Resurgam, Chapitre 0

RESURGAM

 

0

 

J’ai bien senti le coup venir. Une douleur puissante, fatale. Elle me coupe le souffle et je sais que je suis entrain de mourir. C’est un expérience assez désagréable je dois dire, on ne s’y sent pas à l’aise… La douleur déjà, c’est une chose, mais en plus il y a cette espèce sensation de chaud / froid qui vous prend. Votre sang vous asperge, vous rendant collant et poisseux, et vous sentez sa chaleur, mais au fond de vous, c’est le froid qui vous assaille. Le froid de la mort qui vient tranquillement s’installer pour prendre la place de la douleur, faisant le même chemin qu’elle. En plus de ça, il y a un voile noir qui s’étend progressivement sur tout votre champ de vision.

J’entends le bruit écœurant de mes viscères qui se déchirent, de mon sternum qui éclate en morceaux et du sang qui afflux. Je sens tout ça bouger en moi, en plus des griffes qui se frayent un passage toujours plus loin dans mon corps. C’est infernal parce que ça vient de l’intérieur de vous, et que tout vous parvient comme assourdit. On entend un truc et on se dit “ça c’est un os” ou “ça doit être un organe”. Et on identifie chaque blessure sans même s’en émouvoir. On constate tout simplement l’étendu des dégâts, et on sait que la fin est proche.

Quant on a l’impression qu’il se passe plus rien, on sent comme une démangeaison dans le dos et là on se dit que ça y est, les griffes ont traversées votre corps et qu’elles sortent de l’autre côté. C’est ça la démangeaison. Il y a comme une pause, on veut avaler sa salive mais on a un goût de sang, on veut respirer mais c’est la même chose. Le voile s’épaissit et il y a ce grognement ridicule qui s’échappe de vos lèvres… Là on se dit “Merde… C’est pas ce que j’imaginai dire comme dernier mot”. A peine le temps de penser ça que c’est reparti pour un tour: les griffes font le chemin inverse. C’est déjà plus facile, la moitié du boulot est fait. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’à l’intérieur, c’est plus que du steak haché.

On se sent même pas partir en arrière après ça. Il y a juste un choc sourd qu’on se rappelle être celui d’une chute, et la vision amoindrie qui se modifie. Dante semble plus grand, alors j’imagine que je dois être à ses pieds. Et ce que je sens sur mon visage c’est le sang que j’ai recraché… Ou celui de son bras griffu qui goutte sur moi, je sais pas trop… Je me demande combien de temps je vais garder conscience. Les seuls bruits qui me parviennent sont ceux de mes organes qui glissent – ma structure organique ne les retenant plus, mon sang qui s’écoule comme un putain de torrent de montagne, et les os qui craquent encore un peu, perforant l’épiderme pour sortir à l’air libre comme tout le reste.

Ouais, c’est sûrement ça le pire. Être conscient de toutes ces conneries et pouvoir s’en faire une liste détaillée au lieu d’avoir une quelconque pensée cohérente… Quoique je me demande ce qu’on peut se dire de “cohérent” dans un moment pareil… J’imagine que je devrais enrager après Dante, ou tout bêtement me dire que “Putain ça fait mal”. Pourtant non. Je me dis rien. En fait je me sens même embêté. Je capte le regard de mon frère et vois son air impassible et résigné, et là je peux pas m’empêcher d’avoir un pincement au cœur (ou plutôt un broiement au cœur ! Haha ! Putain on peut même faire de l’humour en crevant ! C’est dingue ça !) parce que… Je sais pas… Il me paraît tellement différent vu sous l’angle qu’il m’est donné de le voir. C’est pas que j’ai pitié de lui. C’est juste que… Je suis désolé. Voilà Dante, je suis désolé. Tu comprendrais pas pourquoi et je pourrai même pas t’expliquer: c’est un truc de mourant. En fait non, allez: c’est juste que tu souris pas… Tu viens d’accomplir un truc auquel t’as sûrement songé depuis des dizaines d’années et t’en tire même pas satisfaction. Et là je viens de me rendre compte que je t’ai pas vu sourire depuis… Depuis que j’ai perdu la mémoire. A part dans les brèves visions de ce que fut mon enfance, ben… T’as toujours été comme ça… Alors Dante, je suis désolé. Je t’ai jamais offert un sourire, j’ai sûrement pas fait d’efforts… Est-ce que j’y ai même pensé ? Merde, j’aurai au moins voulu t’offrir ça avant de crever… Désolé mon frère.

Ouais c’est sûr c’est pas la joie là. Je meurs, je déprime, je regrette et vous savez pas le pire ? C’est que ça vient pas. Je suis encore vivant. Je me demande ce qu’on attend pour en finir puis soudain je comprend: on en a pas encore terminé. Ça aurait pas été drôle d’arrêter là, faut une dernière souffrance. Alors on m’offre une des visions les plus tétanisantes que j’ai jamais vu: là-bas, un peu plus loin, quelqu’un nous observe. Une silhouette frêle et un visage couvert de larmes. C’est ma femme, Leandra, qui est témoin de la scène et qui n’arrive pas à y croire. Et malgré ce putain de voile noir, malgré les ténèbres qui m’aveuglent, j’arrive à la voir. Le moindre détail. Je vois la stupeur et l’incompréhension. Je vois son léger espoir que ça ne soit pas possible. Je vois la peur, la terreur, qui s’empare d’elle pour la réduire à l’état de petite fille. Et je vois autre chose… C’est de la tristesse. Ça me surprend ? Peut-être un peu…

Je veux lui dire quelque chose, je veux parler. Juste un ou deux mots, juste la rassurer. Lui dire de ne pas s’inquiéter, de ne pas pleurer. Lui dire qu’elle est assez forte pour survivre, qu’elle n’a pas besoin d’un type comme moi. Lui dire que je l’aime. Mais il n’y a pas un son qui vient. Même pas le temps d’ouvrir la bouche que le rideau se ferme. Noir absolu. Voilà mec, t’es mort.

Leave a reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>