui est donc son contraire exact. On ne pouvait pas plus trahir le personnage, et Johnson va jusqu’à reproduire la chose lorsque, au terme de l’affrontement avec Bullseye, le justicier le balance carrément depuis le sommet d’une église, le laissant s’écraser des dizaines de mètres plus bas sur une voiture. Pour le respect, on repassera… Il ne faut pas espérer un protagoniste en proie au doute et à la remise en question de sa Foi. L’idée est bien présente mais elle est à peine esquissée, vaguement reléguée au second plan le temps d’une ou deux scènes.
Enfin, histoire de bien achever le mythe, Johnson nous livre une Elektra n’ayant aucun rapport avec le célèbre personnage de Frank Miller. Alors qu’elle est supposée être grecque, on se retrouve avec une Jennifer Garner on ne peut plus typée américaine, jouant une fille à papa sans aucune efficacité en ce qui concerne les techniques de combat. On la retrouve au cœur de situations tellement déconcertantes qu’elles en deviennent gênantes (Elektra qui tire sur Daredevil au pistolet sans faire mouche, Bullseye la terrassant en moins de dix seconde), et vêtue d’un costume noir plutôt simple au lieu de sa fameuse tenue rouge qui ne devrait pas être difficile à reproduire. Une catastrophe.
Reste le personnage de Bullseye, qui s’inspire du re-design récent, avec long manteau et tatouage de cible sur le front en lieu et place du vieux costume rétro. Seul personnage ressemblant donc physiquement au comic-book, il n’est cependant pas plus respecté que les autres. Et de tueur sanguinaire et terrifiant, il devient un vulgaire clown tout juste bon à faire peur aux rats ou à tuer des grands mères avec des cacahuètes. En fait, cet antagoniste ne relève le niveau que grâce au cabotinage de Colin Farrell. Ce dernier n’ayant pratiquement aucune ligne de dialogue, on le voit surjouer par le biais de mimiques et grognements, se livrant à un véritable one-man show qui fini par remporter l’intérêt du spectateur, tant l’acteur semble avoir conscience que le film ne vaut rien et qu’il ne faut finalement pas trop s’impliquer dedans. Au moins on s’amuse un minimum, même si le personnage est tout aussi ridiculisé que les autre.
À cela s’ajoute un prologue monotone sur le passé de Matthew Murdock, quelques affreuses doublures en CGI, des erreurs techniques impardonnables (l’empalement d’Elektra en est un exemple flagrant, ou bien les initiales en flammes de Daredevil reflété à l’envers sur les verres de lunettes par rapport à leur position sur le sol) , le score composé est quasiment absent du film (pourtant écrit par Graeme Revell) et remplacé par de la musique en vogue, des affrontements ridiculement courts et d’une très grande pauvreté, et surtout, une perpétuelle impression de déjà vu. Les bonds de la Tête à Cornes sur les immeubles renvoient immédiatement à Spider-Man, son saut de l’Ange depuis un immeuble est calqué sur celui de Blade 2 et l’apparition des initiales du héros en lettres de feu évoque le symbole du corbeau dans The Crow.
Dans tout ce foutoir, on peut toutefois saluer la performance de David Keith en Jack Murdock (père de Matthew) s’en tirant finalement plutôt bien pour sa part, repérer la vague présence du personnage de Heather, dont on entends la voix sur le répondeur de Murdock, et l’utilisation de grands noms de la bande-dessinée ici et là (Lee, Miller, Quesada). Kevin Smith, inoubliable Silent Bob, réalisateur de son état, et accessoirement scénariste pour le comic book Daredevil, a ici un tout petit rôle, sous le nom de Jack Kirby, et apparaissent à l’écran Frank Miller, Stan Lee et Kane Hodder (fameux cascadeur et interprète d’un tueur mythique au masque de hockey). Et peut-être, en cherchant bien, un ou deux plans bien dans l’esprit des comics, comme ces emprunts aux dessins de Frank Miller, au début et à la fin du film (Daredevil se tenant contre une croix au sommet d’une église, ou lançant son lasso canne dans le vide en chutant d’un immeuble). Autant dire rien.
Daredevil, par la faute de son réalisateur vaniteux complètement à côté de la plaque et des producteurs souhaitant un film tout public, est une honte. A regarder comme nanar si l’on n’est pas trop aigris d’un tel massacre.
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