Constantine
Ep.1.11
A Whole World Out There
Voilà un choix d’épisode plutôt étrange à l’approche du season finale, qui ne fait absolument pas avancer le schmilblick et pourrait même signifier que l’angle du Rising Darkness ne sera finalement pas du tout conclu d’ici la fin de cette première (et unique ?) saison. Ce qui signifie que si Constantine n’est pas renouvelé, la série se terminera sur un cliffhanger non résolu et donc d’une double déception pour quiconque suivait le show depuis le début. Autant dire que ça n’aide pas vraiment la situation et qu’il est difficile de s’intéresser à ce qui se passe quand on a la forte impression qu’on ne verra jamais la fin.
Cela étant dit, A Whole World Out There n’est pas nécessairement un mauvais épisode. C’est simplement une histoire qui aurait pu avoir sa place plus tôt dans la série, ou qui aurait été acceptable si la saison avait été plus longue. En l’état ça se laisse suivre et apporte même quelques idées intéressantes, en plus de l’alchimie évidente entre les deux acteurs principaux, mais il y a de fortes chances pour que tout ceci soit vite oublié aussitôt que le générique de fin apparaît. Maintenant que j’y pense, c’est peut-être justement pour cette raison que nous voyons pour la première fois John Constantine fumer, acte glorifié en plan serré, cigarette aux lèvres, sans censure ni bidouillage d’aucune sorte pour “camoufler” son geste !
L’intrigue se déroule peu après les évènements de la semaine dernière, l’exorciste se retrouvant seul en compagnie d’une bouteille tandis que Chas passe un peu de bon temps avec sa famille et que Zed se repose. Manny lui apparaît pour le prévenir qu’un de ses amis à besoin d’aide immédiate, à savoir Ritchie, son ancien équipier que l’on avait déjà croisé dans le pilote. L’ange étant plutôt direct dans sa demande, le sorcier va voir ce qui se trame dans l’université où il enseigne mais ne découvre à priori rien de particulier, son “ami” préférant se tenir loin de lui et de l’occulte. Du moins jusqu’à ce que plusieurs de ses étudiants trouvent la mort dans des circonstances suspectes. Tout laisse à penser qu’ils ont réussi à voyager à travers un autre plan d’existence et revenir, prouvant au passage une théorie sur laquelle le professeur travaillait.
Malheureusement la dimension où ils ont échoués est habitée par un énigmatique personnage qui non seulement a tenté de les tuer sur place, mais peut désormais utiliser n’importe quelle surface réfléchissante pour apparaître et emporter avec lui l’esprit des jeunes gens, les ramenant dans sa dimension. Pour les sauver, Constantine et Ritchie vont devoir faire le voyage à leur tour et découvrir un univers où ils n’ont aucun contrôle…
L’histoire s’inspire d’une étrange théorie: l’idée de singularité technologique. Il existe vraiment tout un tas d’écrivains, analystes, théoriciens et même “cyberphilosophes” (oui, vraiment) qui voient l’émergence des nouvelles technologies comme une nouvelle étape possible de la vie humaine. Le sujet est immensément vaste, les idées et les spéculations sont nombreuses, variées et souvent différentes d’une personne à l’autre. Mais pour faire court et rester dans le sujet de l’épisode, l’une d’elles repose sur le fait qu’il serait possible que la conscience d’un être humain puisse être transférée dans un réseau informatique et préservée pour l’éternité. Le concept tourne autour du fait qu’une personne peut être assimilée à un paquet de données, lesquelles pourraient être numérisées et permettre à l’individu d’exister dans une forme virtuelle plutôt que physique, survivant au corps et accédant à une certaine manière à l’immortalité. Il s’agit d’une des perspectives possible du transhumanisme.
Les explications sont longues, fastidieuses (mais fascinantes) et impossibles à résumer ici, mais ceux que cela intéresse peuvent commencer leurs recherches autour de Raymond Kurzweil, futurologue et ingénieur qui est actuellement l’une des grosses têtes derrières Google. Du reste je peux simplement vous dire que toutes les notions d’intelligence artificielle, nanotechnologie, cybernétique et évidemment de biotechnologie, ont une grande importance dans cette idéologie.
