Catfight: Escape From Limbo (1996)

 

Catfight: Escape From Limbo

(1996)

 

You’re a hero, aren’t you ? And aren’t heroes supposed to care ?

 

 

Lightning Comics, ça vous dit quelque chose ? C’était, en 1967, une tout petit éditeur qui n’a publié que deux titres de toute son existence. Et bien ce n’est pas de lui dont je veux parler mais plutôt du Lightning Comics des années 90, une de ces innombrables compagnies qui, vous l’aurez compris, a vu le jour durant le boom de l’industrie lors de l’Âge Sombre et extrême. Bloodfire, Perg, Deathangel, Sinja… Si cela ne vous parle pas c’est normal: la boite était un de ces nombreux parasites qui ont profité de la situation d’alors pour inonder le marché de revues cheap, mal foutue et sans imagination mais dotées de nombreuses variantes de couvertures pour appâter le collectionneur qui ne juge que sur la valeur monétaire potentielle du bouquin. La preuve, ses créateurs, Joe et Steve Zyskowski, eurent l’idée de n’imprimer qu’un nombre limité de copies de leurs bandes-dessinées afin de les rendre plus rares et de multiplier leur valeur sur le marché.
Ça et le concept des “nude variants”, exemplaires vendues forcément plus cher puisque montrant leurs héroïnes dénudées, qu’ils offraient même avec un certificat d’authenticité pour assurer à l’acheteur qu’il venait de faire un bon deal. Une idée de génie qui existe encore de nos jours. Sans surprise, leurs stratagèmes fonctionnèrent… une fois. La toute première fois en fait (Bloodfire #1, vendu a 50 000 exemplaires), sans que jamais cela ne se reproduise jamais par la suite en raison d’une compétition féroce et d’un milieu saturé. Au moins ici les responsables essayèrent d’investir un peu plutôt que de s’en mettre plein les poches, engageant un artiste qui les fit passer du noir et blanc à la couleur.

 

 

De nos jours l’héritage de Lightning Comics se limite à bien peu de chose. Certains se rappelleront de Creed en raison de son crossover avec Les Tortues Ninjas, série qui fut plus tard récupérée par Avatar Press puis Image Comics. Et les Bad Girls Hellina et Sinthia ont récemment été ressuscitées chez Avatar via leur nouveau label Boundless, spécialisé dans la reprise de licences 90s qui pousse à fond sur le porno et le gore. Comme elles, Catfight est aussi une de ces héroïnes violentes et à demi-vêtue qui met en pièces ses adversaires, mais elle est un peu différente. D’une part elle était censée ouvrir un tout nouveau label, Insomnia Press, destiné aux œuvres ne traitant pas de super-héros à proprement parler (et tant pis si elle se retrouve avec un costume, des pouvoirs et une identité secrète). En effet le personnage n’évolue pas dans le monde réel et fait régner la justice dans le Royaume des Rêves, se battant contre des créatures qui peuvent blesser et tuer les humains à travers les cauchemars qu’ils génèrent. Mais l’idée de la séparer du reste de l’univers Lightning Comics fut vite abandonné et la jeune femme se retrouva ensuite plusieurs fois dans les pages de Hellina tandis que le logo de Lightning vint définitivement remplacer celui de Insomnia sur ses publications.
Cependant ce qui sépare vraiment Catfight de ses camarades c’est le fait que celle-ci, malgré son corps de femme plantureuse, est en fait… une gamine de douze ans ! “Catfight” n’est qu’un avatar magique qu’elle invoque quand le besoin s’en fait ressentir, à la manière de She-Ra ou de Shazam. Et comme Billy Watson, sa personnalité innocente demeure malgré qu’elle soit devenu une adulte.

