Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny (2017)

 

Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny

Special #1

(2017)

 

 

Je vais vous faire une confession: je n’ai jamais vraiment lu Legion of Super-Heroes. Sur les centaines de personnages et d’équipes qui existent au sein de DC Comics, celle-ci ne m’a pas particulièrement intéressée malgré son point de départ intéressant (les péripéties spacio-temporelle des super-héros du 31ème siècle) et en-dehors de quelques apparitions aux côtés de figures plus connus lors de crossovers et Big Event, je n’ai jamais ressenti beaucoup d’intérêt pour eux. Ma dernière expérience avec eux remonte déjà à 2012 avec Star Trek / Legion of Super-Heroes, et surtout parce que celui-ci fut publié en partenariat avec IDW, que je suivais avec attention à l’époque.
A ma décharge cela fait un moment que le titre a été mis de côté par la compagnie, qui semble les avoir totalement abandonné depuis l’horrible reboot New 52: les ventes étant mauvaises, la série est tout simplement annulée en 2013 avec juste une petite réapparition deux ans plus tard, en guise d’invités pour une story-arc dans les pages de Justice League Unlimited, avant que tous ne sombre dans les limbes au côté de quelques regrettés compagnons comme Cassandra Cain, Lian Harper ou même le bastich himself, Lobo. Pour autant DC semble sur la bonne voie depuis ces derniers temps, via son relaunch baptisé DC Rebirth, qu’il faut voir comme une résurrection de leur univers pré New 52, mais plus ou moins fusionné avec la nouvelle mouture. Ce n’est pas parfait et il y a de sérieux problèmes (voyez le bazar autour de Superman pour vous en convaincre !) mais c’est un pas dans la bonne direction. De nombreux concepts et personnages refont leurs apparitions et il semblerait qu’il y ait quelques projets pour la Légion à l’avenir. Ainsi a t-on pu voir un de leurs anneaux, sorte d’insigne de l’équipe, dans DC Universe: Rebirth et une apparition de Saturn Girl chez Batman

 

 

C’est également un retour grâce à ce Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny, sorte de hors-série réalisé spécialement pour ce projet crossovers en six volumes. Rien d’officiel puisque l’idée est ici de parodier les histoires de super-héros d’autrefois, période Sixties, autrement appelée le Silver Age. Un renouveau de l’industrie qui, après les premières années glorieuses où les héros affrontaient les ennemis de la nation (le Golden Age, qui s’étale de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50), a quelque peu changé sa façon d’opérer. Fini les icônes patriotiques déjouant des ennemis Nazis, communistes, japonais ou tout simplement criminels, l’heure est à la science-fiction, à la magie et au délires les plus extravaguant. Les super-vilains deviennent des extraterrestres aux noms bizarres ou des sorciers capable de transformer les voitures en saucisses géantes. Batman possède des costumes de couleur rose ou arc-en-ciel, Superman détruit le système solaire en éternuant et Jimmy Olsen épouse un gorille. Oui, il y a une raison pour laquelle DC a fini par réécrire l’Histoire de ses personnages avec Crisis on Infinite Earth, et ce n’était pas juste pour faciliter les choses aux nouveaux lecteurs…
Et du coup, la présente BD vient se moquer un peu de cette période pourtant vénérée comme une religion par les actuels responsables de la compagnie (a peu près tout ce que Grant Morrison à fait lorsqu’il bossait sur Batman était de ramener différents éléments du Silver Age pour les retravailler selon les normes actuels). L’histoire proposée, The Impostor Superboy !, reprend une ancienne itération de la Légion et l’intrigue multiplie les hommages tant par références que dans l’aventure idiote qu’elle met en scène.

 

 

Supergirl (en short rouge plutôt qu’en jupette) est mourante. Après une bataille contre Mordru le Sorcier Immortel, la Kryptonienne n’a pas eu d’autre choix que de s’infecter avec une maladie extraterrestre pour le battre, et elle succombe désormais à la fièvre qui la plonge dans le coma. Brainiac 5, le cerveau de la Légion et accessoirement le petit ami de l’héroïne, tente tout ce qu’il peut pour la sauver, en vain. Dans son désespoir il en vient à reconstruire Computo, un robot auparavant devenu maléfique et que toute l’équipe a dû affronter, en pensant que celui-ci pourra l’aider à trouver une solution. Pour s’assurer que cette nouvelle version ne le trahisse pas, il le programme pour ressentir l’Amour et ainsi éprouver de forts sentiments pour chaque membre de la Légion…
Ensemble ils découvrent que leur unique espoir réside dans un atome très particulier mais désormais disparu. Celui-ci existant encore au XXIème Siècle, ils conviennent d’alerter leur idole, Superboy, afin qu’il récupère l’élément et leur ramène à travers le temps. Computo 2 est envoyé sur place mais se désintéresse mystérieusement de Clark Kent pour favoriser… Bugs Bunny, lui aussi fermier à Smallville à cette époque ! Autant dire que lorsque celui-ci est renvoyé au 31ème Siècle sans explication, c’est la surprise générale et tout va très vite dégénérer. Bugs, perdu, ne demande qu’à rentrer chez lui, et lorsque Brainiac 5 désire l’étudier au cas où il posséderait l’atome sur sa personne, la situation tourne vite à la bagarre générale, les héros tâchant d’attraper le lapin qui ne va pas se laisser faire. Et c’est alors que débarque le cyborg Validus, ennemi surpuissant de la Légion, qui commence à tout détruire… ciblant principalement Supergirl !

