Serpentina (1998)

 

Serpentina

(1998)

 

 

John Cleary est un bonhomme intéressant, puisqu’à l’origine son boulot n’a rien à voir avec l’industrie de la bande-dessinée. Si celui-ci est un artiste, il est avant tout… sculpteur professionnel ! C’est par un incroyable coup du sort ou une étrange opportunité qu’il se retrouva à bosser en tant que dessinateur pour comics durant les années 90. L’époque du grand Boom qui déstabilisa l’industrie suite à un vide juridique permettant à quiconque de lancer sa boite sans payer de taxes tout en profitant du marché “collector” alors à la mode. Cleary ne passe évidemment pas par la grande porte et fait ses débuts chez Topps Comics où il travail sur Satan’s Six, la fameuse série qui, en 1993, emploie Jason Voorhees comme guest star dans un hallucinant mais anecdotique moment de cross-promotion. On le retrouve ensuite chez Lightning Comics (dont nous avons déjà parlé ici) où son boulot consistera généralement à illustrer et/ou écrire pour divers titres déjà bien installés (DeathAngel, Kunoichi, Sinja) puis sa carrière va s’envoler puisqu’il fut repéré par Todd MacFarlane qui lui proposa de bosser pour lui chez Image Comics.
L’homme fit alors quelques travaux sur des titres beaucoup plus prestigieux (Spawn, Savage Dragon, Cyberforce… l’hallucinant Boof) et le meilleur reste à venir puisqu’il va ensuite monter en grade et s’installer chez DC Comics. Il n’y œuvra pas longtemps comme artiste puisque, avec les années 2000, il s’y trouva un nouveau job bien plus satisfaisant car faisant appel à son véritable métier: fabriquer les figurines des super-héros de la boite ! Depuis, il continue ce partenariat tout en travaillant avec d’autres compagnies, et ainsi cela fonctionne comme sur des roulettes pour lui.

 

 

Du coup pas étonnant qu’il laisse derrière lui quelques créations de moindre importance pour lesquelles il n’a aucun attachement. Comme Serpentina, héroïne de type Bad Girl qu’il invente entièrement pour Lightning Comics (comme s’ils n’en avaient déjà pas suffisamment) en 1998, écrivant, dessinant et encrant un numéro d’introduction qui demeurera à jamais un one-shot sans continuation. On y perd probablement pas grand chose puisque sa demoiselle est affreusement générique tant d’un point de vue scénaristique que dans son look. A première vue elle pourrait tout aussi bien provenir d’un spin-off de Spawn que d’un titre de Chaos! Comics, et ni ses pouvoirs ni ses aventures ne donnent particulièrement envie. Voilà donc une héroïne surpuissante aux pouvoirs magiques qui se bat contre des monstres et cherche vengeance, n’hésitant pas à tuer pour se faire. Naturellement elle porte un costume très léger qui se limite ici à une cape, un maillot de bain une pièce doté d’un décolleté qui lui descend jusqu’au nombril et des habituels gantelets et jambières à piques pour faire agressive.
Au moins l’introduction est bien écrite et même plaisante à suivre dans son genre même si il n’y a là rien d’original. On pourrait parler de cliché ambulant, mais le terme n’est pas assez fort tant ce qui s’y passe a déjà été vu et revu dans nombreux films, comics, dessins animés et jeux vidéos. L’histoire débute ainsi en Roumanie en l’an 1312 et tourne autour du Coven of Darkness, un couvent de pratiquant en sorcellerie qui vénèrent Salotherium, le “Serpent Lord”. Une entité démoniaque qui leur a offert une amulette forgée au cœur de l’Enfer permettant à son propriétaire d’obtenir les pouvoirs nécessaires pour régner en maitre sur la Terre et devenir l’émissaire du Mal.

 

 