 

 

De quoi se sentir un peu sale, surtout si l’on s’est procuré une variante nude, et c’est à se demander ce que son créateur, Steven V. Zyskowski, avait dans le crâne lorsqu’il a choisi ce concept. Car la super-guerrière est seulement habillée d’un masque de chat, d’un mini-short déchiré et d’un soutien-gorge, chaque combat ou prouesse physique étant un prétexte pour exhiber ses formes généreuses. Autant dire que se forme une dichotomie entre le fond et la forme, lorsque l’intrigue appelle le personnage à interagir avec un gamin de son âge, Timmy, dont elle est amoureuse dans un sens purement “mignon” alors que leur différence physique son bien présentes. Un fétiche peut-être, et de toute façon le résultat est loin de mettre mal à l’aise du fait de l’immaturité et de l’amateurisme générale qui se dégage du projet. Qui plus est, et à la surprise générale, les responsables de Catfight semble sincèrement croire en leur création et soignent l’intrigue autant que possible malgré leur absence de moyens et, disons-le franchement, de talents. Une certaine forme de sincérité émerge alors, balayant le côté graveleux de l’entreprise pour peu que l’on prenne la peine de lire ce qui s’y passe.
D’ailleurs le point de départ, rapidement résumé dans ce one shot, semble bien mieux convenir à la catégorie Jeunesse tant on en retrouve de nombreux éléments. L’historie est celle de la jeune Caitlyn Travis, qui un jour commence à faire des rêves étranges lui semblant trop réels. Chaque nouveau songe se poursuit là où le précédent s’est arrêté, un peu comme si elle vivait une seconde vie, et elle découvre qu’elle est transportée dans le pays de Somnia, du monde des Rêves, qui est gouverné par le Prince Nightmare…

 

 

Malgré son nom celui-ci ressemble à un basique prince charmant à la Disney plutôt qu’à Alice Cooper, et il lui explique que son royaume est envahi par des êtres maléfiques, les Odiums, qui s’amusent à tuer les enfants dans leurs cauchemars afin qu’ils meurent dans la réalité. Pour contrer cette menace il lui offre un talisman qui la transforme en une amazone au corps de rêve, Catfight. Elle affronte de nombreux ennemis dont le terrifiant Lolli-Pop Man (dans une histoire superbement nommée, tenez-vous bien, The Lolli-Pop Man Gets Licked) et sauve un jeune garçon de son école, Timmy, avec lequel elle va se lier d’une profonde amitié. Elle lui offre même la moitié de son pouvoir afin qu’il l’aide dans sa quête, l’enfant se métamorphosant lui aussi en un barbare à demi-nu aux muscles saillants et vêtu d’un slip minuscule.
Mais les évènements précédent ce one shot vont se révéler catastrophiques: non seulement son compagnon tombe sur le champ de bataille (embroché par un dénommé Imensius the Impaler, et après on se demande pourquoi j’adore lire de vieux comics), mais Nightmare se change en monstre et tente de la tuer à son tours !
Devenu surpuissant, il quitte le monde des Rêves pour s’enfuir dans la réalité, son absence détruisant Somnia qui s’écroule littéralement et catapulte l’héroïne et les Odiums survivants dans une nouvelle dimension nommée Limbo. Les limbes. Catfight ne doit sa survie qu’au Protectious, une fleur magique (un tournesol cartoonesque avec un visage) qui lui permet de voyager entre les dimensions.

 

 

La chose florale va même dévorer Nightmare pour protéger Caitlyn, le gobant tout rond. C’est alors que la gamine va apprendre que son ami est toujours vivant mais plongé dans le coma, son esprit étant toujours piégé quelque part dans les limbes et incapable de revenir de lui-même. Escape From Limbo raconte comment Catfight retourne là-bas pour le sauver, Timmy étant en fait retenu prisonnier par la Princesse Zoya qui règle en cet endroit et s’est adjoint les services des Odiums abandonnés. Elle réclame le Protectious en échange de son otage, et si Catfight se bat contre ses légions, elle est vite submergée. La vilaine récupère la fleur et lui ordonne de relâcher Nightmare, qui se trouve encore en elle, seulement voilà: elle n’obéit qu’à Catfight, ce va contraindre la souveraine à devoir marchander avec l’héroïne… Et c’est là que l’intrigue prend un tournant inattendu. Car tandis que l’on s’attend à une bagarre entre la justicières des songes et la maitresse des limbes, apparemment une énième Bad Girl servant de nouvel antagoniste, il apparait que celle-ci est en fait du côté des Bons ! Les deux femmes vont alors parler et échanger leurs points de vue sur une situation qui a involontairement dérapé.
Ainsi Somnia et Limbo étaient autrefois fois les pays d’un monde similaire à la Terre jusqu’à ce qu’une guerre éclate entre le père de Zoya et le Prince, qui se bannirent réciproquement par la sorcellerie, séparant éternellement les deux nations. Naturellement, la princesse et Nightmare étaient éperdument amoureux et victimes des circonstances.

