La Fin, ou Expiration (d’un Monstre ?)

LA FIN

ou Expiration (d’un Monstre ?)

 

Allongé là, au milieu d’une mare de sang, il ne pense même plus. Plus besoin. Quelle importance désormais ? Alors d’un bras tremblant, ses forces le quittant, il prend une dernière cigarette qu’il allume.
Droit devant lui, une silhouette immense le domine. Le regarde. Ils savent tous les deux qu’il n’y en a plus pour très longtemps maintenant. Car tout à une fin, n’est-ce pas ce qu’on dit ?

Dante, créature ancestrale, dernier de sa race, ne ressent ni pitié ni compassion pour l’être prostré à ses pieds. Il avait longuement attendu son moment, et désormais, c’était fini. Ou presque. Tout se termine là. Silencieux comme à son habitude, il observe comme il a toujours fait.
– Ta fin approche.
Il n’avait aucun besoin de converser avec lui et pourtant… Peut-être ses années passées ensemble l’avait affecté plus qu’il ne le croyait ? Et bien ! Ce qui est fait est fait.
– Ouais…
Une voix dénuée de sentiment lui répondit, confirmant simplement les faits. Il n’y a plus de place pour les émotions dans une scène pareille. Ni Dante ni l’homme n’en ressentaient. Ils en étaient là, tout simplement. Et malgré tout, les paroles viennent d’elle-même.
– Peut-être as-tu une dernière chose à dire ?
Pourquoi ce besoin de parler ? Dante ne comprend pas vraiment, surtout maintenant. Car maintenant est le moment qu’il attendait depuis toujours. Pas un triomphe, pas une victoire, mais simplement SON moment. Sûrement est-ce pour faire durer cet instant plus longtemps, pense t-il sans vraiment y croire.
– Je pourrai…
De tous temps cet homme a été désespérant. Navrant. Pathétique. Et encore maintenant, alors qu’il va mourir et que des millions de questions, de doutes, se percutent dans sa tête, il se contente de se donner un genre. Soupirant, Dante se pencha au-dessus de lui.
– Alors pose-moi tes questions, frère…
Un ricanement sans joie. Un sourire factice.
– “Frère” ? Ce mot est encore d’actualité ? Allons Dante, je te connais. Peut-être l’as-tu pensé à une époque mais… Ce mot ne représente rien pour toi maintenant. Je me trompe ?
– … Pardonne-moi. Appelons ça “l’habitude”. Il est vrai que désormais cette appellation a quelque chose d’erroné… Mais ce n’est pas le point.
– … Ouais…
– Et bien, Premutos. Que puis-je t’expliquer ? Quand bien même tu n’écoutes jamais rien.

L’autre regarda la blessure mortelle d’où fuyait sa vie. Il haussa les épaules.
– Je sais pas… Peut-être: “pourquoi” ?
– Tu sais pourquoi. Tu sais que mon peuple a été exterminé. Le sang appel le sang, voilà tout. Ton père les a tués, mais moi je suis toujours là. Des tiens il ne reste que toi, des miens juste moi. Ne te doutes-tu pas que ta mort a été planifiée depuis notre rencontre ?
Premutos grogna.
– Non. Je voulais dire « pourquoi maintenant » ?
– Parce que justement, il n’y a rien “maintenant”. J’ai frappé quand tu t’y attendais le moins. Ou peut-être au contraire, que tu en as eu peur. Que tu as redouté qu’un jour comme celui-ci arrive mais sans jamais chercher à l’éviter. Oh ne prend pas cet air offusqué. Tu t’attendais à quoi ? Je suis un Démon, Premutos. Et toi tu es un monstre. Tu n’as pas à t’indigner. De part ta nature tu comprends parfaitement tout ceci. Pour toi comme pour moi tout cela est naturel. Normal.

