Un peu oubliée de nos jours, la saga Blood Island représente pourtant un gros pan du cinéma d’exploitation philippin et de la carrière de son créateur, le cinéaste Eddie Romero. Réalisateur spécialisé dans la grosse série B (Beast of the Yellow Night, Black Mama, White Mama, Beyond Atlantis), il produisit la série avec plusieurs partenaires sous la bannière d’Hemisphere Pictures, une boite qui distribua aussi quelques titres d’Al Adamson en son temps. C’est au total quatre films qui virent le jour entre 1959 et 1970: Terror is a Man, Brides of Blood, The Mad Doctor of Blood Island et Beast of Blood, chacun se déroulant sur la même île tropicale surnommée l’Île de Sang. Un coin de Paradis maudit où vivent une tripotée de mutants sanguinaires, créés aussi bien par des savants fous que par des retombées radioactives ayant transformées la faune et la flore locales. De pur monster movies très pulp comme on en fait plus, évidemment assez rudimentaires du fait de leurs petits budgets, mais néanmoins divertissants.
Le 15 Juillet dernier est apparue l’étrange annonce que Brian Yuzna préparerait une nouvelle suite, intitulée Tales of Blood Island, qu’il développera conjointement avec une version comic book. Si l’idée de revoir le réalisateur de La Fiancée de Re-Animator et de Society aux commandes d’un film gore est séduisante, il faut cependant apprendre à lire entre les lignes pour comprendre de quoi il est véritablement question ici. En vérité Yuzna ne travaille pas encore officiellement sur ce projet, et son nom est simplement utilisé pour mettre en avant la campagne Kickstarter d’une tout autre personne: Dave Sehring, le patron de Drive-In-Sanity Films, une compagnie dont l’activité reste assez nébuleuse mais semble dédiée à la recréation d’évènements drive-in à l’ancienne et la réédition de vieux classiques du genre. Celui-ci s’est retrouvé en possession de la licence Blood Island grâce à un partenariat avec le producteur Samuel M. Sherman, ancien compère d’Al Adamson et responsable marketing très “William Castle” dans l’âme.
Citons les fausses bagues de mariages offertent aux femmes allant voir Brides of Blood et le fameux “serment du sang vert” que devaient réciter les spectateurs de Mad Doctor… avant le film. Pas étonnant de le retrouver plus ou moins impliqué ici puisque c’est bien de gimmicks qu’il est question ici plutôt que d’un nouvel opus qui reste surtout hypothétique. Brian Yuzna lui-même n’a rien à voir avec tout ça, prétant son nom sous couvert d’apporter son soutien en échange probable de quelques dollars. C’est en réalité de bande-dessinées et de mugs Tiki dont il est question ici, produits dérivés censés aider à la création du film qui d’après Sehring est déjà en développement depuis deux ans. Tales of Blood Island, ou Brian Yuzna Presents Tales of Blood Island, sera donc en fait une mini série comics basée d’après un script finalisé, que les responsables espèrent voir devenir un long métrage si Dieu le veut. Un reboot de la franchise s’inspirant principalement des deux derniers opus, Mad Doctor… et Beast of Blood.
L’intrigue en reprendrait les antagonistes, le scientifique dément Lorca et le zombie à tête coupée Don Ramon, plaçant l’action durant la guerre du Vietnam. Deux anciens soldats devenu mercenaires vont recevoir la mission top secrète de retrouver le Dr. Akira Lorca, criminel de guerre s’étant caché quelque part dans l’océan Pacifique pour continuer ses folles expériences sur l’évolution. Ayant créé un sérum à partir de plantes carnivores trouvées dans la jungle, il va transformer un homme en une créature monstrueuse capable de retirer sa tête à volontée et se nourrissant de sang humain. La chose va terroriser la population locale et il n’appartient qu’à nos héros, ainsi qu’une jolie native en quête de vengeance, de mettre un terme à cette folie. Tout cela est signé Mark Cerulli, un mec qui n’a pas fait grand chose à part de la télévision et des documentaires promotionnels, avec les illustrateurs Stephen Sistilli aux dessins et Dexter Weeks aux couleurs. Deux compères bossant habituellement sur Koni Waves chez Arcana Studio.
