The Strangeness
(1980)
Avec Twisted Nightmare, voici un autre exemple de film qui bénéficie grandement d’une ressortie sur un support moderne avec une meilleure définition que la cassette vidéo. J’ai découvert le film de la même manière que son compagnon, via une copie VHS dont le master était de si mauvaise qualité que plusieurs portions du film étaient tout simplement illisibles. Un soucis lié de base à l’édition, s’abimant avec le temps et l’état de la bande-magnétique. Cette fois je n’ai même pas cru bon de faire un article sur son monstre, pourtant l’intérêt principal de The Strangeness et sur lequel il y a beaucoup à dire. Aussi lorsque Code Red – les mêmes types derrière la restauration de Twisted Nightmare – ont permis à ce titre méconnu de ressortir dans une copie nettoyée et présentée pour la première fois dans un format Widescreen, ce fut l’occasion de s’y remettre.
A vrai dire j’étais plutôt sceptique quant au résultat de ce nouveau rendu d’image, et ce pour deux raison. Tout d’abord le film fut tourné en 16mm et, entre la basse résolution de ce matériel et l’état de dégradation dans laquelle devait se trouver la pellicule, il y avait peu de chance pour qu’un miracle soit accompli. Ensuite le décor où se déroule l’intrigue est factice, construit avec trois bouts de ficelle dans un garage, et je craignais qu’une image trop éclaircie puisse vendre la mèche. La version d’autrefois était si obscure qu’elle avait pour elle de camoufler cela à merveille, permettant de croire un peu plus à cette aventure souterraine.
Fort heureusement, et parce que ce travail d’orfèvre fut effectué sous la supervision de la réalisatrice, The Strangeness ne souffre d’absolument aucune perte dans ses visuels et conserve exactement le même aspect crasseux et imparfait qu’autrefois: on ne distingue toujours pas grand chose dans ces tunnels obscurs mais nous pouvons désormais voir ce que nous sommes supposés voir, plutôt que de rester à l’aveuglette pendant 90% du film. Tout au plus peut-on critiquer le changement de format en 16:9, qui du coup atténue ce côté claustrophobe pourtant nécessaire à l’atmosphère et au thème de l’exploration spéléologique. Mais cela revient à se pignoler sur des détails techniques pas vraiment important au regard de ce type de production: un film indépendant et fortement amateur, qui ramène aux petites séries B type Equinox ou Evil Dead, bricolées par une bande de copains passionnés.
Car avec son petit budget d’environ 25.000$ et son tournage ayant essentiellement prit place dans le garage des parents de la réalisatrice, il s’agit avant tout d’un projet de trois amis s’étant rencontrés à la même école de cinéma. Ils cumulent d’ailleurs la plupart des postes: Melanie Anne Phillips se cache sous le pseudonyme masculin de David Michael Hillman et gère à la fois le scénario, la mise en scène, le montage et la musique. Chris Huntley joue dans le film, co-écrit, co-compose, s’occupe de la prise de son et des effets visuels et tourne même l’intro du film. Enfin Mark Sawicki se retrouve aussi au casting, s’occupe des effets spéciaux et de la sono. Et puis bien sûr, ils sont tous producteurs.
Le générique de fin se retrouve comiquement court tant il ne reste plus beaucoup de place pour les autres.
Ensemble ils inventent un monster movie qui n’est finalement qu’une décalque du célèbre Alien sorti un an plus tôt, et qui contourne un sacré problème économique en remplaçant les vaisseaux spatiaux et les planètes extraterrestres par une simple visite dans les entrailles de la Terre. Un peu comme un certain Alien 2 italien qui sort justement la même année ! La différence profonde étant qu’ici les origines de la créature ne sont pas définies et que l’atmosphère tend plus vers du H.P. Lovecraft avec cette grotte maudite crainte par les Indiens durant le XIXème siècle .
Il est en effet question de l’étrange cas de Golden Spike, une mine d’or abandonnée censée renfermer un incroyable filon mais qui apporte la mort à quiconque s’en approche. Les tribus d’autrefois la craignaient et essayèrent d’empêcher l’homme Blanc d’en approcher en racontant qu’une sorte de Dieu y habite. Plus tard des mineurs chargés de l’excavation furent victimes de morts et disparitions inexpliquées et abandonnèrent leurs postes, craignant les “mauvais esprits” hantant les lieux. De nos jours la grotte est inaccessible, son entrée bloquée par un éboulement tandis qu’une grande croix vient avertir les imprudents. Mais un couple, engagé par un mystérieux commanditaire, vient déblayer l’entrée illégalement et ils sont immédiatement attaqués par un mystérieux assaillant.