 

 

La suite n’est pas difficile à deviner: Bugs, un brave gars doté d’une conscience, ne peut pas laisser ce monstre tuer l’héroïne et va s’associer à la Légion pour l’en empêcher. Là-dessus le scénariste, Sam Humphries, ne cherche pas du tout à surprendre et tout s’enchaine avec une extrême prévisibilité: les super-carottes de Bugs Bunny lui permettent de se transformer en Super Rabbit, lui conférant tout un tas de pouvoirs. Ces mêmes légumes possèdent évidemment l’atome rare permettant la guérison de la Kryptonienne, ce qui règle la situation. Il est alors renvoyé chez lui et passe pour un sauveur aux yeux des super-héros qui lui dressent une statue à côté de celle de Superboy.
Tout cela est volontaire, l’histoire étant un simple fil rouge à la parodie et à l’enchainement de situations improbables. Car à la manière d’un épisode de Teen Titans Go !, le comic est conscient de ce qu’il raconte et joue constamment dessus: Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny donne dans le meta (rendez-vous ici, quatrième paragraphe, pour ceux qui ne comprenne pas le terme). Ainsi lorsqu’un personnage utilise une expression quelconque, un astérisque vient nous expliquer qu’il s’agit d’un argot du 31ème siècle, nous offrant un équivalent afin que nous puissions comprendre. Ces mêmes notes de l’éditeur finissent par péter un câble à force de devoir référencer d’anciens numéros, chaque petite étoile renvoyant à d’autres notes accompagnées là encore d’astérisques… jusqu’à ce que le responsable abandonne la partie, ce qui lui amène des problèmes lorsque la narration se rend compte qu’il ne fait plus son travail et décide de le virer. Bref !

 

 

Le langage de la bande-dessinée est détourné et lire les ballons de pensées devient un exercice hilarant, chacun s’apitoyant exagérément sur son sort à longueur de temps à l’exception de Timber Wolf, qui lui irait bien se bouffer un steak. Ces crises existentielles sont plus tard expliquées être l’œuvre de Computo 2, qui peut paralyser quiconque en l’accablant de doutes et de mauvaises pensées. Lorsqu’il essaye sur Bugs, celui-ci brise le quatrième mur et nous avoue qu’il est trop “Looney” pour être affecté toute manière. Un personnage a une vision des évènements à venir, avec une reprise de la fameuse couverture de Crisis on Infinite Earth où Superman tient le corps de Supergirl dans ses bras, et déclare ouvertement qu’il s’agit d’un hommage – même chose lorsque Super Rabbit vainc Validus dans une image reprenant la célèbre couverture d’Action Comics #1.
La résolution même de toute l’affaire tient de la blague puisque Computo déclare que s’il a fait appel au cyborg pour détruire Supergirl, c’était bien par amour: le robot étant amoureux de Brainiac, il était tout simplement jaloux. Enfin il faut mentionner ce passage où la Légion évoque une certaine loi Levitz (du nom de Paul Levitz, président de DC entre 2002 et 2009) qui régule… le recyclage de sous-intrigues ! Comme on le voit ça délire sec, et c’est tout naturellement que le livre est chargé ras la gueule de blagues et de références, au point qu’il devient parfois difficile de tout suivre. Outre la couverture du comic qui est une reprise de celle de Adventure Comics #247, qui signait la première apparition de la Légion et fut de nombreuses fois parodiée auparavant, il y a plusieurs renvois aux Looney Tunes, a commencer par Super Rabbit qui remonte à 1943, dans l’épisode homonyme réalisé par Chuck Jones.