Le dirigeant de ce culte, Sagoth, compte bien être celui qui fera basculer le monde dans les ténèbres et il ne lui reste plus qu’à faire un ultime sacrifice humain pour libérer les pouvoirs du talisman. La jeune fille qu’il a choisi est Serpentina, la “Princesse du Serpent”, qui a été élevée par la secte dès sa naissance. Elle serait également liée à lui par le sang même si la BD semble plus tard oublier ce détail. Jusqu’ici fidèle au couvent, la prêtresse va se rebeller lorsqu’elle découvre que sa vie est un mensonge et qu’elle n’existe que pour mourir afin que son âme nourrisse Salotherium, prenant la fuite avec le médaillon. Elle est rapidement retrouvée et exécutée par le grand gourou qui va la transpercer de part en part avec son grand sceptre. Littéralement, hélas. Le tyran récupère l’artefact et se lance à la conquête de l’humanité, ne faisant pas attention aux dernières paroles de sa disciple mourante qui jure de revenir pour se venger.
Les siècles passent et nous sommes maintenant en 2050. Désormais immortel, Sagoth a réussi à dominer la quasi totalité de la planète à l’exception du dernier bastion de l’humanité qui se trouve être la “brave nation des États-Unis d’Amérique””. Et oui, exactement comme dans Astérix et Obélix, le grand Empire qui a su tout envahir se retrouve bloqué face à une poignée d’irréductibles humains ! C’est à partir de cette déclaration que Serpentina se casse définitivement la gueule et devient terriblement mauvais. Car passe encore les stéréotypes du moment que l’atmosphère et la narration puissent embellir un peu tout ça, mais sombrer à ce point dans la caricature grossière et le patriotisme primaire est simplement ridicule. D’autant que ce ne sont pas les dessins qui vont relever le niveau. A partir de là le lecteur n’a plus rien à attendre de l’intrigue et il faudra poursuivre la lecture sans se poser trop de questions pour rester sain d’esprit.

 

 

Car il faut admettre que la résistance de l’Amérique pose quelques problèmes de logique si l’antagoniste a bien reçu ses pouvoirs infernaux durant le Moyen-Âge, bien avant la découverte du Nouveau Monde. Difficile de croire qu’il s’est attaqué à tous les continents avec l’aide du surnaturel tandis que les grands évènements de notre histoire ont malgré tout eu lieu normalement, comme les avancées technologiques, les explorations autour du monde et les différentes guerres entre pays. Sans parler du fait que Sagoth doit se sentir bien bête de ne pas s’être occupé du territoire américain lorsque l’endroit était encore sauvage et dépourvue de civilisations “avancées”. Mais bon, Serpentina et Lightning Comics ne sont clairement pas là pour faire travailler nos méninges et il nous est plutôt demandé de craindre pour le sort de ces ultimes survivants Yankees qui sont sur le point d’être balayés par une nouvelle arme terrifiante: Polaris, une bio-toxine que le dictateur s’apprête à balancer sur la population afin de la décimer entièrement.
Heureusement, à exactement cinq minutes du lancement, des forces mystérieuses se déchainent. En Roumanie, l’héroïne revient à la vie et émerge de la terre où elle fut enterrée des siècles auparavant, son corps se reconstituant grâce à la magie. Comme promis, elle est revenu d’entre-les-morts et se retrouve dotée de nouveaux pouvoirs qui vont lui permettre de se débarrasser facilement de son ennemi. Car il apparait que Salotherium n’apprécie pas du tout les actes de son héraut, considérant (pourquoi ?) qu’il a profané son nom et manipulé ses disciples dans sa quête de pouvoir. Profitant de la colère du démon, la Princesse du Serpent à aini fait un deal avec celui-ci: en échange de sa résurrection, elle tuera Sagoth et lui offrira son âme.

 

 

Et Serpentina ne plaisante pas. A peine de retour sur Terre, elle se téléporte immédiatement dans le repaire secret de son meurtrier en créant “un trou dans le temps et l’espace” pour le rejoindre et le provoquer en duel. Son pacte l’a rendu invulnérable aux pouvoirs de l’amulette et elle endure les rafales magiques sans aucune peine avant de conjurer des petits reptiles venimeux qui vont attaquer le dictateur par dizaines, leurs crocs étant capable de percer son armure high-tech pour répandre leur venin. Pour citer Mortal Kombat, alors très populaire et grosse source d’inspiration de ce type de bande-dessinées: “Flawless victory”. Un peu trop facile et sans doute que le scénariste avait prévu de faire revenir Sagoth plus tard. Après tout lui et la jeune femme était censé être de la même famille et il est certain qu’un sorcier ayant des siècles d’expériences dans la magie noire est capable de ressusciter également. Cela n’arrivera cependant jamais et la fin ouverte choisie par John Cleary fait plus état des nombreux disciples du Couvent et autres humains corrompus par l’empire maléfique qui s’est installé sur Terre.
Encore une fois, rien de spécialement nouveau ni d’intéressant mais cela semble à peu près logique… jusqu’à ce que le scénario ne nous balance une dernière révélation qui ne colle absolument pas à ce qu’on nous a raconté. Car soudain il est dit que Sagoth n’était finalement que l’instrument du véritable responsable des malheurs de l’humanité, Salotherium lui-même. Serpentina jure devant Dieu de le détruire tandis que le cerveau du lecteur va se diviser en deux: une partie va se dire que cela est évident puisque le talisman infernal a été offert au Couvent par le démon-serpent depuis le début, et l’autre va se demander pourquoi le dieu s’est vexé des actions de Sagoth au point d’engager l’héroïne pour se débarrasser de lui cinq minutes avant sa victoire totale.