Pour moins se prendre la tête, restons dans la fiction et rappelons-nous que l’idée traine depuis l’invention de l’ordinateur. Il s’agissait du point de départ du génial Evilspeak, avec Clint Howard, ainsi que du Cobaye, ce film qui avait fait râler Stephen King. La série B Ghost in the Machine, avec son fantôme utilisant les réseaux informatiques pour terroriser ses victimes, et tant qu’à y être les œuvres de Masamune Shirow (Ghost in the Shell évidemment) évoquent ce propos. Les accros du Japon ne manqueront pas non plus de penser à la titanesque série Megami Tensei, une collection de romans, de films d’animations et de jeux vidéos (les Persona en sont des spin-offs) qui mélangent occulte et technologie, et Metal Gear Solid 4 y fait fortement référence dans sa conclusion.
Concernant Hellblazer, l’idée a évidemment été utilisée et John Constantine s’est déjà baladé à l’intérieur d’un ordinateur (The Devil You Know, 1988). Maintenant que j’ai illustré le propos, autant vous le donner en mille: cela n’arrive pas dans cet épisode. Constantine ne risque pas de mélanger high-tech et magie de si tôt puisqu’il faut que la série puisse déjà se forger sa propre identité à l’aide du surnaturel. De plus, vu que le show s’adresse à un public assez large, il est hors de question de plonger dans un délire métaphysique un peu abstrait. Et puis dans l’extrême inverse, il aurait été peu sérieux de montrer Matt Ryan se balader dans un univers virtuel en utilisant un vieux PC portable. En fait, de la théorie, le scénario ne retient que le concept de transfert de l’esprit humain vers une autre réalité plus malléable.
L’histoire raconte comment, des années plus tôt, un certain Jacob Shaw a effectué des recherches sur le sujet. En utilisant une ancienne technique d’hypnose (le temple du sommeil égyptien, qui remonte à l’Antiquité, et oui là encore le concept n’est pas fictif) il a découvert un moyen de pénétrer spirituellement dans autre une dimension, mais a perdu la raison et à tué son assistant. Arrêté et en attente de sa condamnation, il a préféré fuir vers ce nouveau monde, abandonnant derrière lui son enveloppe physique qui n’a pas survécu.
Seul et unique habitant de ce plan astral, Shaw est devenu le maître des lieux, se découvrant des capacités pour altérer cette réalité à sa guise. Mais évidemment sa folie s’est tout autant développée, aussi lorsque des intrus pénètrent dans son sanctuaire, il se plaît à les assassiner de manière très sadique. Non seulement ça, mais même après une première mort, il est capable de reconstituer leur conscience et recommencer le massacre une nouvelle fois ! Quand ses proies lui échappent, Shaw traverse alors les dimensions afin de les retrouver et de les renvoyer chez lui pour les assassiner. Réalisant la situation, Ritchie accepte alors de se mêler à l’affaire malgré ses peurs et, avec Constantine, va faire le voyage pour neutraliser Shaw une bonne fois pour toute.
Inutile de dire que l’ombre de Freddy Krueger plane énormément sur cet épisode, ne serait-ce qu’en raison du concept lui-même. Le groupe de jeunes que Shaw traque à travers les dimensions évoque naturellement l’habituelle bande de teenagers de film d’horreur, et l’état de transe par laquelle il faut passer pour entrer dans l’autre monde rappel le sommeil. Naturellement, mourir dans le plan astral a des répercussions dans le monde “réel” et les blessures infligées réapparaissent sur les corps inconscients. Et tout comme Freddy avait le pouvoir de voler les âmes de ses victimes pour gagner en puissance, Shaw peut ramener celle des siennes et recommencer sa chasse à l’homme une fois encore. Là dessus, A Whole World Out There se montre même un poil plus cruel que le remake des Griffes de la Nuit où l’idée était vaguement évoquée (le croquemitaine déclarait que le cerveau survit pendant quelques minutes après la mort physique d’un individu, et qu’il peut donc encore s’amuser un peu avec ses victimes).