Premutos grogna légèrement, puis rien. Ni l’un ni l’autre n’échangèrent de mot pendant quelques minutes. Jusqu’à ce que leur regard se croisa à nouveau.
– C’est la fin, fit Dante.
Premutos ne répondit pas. Peut-être la blessure et la faiblesse l’en empêchaient, ou peut-être tout simplement n’avait-il rien à dire… En tout cas, il resta à dévisager l’immense créature.
– Tu as pensé à Leandra ?, demanda le démon.
– … Non… Et toi ?
Pas de réponse. On ne pense pas aux autres quand une situation de ce genre arrive. Ni à Leandra, ni à Kiara, ni à Natasha… Ni même à Faust ou Sylia…
– Ne m’en veux pas, fit le démon. Le destin a voulu que je gagne, voilà tout. Les choses auraient pu être tout à fait différentes, alors acceptons-les telles qu’elles se présentent à nous.
– … Peut-être…
L’immense gargouille pencha la tête sur le côté.
– Je suis surpris… De ta part je m’attendais à des insultes. A une dernière volonté “d’envoyer chier le monde”, comme tu sais si bien le faire… Accepterais-tu la situation sans chercher à la changer ?
Premutos tourna la tête sur le côté, laissant s’échapper de ses lèvres un long filet de fumée. Et de sang.
– Moi, j’ai rien à me reprocher… Et puis tu fais chier… On a vécu un bon bout de chemin ensemble ouais, moi j’ai aimé. Toi je sais pas. Après tout, qu’est-ce que j’en savais en fait ? Si tu veux te barrer libre à toi. Fais ce que tu veux. C’est pas moi qui aurai provoqué tout ça.
Le Chaosien regarda celui qui fut son frère dans les yeux. Un regard où toutes les émotions humaines étaient mêlées à la fois.
– Je t’ai aimé, espèce d’enculé… Alors vas te faire foutre.
Puis d’une voix plus faible:
– Si t’es mieux comme ça…
Dante inclina la tête.
– Tu parles pour ne rien dire, comme toujours… De la même manière que tu n’as rien vu avant qu’on en arrive là. J’étais là, juste à côté, tout près de toi. Et tu as été aveugle.
L’autre se redressa légèrement, faisant jaillir une petite cascade de sang de la blessure mortelle.
– Personne n’est parfait, surtout pas moi. Si tu tiens à me foutre sur le dos tout ce qui te tiens à cœur vas-y, mais au moins fait-le en face. Pas comme ce coup donné dans le dos.
– Tu n’aurais jamais dû t’apercevoir que je t’avais porté ce coup.
– Super, je me sens mieux maintenant… J’aurais dû ignorer tout de ça ? Quelle mentalité.
Dante secoua la tête, soupirant.
– Nous n’arrivons à rien, fit il. De toute façon… Nous n’avons pas à en arriver à quelque chose. J’ai pris ta vie, Premutos. Peu importe les circonstances, les erreurs de l’un et de l’autre.

Premutos se reposa contre le rocher. Dante avait raison. Et puis à qui se plaindre ? De quoi se plaindre ? Que dire ? A qui le dire ? De toute façon, c’est trop tard. C’est la fin. De la manière la plus horrible qu’il soit, certes mais après tout… Il faut bien que ça arrive, dit-on.

Dante fit jaillir ses griffes. Échange de parole inutile. Si l’un et l’autre ne se mettaient pas d’accord maintenant alors cela ne servait à rien.
– Je vais t’achever maintenant.
Premutos acquiesça, immobile. Tout au plus regarda t-il les étoiles et la lune une dernière fois. Dante attendit un peu. Il était un Démon, lui était un Monstre, mais ils s’étaient connus suffisamment pour se respecter.
– Lequel est vraiment le monstre ?, fit Premutos à mi-voix comme s’il avait lu dans ses pensées. Toi ? Moi ? Les deux ou personne ?
Quelqu’un a dit que seul un humain peut tuer un monstre. Deux monstres ne peuvent s’entretuer… Alors Premutos décida que peut-être, au vu de la situation, c’était lui le monstre, et Dante “l’humain”. Ouais… Ça semblait logique au vu de leur passé respectif. Et il ne trouva rien à redire à cela.

Un regret peut-être… A tant passer pour un monstre, a tant s’attirer les foudres de dizaines de personnes dans quelques cercles de relation différents… Peut-être aurait-il dû leur montrer ce qu’était vraiment un monstre ? Pour justifier leurs plaintes. Pour justifier leurs insultes. Pour justifier leurs trahisons… Et pour qu’ils comprennent de quoi ils parlent avant d’utiliser ces termes ?

… “Trahison”… Un bien grand mot…

“Pour dire ça, c’est bien que je suis un monstre, non ?”, pensa t-il. Alors il allait mourir. Premutos se redressa une dernière fois, écrasant sa cigarette.
– Allez… Vas-y.
Il n’avait jamais aimé que les choses traînent en longueur. Et Dante frappa en une dernière et fatale attaque.

Lorsque le démon se redressa, s’en était fini. Premutos était mort. Dante eu un dernier regard pour lui, puis il leva les yeux vers les étoiles… Et regarda la nuit.

 

Fin
(d’un monstre ?)

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