 

 

L’atome permettant de sauver Supergirl, qui porte le nom de Illudium Phosdex et a disparu aux alentours du 24,5ème siècle, est une référence à un épisode de Duck Dodgers (lui-même reprenant l’Illudium à Marvin le Martien, comme vu précédemment dans Martian Manhunter / Marvin the Martian). Bugs Bunny mentionne Private Snafu et, en découvrant qu’il a voyagé dans le futur, tire la même tronche que dans l’épisode Haredevil Hare, datant de 1948. Le lapin lance sa fameuse réplique “Of course you realize this means war” et sort une pancarte “Yipe !” au moment propice.
Intéressant est la façon dont les “capacités” de Bugs Bunny sont interprétées par la Légion. Car les protagonistes de Looney Tunes n’obéissent à aucune règle et peuvent faire ce qu’ils veulent sans être ennuyé par la moindre logique: ils sont immortels, peuvent déformer leurs corps et faire apparaitre ou disparaitre des objets à volonté en plus de déjouer les lois de la physique. Certains lecteurs de DC ont tendance à surnommer cela la “Toonforce”, en référence à la Speedforce, un des concepts qui régit l’univers des super-héros ; et justement ici, Lightning Lass suppose que Bugs est en fait doté talents spéciaux comme la télépathie et le don de téléportation. Enfin il serait impossible de ne pas citer Captain Carrot, un autre personnage de “super lapin” appartenant à DC. S’il ne date pas du Silver Age, cela n’empêche pas l’auteur de lui faire plusieurs clins d’œil, à commencer par les carottes spéciales que Bugs doit grignoter pour obtenir ses super pouvoirs. Plus obscur: lorsqu’il se travesti en Wonder Woman un bref instant, ressemblant alors à Wonder Wabbit, personnage appartenant à la même planète de méta-animaux.

 

   

 

De son côté l’univers DC n’est pas en reste et offre ses propres gags, comme cette petite pique à Dark Knight lorsque Bugs Bunny est décrit comme “The Hero Smallville Deserves” ou quand Timber Wolf déclare que celui-ci aurait plus sa place à la Legion of Super-Pets étant donné ses origines animales. Les costumes des héros sont également une source de plaisanterie, la sexy Shadow Lass confessant qu’elle a toujours froid dans sa tenue et Dream Girl prenant des poses lascives à chacune de ses apparitions, méritant du coup totalement son nom de code. Un bon point que l’artiste en charge soit Tom Grummett, plutôt doué pour mettre en valeur l’anatomie féminine.
Entre autres choses, notons aussi que la maladie dont est atteinte Supergirl est nommée “Rigel fever”, une probable référence à la Rigelian fever, maladie originaire du système Rigel dans Star Trek: Enterprise. Et avec ça je pense avoir été aussi complet que possible concernant le contenu de Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny. Un livre particulièrement chargé, et pourtant ce n’est pas fini: comme pour le crossover précédent, il dispose lui-aussi d’un petit bonus sous la forme d’une mini-histoire supplémentaire. Celle-ci, baptisée Tales of the Legion of Super-Heroes et que l’on doit entièrement à Juan Ortiz, n’est en fait qu’un remake de la précédente. Exactement la même histoire, exactement les mêmes personnages, mais dans un style différent. Le truc ? Et bien il s’agit ici d’une version sérieuse de ce crossover, écrit et dessiné à l’ancienne comme un véritable comic-book datant des années 60 ! L’intrigue efface toutes les références, les gags et le ton léger, préférant prendre avec gravité le sort de Supergirl et prétendre que l’intrusion de Bugs Bunny est un véritable cadeau du ciel pour les super-héros malgré une légère altercation lors de leur rencontre.

 

 

Certains n’ont pas compris la nécessité de cette seconde BD puisque trop similaire à l’autre, sans comprendre que tout l’intérêt de Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny repose sur l’hommage au Silver Age. La parodie, c’est bien, mais cela reste facile et il convenait de rendre justice au sujet avec un petit quelque chose de plus… authentique. Le responsable s’est déjà illustré (c’est le mot !) par le passé avec quelques travaux au style volontairement rétro, notamment à travers Star Trek pour qui il a signé de nombreuses affiches et posters tant en comics que pour certains épisodes des séries. Il nous permet également d’obtenir plus d’informations “véritables” concernant l’intrigue, la liaison entre les personnages, etc. Dans le genre c’est du travail d’orfèvre, a tel point que si l’histoire principale plaçait Superboy et Bugs dans le présent du XXIème siècle, ici on parle bel et bien du XXème. Ce sont parfois les petits détails…
L’humour demeure malgré tout, crossover Looney Tunes oblige, comme la raison pour laquelle Bugs accepte ici de voyager dans le futur (c’est toujours mieux que de traire des vaches !) ou lorsqu’il drague Lightning Lass avant d’embrasser son petit ami, Ultra Boy, qui se montrait fort mécontent. Fidèle à lui-même, le super-lapin triomphe de Validus en lui faisant bouffer une carotte-dynamite géante. Il est vrai que les lecteurs occasionnels risquent de ne pas trop s’appesantir sur ce Tales of… après avoir lu l’histoire précédente, tant en raison de l’effet de répétition que de l’aspect rétro, mais il faut vraiment souligner cette envie de rendre hommage à une période ancienne de l’industrie tout en se donnant les moyens d’en rire. Vu l’état dans lequel Marvel (papier) plonge le genre à force de conneries (ce Mal moderne du Social Justice Warrior), voilà qui est précieux.

 

 

 

           

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