Et si l’épisode ne peut jamais s’amuser et partir dans tous les sens avec monstres en caoutchouc et autres séquences imaginaires comme on en trouve à la pelle dans la saga (ici au contraire, on reste terriblement terre-à-terre dans le déroulement des faits, au point que cela en devient presque décevant), d’autres éléments viennent renforcer la comparaison. Ainsi le monde de Shaw se limite à une vieille maison décrépit et flippante, comme celle de Freddy, et l’antagoniste est vaincu en se faisant littéralement “effacer” de l’existence, exactement comme le final du Nightmare on Elm Street original. Enfin, les proies du Springwood Slasher pouvaient par instant se rebiffer en devenant les Dream Warriors et utilisant le monde des rêves à leur avantage pour gagner des super-pouvoirs. Ici Ritchie trouve la confiance qu’il ne possède pas dans la réalité et joue de ses connaissances pour devenir l’équivalent de Shaw, gagnant le contrôle total de cet environnement virtuel.
Mais l’épisode n’est pas qu’une repompe de la plus grande icône horrifique du cinéma et semble surtout être un bon prétexte pour agrandir l’univers DC télévisuel. Ce n’est certainement pas un hasard si la dimension dans laquelle habite Shaw évoque le monde des rêves, et il existe chez DC une dimension baptisée The Dreaming. Il s’agit en fait de l’endroit où chaque rêves et fantasmes existent, et du repaire du célèbre Sandman de Neil Gaiman. On sait qu’une série (ou peut-être un film) est en préparation depuis un long moment concernant ce personnage et il pourrait s’agir d’une tentative d’introduire les choses en douceur. Et comme pour le confirmer, la bâtisse de Shaw ressemble à un grand manoir laissé à l’abandon: dans les comics, il existe deux endroits similaires à travers The Dreaming, à savoir les House of Mystery (la Maison du Mystère) et House of Secrets (la Maison des Secrets), dont les architectures sont sans cesse changeantes.
Un autre élément qui n’est sûrement pas une coïncidence est le fait que Ritchie enseigne à la Ivy University, une faculté qui est connue dans les bandes-dessinées pour être le lieu de travail des scientifiques Ray Palmer et Ryan Choi. Deux protagonistes qui se sont cachés derrière le masque d’un même super-héros, The Atom. Et la série Arrow a justement engagé l’acteur Brandon Routh pour incarner celui-ci durant leur troisième saison, cette année ! Bien sûr il ne pourrait s’agir que de quelques clins d’œil, des easter eggs au même titre que ce tableau dans le bureau de Ritchie qui évoque une version Punk de Constantine dessinée à la manière de Richard Corben. Mais avouons que DC est extrêmement jaloux du succès de Marvel et son univers ciné, au point de copier leur plan sur le long terme et de nous bombarder de séries télés (Arrow, Constantine, Flash, Gotham, iZombie et bientôt Supergirl et Static Shock), ce qui est tout sauf innocent.
Quoiqu’il en soit, les idées et concepts développés ici sont intéressants et A Whole World Out There a pour lui quelques bons points. Toute la relation entre Ritchie et Constantine est extrêmement bien écrite, au point qu’il serait même une bonne idée de faire du professeur un personnage récurrent. La meilleur scène est certainement celle où, fatigué de ses peurs et de son manque de confiance en soi, Ritchie considère un instant rester dans l’autre monde afin de devenir une sorte de Dieu, tandis que l’exorciste lui rétorque que cela ne serait que fuir la réalité.
En face de ce duo dynamique, le comédien incarnant Jacob Shaw aurait pu se retrouver en position de faiblesse. Bien heureusement celui-ci (William Mapother, plein de petits rôles dans des trucs connus) se montre suffisamment sinistre pour représenter une menace réelle, et surtout possède ici une ressemblance frappante avec un jeune Terry O’Quinn, ce qui est forcément un bonus charismatique non négligeable ! Quant aux incrustations numériques foireuses à la fin de l’épisode, j’ai envie de dire qu’on s’en fout totalement car, vu le budget de la série, c’était couru d’avance, et de toute façon très secondaire.
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