Un point de départ pas déplaisant et il faut reconnaître que certains dessins sont assez bons, avec notamment de splendides couvertures trouvant leurs inspirations dans les vieux magazines d’aventures épicées à la Men’s Adventure. Là où les choses sont plus floues est dans le nombre de numéros prévus, la campagne évoquant un total de trois tandis qu’un commentaire laissé à un baker en évoque quatre. Dans tous les cas l’équipe a déjà finalisée le premier volume, disponible au choix en digitale ou un copie physique avec deux couvertures possibles et pour un total de 36 pages toutes en couleurs. Le deuxième est sans doute en préparation puisque Dave Sehring a précisé que l’argent reçu en plus de l’objectif principal sera reversé à la prochaine compagne. Car oui, voilà le hic: les 17 686 € demandés ne sont valable que pour Tales of Blood Island #1, et chaque nouveau chapitre sera sans doute produit indépendemment de la même façon. Qui plus est, la totalité de la somme ne revient pas uniquement à la BD mais aussi à un projet secondaire.
Ce sont ces mugs Tiki qui forment l’autre gros morceau du projet, des goodies certes sympas mais que Drive-In-Sanity semble un peu trop déterminé à nous refourguer. Aucune critique contre les objets en eux-mêmes, qui sont bien foutu: sculptés par l’artiste Tom “Thor” Thordarson et réalisés par Bauer Pottery, ils semblent être de bonne qualité en plus d’être marrant. Fabriqué à l’image de la créature de Beast of Blood, la tête se détâche pour devenir une tasse, chaque spécimen pouvant s’interchanger avec un autre. Mais on peut se demander l’utilitée véritable d’une telle marchandise lorsque le but premier est d’accoucher d’un long métrage. L’explication se trouve visiblement dans le grand succès que rencontra un premier run limité, proposé pour un restaurant réputé de Floride le temps d’un événement nommé Hulaween Drive-In en 2020, organisé par Sehring. Celui-ci pense réitérer le succès et à déjà prévu de nouveaux modèles à venir: une sirène Fiji, une vampire Aswang et un autre personnage encore tenu secret.
L’idée est d’en proposer un a chaque nouveau numéro, en plus d’une myriade de petites choses servant de bonus aux différentes récompenses: DVD et posters des films originaux, T-shirts qui brille dans le noire, chemise hawaïenne au motif »têtes de zombies », concept arts et illustrations personnalisables, bande originale de Mad Doctor… en édition Glow in the Dark limitée à 100 exemplaires, mais aussi dessous de verre, touillettes et ombrelles pour cocktails. Et depuis hier on parle même de trading cards. Tout un bazar qui vient un peu alourdir les différentes propositions, surtout pour celui qui ne serait intéressé que par une BD ou un gros mug. Au moins le choix est là et on ne peut pas dire qu’on ait l’impression de se faire enfler tant la campagne est transparente sur son fonctionnement. De longs paragraphes nous expliquent en détail comment les fonds sont appliqués et distribués, la chronologie du développement des produits et la présentation de chaque membre oeuvrant sur le projet.
On a connu plus flou et moins détaillé, et la FAQ précise même aux intéressés n’habitant pas les États-Unis qu’il y a toujours moyen de s’arranger pour leur expédier la camelote malgré les restrictions. Sans surprise il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que les fans ouvrent le porte-monnaie et la somme totale fut atteinte ce 2 Août, alors qu’il reste encore un peu plus d’un mois avant la clôture du crowdfunding. Dave Sehring a déjà commencé à enregistrer des bénéfices pour l’avenir, mais reste à savoir si cette manne providentielle (sans doute très utile pour renflouer les caisses après la perte de chiffre d’affaires liée au Coronavirus) tiendra sur la longueur, surtout lorsqu’il apparaitra un peu plus clair aux gens que le film Tales of Blood Island n’est pas du tout confirmé et que Brian Yuzna ne planche pas dessus à l’heure actuelle. Croisons les doigts pour eux, mais aussi un peu pour nous car il serait intéressant de voir ce que le réalisateur pourrait faire avec un sujet pareil !
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