L’histoire commence lorsqu’une nouvelle équipe est montée pour explorer la zone nouvellement ouverte.
Honnêtement le scénario ne va pas plus loin que ça et le reste du film se contente de montrer les personnages déambuler dans la mine en papotant, jusqu’à la confrontation avec le monstre après pratiquement une heure d’attente. Une sorte de sous-intrigue existe toutefois en la présence du superviseur, qui ne bosse en réalité pas pour un organisation puisqu’il a tout organisé personnellement afin de mettre la main sur l’or. Le seul intérêt de ce détail réside dans le fait que, lorsque la galerie principale s’effondre, les héros découvrent qu’il n’y a pas d’équipe de secours et qu’ils doivent trouver un moyen de sortir par eux-même. Il s’agit aussi de quelques restes de Alien puisque l’on y retrouve une “compagnie”, un groupe de travailleurs aux backgrounds différents qui explore une zone dangereuse a cause de leur employeur et la présence d’un antagoniste humain en plus du monstre. Au robot Ash se succède ainsi le responsable de l’expédition, qui finira par sombrer dans la paranoïa et attaquer les survivants pour conserver l’or et sauvé sa propre vie (un prototype de Burke d’Aliens en quelque sorte). Le spectateur attentif peut même relever une erreur d’écriture montrant une corde être sabotée en début d’aventure, clairement l’œuvre de cet individu alors que cela n’est pas du tout dans son intérêt.
Mais cette intrigue est extrêmement mince et le plus gros du scénario tient sur l’exploration de la mine, qui se déroule sans grands rebondissements.
Les personnages se baladent, plaisantent, un écrivain peu habitué à la spéléologie se montre peureux tandis que le héros, un macho détestable, fait du rentre-dedans à la femme de celui-ci. La pauvre n’en demandait pas temps. Un Australien boit beaucoup, le superviseur se montre grincheux et les autres protagonistes n’apparaissent pratiquement pas à la caméra avant l’instant de leur mort. Le spectateur, lui, baille poliment et doit prendre son mal en patience avec que la bête ne débarque. Heureusement il y a quelques situations intéressantes comme la première attaque d’une victime isolée, des restes d’animaux digérés retrouvés ici et là dans des coins de galeries et surtout la sensation d’être véritablement plongé au cœur d’une grotte obscure tant le film n’est éclairé que par des lampes et les fusées éclairantes. L’histoire de la mine, racontée progressivement par le scribouillard est intéressante et aide à renforcer l’aspect lovecraftien du monstre.
Celui-ci n’apparait pas immédiatement mais se présente plutôt bien, émettant des bruits organiques dégoutant, genre succion et déglutition. Il fini par montrer un bout de tentacule ici et là, apparaître furtivement, et c’est là où The Strangeness commence à briller. Car son monstre, il n’est pas en caoutchouc. Ce n’est pas non plus un costume grossier. L’abomination tant attendue est animée en stop motion, et elle est absolument superbe !
Informe, elle bave, agite ses tentacules, rampe comme une limace et surtout ressemble à un gros vagin. Et non, c’est pas une façon de parler. En fait la chose qui ressort de toutes les critiques du film est l’apparence improbable de sa créature qui évoque un sexe féminin cauchemardesque. Il y a l’orifice, les grandes et petites lèvres, et des pertes blanches. Et c’est tout simplement parfait. D’une part ce choix est totalement en phase avec les horreurs décrites par Lovecraft et ses fidèles, mais il fonctionne également parce qu’il détonne des bestioles habituelles croisées dans ce type de production. Il ne s’agit pas d’un animal sauvage ou d’un humain difforme, il n’y a pas de griffes ni de crocs. Juste cette étrange bouche gluante lui permettant d’engloutir tout rond ses proies. L’idée parait assez malsaine et d’ailleurs les corps retrouvés ne sont pas les habituels morceaux sanglant. Ici les victimes sont régurgitées et couvertes de suc gastriques (c’est-à-dire des acteurs couverts d’une mousse blanche, faute de moyens).
Voilà qui permet au film de sortir du lot et surtout de rester dans les mémoire malgré ses grosses limitations et son rythme mollasson. Heureusement, ça s’emballe beaucoup plus dans les trente (bon okay, les vingt) dernières minutes où la bête se met enfin à attaquer plus régulièrement le casting. Les situations deviennent aussi bien plus prenante avec une succession de moments forts.