 

 

Si par miracle vous parvenez à faire de la gymnastique mentale pour concilier tout ça, en imaginant que peut-être la jeune femme a dit un beau mensonge à son adversaire afin de le tromper, le scénariste en rajoute une couche l’instant d’après en contredisant toute l’introduction. Vous souvenez-vous du fait que l’héroïne est censée être née au sein du Couvent, conçue uniquement pour être sacrifiée lorsqu’elle serait en âge afin que son âme soit offerte au Mal ? Et bien finalement rien de tout cela n’est vrai car elle est en réalité un Ange travaillant pour Dieu, ayant infiltré le culte comme un flic et caché sa véritable nature à la façon d’un “caméléon magique”. Stopper Sagoth était en réalité sa mission, et comme seules les États-Unis d’Amérique sont encore debout on peut considérer qu’elle a fait un très mauvais boulot. Faut-il alors oublier la phrase indiquant son lien de parenté avec le tyran ? Un Ange peut-il avoir une âme comme un humain ? A t-elle ait un pacte avec son ennemi Salotherium pour sauver le monde, et si oui pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu pour la sauver ? Le démon-serpent n’était-il pas capable de savoir qui était réellement Serpentina lorsqu’elle arriva aux Enfers ?
Des questions qu’il est inutile de se poser puisque l’histoire s’arrête là. On pourra se satisfaire de l’excuse que l’auteur est à l’origine un sculpteur n’ayant qu’une expérience limité des comics en plus de travailler pour une toute petite boite pas vraiment regardante sur la qualité de ses publications. Ou on peut jeter un œil sur le catalogue de la compagnie et découvrir que la quasi totalité de leurs titres ont de forts thèmes religieux impliquant toujours Dieu, le concept de rédemption et le sauvetage de la race humaine en général contre la domination mondiale du Mal. De la propagande chrétienne habilement camouflée, déguisée en forme de comics edgy et sexy pour mieux tromper le lectorat et répandre la bonne parole.

 

 

Du coup faut-il voir Serpentina, un Ange se faisant passer pour une sorcière, comme un commentaire sur l’industrie ? Ou sur les méthodes de Lightning Comics elles-mêmes ? Ou est-ce que ces rajouts de dernières minutes allant à l’encontre du point de départ sont en fait des réécriture orchestrée sans l’aval de l’auteur par les patrons de la boite, les frangins Zyskowski ? Cela reste une possibilité lorsque l’on considère le nombre impressionnant de détails sur ses illustrations qui semble indiquer que l’œuvre devait à l’origine être colorisée (ce qui l’aurait rendu bien plus lisible). La sortie initiale aura sans doute été repoussée à plus tard (les dessins indiques 1996 et 1997) après John Cleary ait déjà quitté Lightning pour travailler ailleurs. Difficile de dire ce qu’aurait donné la série sur le long terme et les seules choses qui reste du projet sont quelques pin-ups trouvables à la fin de la revue montrant une momie, une guerrière qui pourrait être Serpentina dans un nouveau costume et une sorte d’Ange guerrier qui ressemble au Ultimate Warrior.
Pas grand chose d’autre à mentionner en dehors des hilarants graphismes façon Rob Liefeld qui rendent les personnages plutôt ridicules. On y retrouve d’ailleurs les mêmes yeux rétrécis / pieds minuscules qui prouvent que l’illustrateur était encore débutant dans ses notions d’anatomie. Sagoth est un grand baraqué qui, en l’absence de coloration, donne l’impression qu’il se balade en slip même si ses bras et ses jambes sont recouverts d’une sorte d’armure. Il y a Bal-Seuk, un cyborg chauve avec une petite moustache et barbichette de mousquetaire. Et Serpentina elle-même, qui bien que quelconque en son genre, n’en reste pas moins plaisante avec ses répliques biens senties (“I’ve rotted in the grave for centuries waiting for this moment and your strike is that of a child !”) et son gimmick à base de serpents qui fait qu’il y a constamment des reptiles rampants à ses pieds. Un bon moyen d’éviter de les dessiner, mais cela reste visuellement intéressant.

 

 

 

   

       

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