Les protagonistes tombent sur une ancienne chambre où sont suspendus des morceaux de miroirs, une manière pour les anciens mineurs de surveiller leurs arrières et voir la créature venir. Certaines sections de la mine sont baignées d’une lumière rouge atmosphérique provenant des fusées éclairantes, rendant l’exploration plus tendue. Le corps d’une victime est retrouvé collé au plafond, faisant couler au sol la substance corrosive dont il est recouvert et qui se trouve grouiller d’innombrables de petits vers.
Une scène montre l’héroïne, perdue dans l’obscurité la plus totale, s’éclairer à l’aide des flashes répétés de son appareil photo qui couine comme dans Massacre à la Tronçonneuse. Le monstre s’approche alors au rythme de l’effet stroboscopique tandis que sa proie s’échappe à travers une minuscule galerie. Et dans ce qui doit être l’un des meilleurs moments du film, le héros retrouve le corps de son meilleur ami porté disparu, à moitié dissout par l’acide gastrique du monstre. Et celui-ci d’ouvrir alors les yeux, toujours vivant et libérant des flots d’écume en tentant de hurler ! Bien avant que la director’s cut d’Alien soit présentée au public, The Strangeness offrait l’équivalent du passage où Ripley découvre Dallas transformé en cocon… Mais le clou du spectacle reste la dernière attaque de la bête, laquelle gobe la tête du superviseur qui se transforme lui-aussi en personnage de stop motion pour l’occasion.
Il y a bien d’autres petites pépites qui viennent rehausser l’intérêt de cette série B oubliée, comme l’utilisation de miniatures et de matte painting pour simuler l’explosion finale, ce super générique d’ouverture qui imite celui de Massacre à la Tronçonneuse et présente, à travers flashes répétés, les silhouettes des protagonistes – d’abord insouciant, puis très effrayés. L’entrée de la mine est visuellement très attrayante puisque située à deux mètres d’une plage et de gros récif (et tant pis si le bruit des vagues couvre l’audio, ou si l’on peut apercevoir dans le lointain un mec s’éclater en ski nautique), et puis il y a les catacombes, en fait construit en papier-mâché dans le garage des parents de la réalisatrice ! Grâce à de savants cadrages et éclairages, l’illusion demeure aujourd’hui encore absolument parfaite.
Mentionnons aussi l’excellente musique à la John Carpenter qui en rajoute beaucoup à l’ambiance. Elle fut apparemment rajoutée sur le tard à la demande du distributeur après que le film ait poireauté pendant cinq ans dans un tiroir. Et cela se ressent un peu tant on peut détecter des sonorités proches de New York 1997, qui n’était pas encore sorti quand The Strangeness fut bouclé.
Tout cela contribue à rendre cette série B finalement très appréciable malgré sa grosse heure soporifique (Chris Huntley lui-même déclara être déçu par le résultat, trouvant le film ennuyeux) et ses créateurs auraient mérité une carrière un peu plus réussie.
Non pas que cela finisse mal pour tout le monde, Mark Sawicki ayant percé à travers à Hollywood (on le retrouve aussi bien sur La Galaxie de la Terreur, La Nuit de la Comète et The Gate que dans Terminator, Star Trek V et The Dark Knight Rises) tandis que son collègue Ernest Farino, responsable d’animer la bestiole, le suivra dans les premières productions de James Cameron (Terminator 2, Abyss) tout en bossant sur The Thing de Carpenter lorsqu’il ne traine pas avec Don Dohler ou Jim Wynorski. Mais ni Huntley ni Mélanie Anne Phillips n’auront continué après cette expérience.
Pour conclure, un dernier mot sur les origines très sexuelles de “Binky”, le gros monstre à tête de vagin. Si Huntley persiste à dire que son design n’était pas intentionnel, il faut quand même constater qu’il semble résonner étrangement avec la vie sexuelle chaotique de ses géniteurs. En effet non seulement Huntley était un homosexuel refoulé qui n’avait pas la possibilité de faire son coming out, mais Phillips n’avait sûrement pas choisi un pseudonyme masculin par hasard puisqu’elle changea de sexe quelques années plus tard ! Considérant l’époque, les tabous et les frustrations que cela pouvait engendrer, ce grotesque organe sexuel carnivore semble soudainement prendre tout son sens !
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