 

 

La jeune femme ne demande en fait qu’à sauver son bien-aimé actuellement digéré lentement à l’intérieur du tournesol, et assure qu’il n’a pas agit par méchanceté, ayant en fait prit peur de ce que Catfight pourrait faire en apprenant la vérité. Qui plus est, seul ces retrouvailles pourraient restaurer Somnia et Limbo et ramener leur splendeur d’antan, la mort du prince signifiant une désolation éternelle pour le monde des Rêves. Difficile à croire, d’autant que Caytlin reste une enfant qui n’accepte pas le fait d’avoir été trompée, manipulée et trahie, sans parler de sa tentative d’assassinat. D’ailleurs son ami lui-même se méfie, considérant que cette histoire est un peu trop belle pour être vraie. Mais voilà, jamais Zoya ne force Catfight, ne menace le garçon ou n’utilise les Odiums pour parvenir à ses fins. Ses suppliques semblent sincères et lorsque l’autre lui demande pourquoi elle devrait se soucier de sa triste amourette avec Nightmare, elle répond quelque chose de simple mais de sidérant considérant la date de parution de la BD: “Tu est un héros, n’est-ce pas ? Les héros ne sont pas censé se soucier des autres ?
Si vous ne comprenez pas l’importance de ces mots, c’est que vous n’avez pas connu la noirceur et la débilité de l’ère 90s des comics. A l’époque où tout était extrême, ultra violent, où seuls comptaient les muscles gigantesques, les corps sexualisés à outrance et les flingues géants, la notion même d’héroïsme a été perdu. Jugée vieillotte, ringarde, par des lecteurs adolescents vénérant plutôt les méthodes du Punisher. Techniquement, nous étions toujours dans l’univers des super-héros, mais en réalité ce mot ne voulait plus rien dire.

 

 

Cette opposition entre la noblesse d’autrefois et la brutalité moderne est justement au cœur du grandiose Kingdom Come de DC Comics, où Superman, dégoûté de cette préférence pour la justice expéditive, jette l’éponge et laisse le monde se débrouiller lui-même. Une nouvelle génération de justiciers vindicatifs se met en place et plonge le monde dans le chaos par son attitude si proche de celles des vilains qu’elle doit combattre… Et ici, aussi incroyable que cela puisse paraitre, ce bouquin cliché, moche et typique de son époque préfigure ce commentaire sur l’industrie en posant une problématique simple mais pourtant importante: Catfight est une gamine qui a des idées de vengeance et de violence, mais au lieu de se trouver un ennemi à tabasser, on lui demande de mettre de côté ses émotions afin de sauver tout le monde.C’est inattendu et très apprécié, avec une conclusion qui vire tellement dans le féérique qu’on ne peut s’empêcher de se demander – encore – pourquoi un tel sujet a été utilisé pour Lightning Comics et son univers de donzelles déshabillées.
Le final, amusant, montre la plante vomir Nightmare qui a retrouvé son apparence de prince charmant et que Zoya va aussitôt embrasser, visiblement peu ennuyée par la bile et la puanteur. Le Royaume des Rêves est restauré et le paysage vide et désolé (pratique pour éviter à l’illustrateur de passer trop de temps sur des détails d’arrière-plan) devient une forêt luxuriante façon jardin d’Eden. L’occasion d’une superbe page où les bords des cadres se retrouvent également fleuris.

 

 

Alors bien sûr il y a pas mal de choses à redire du fait que les scénaristes de Lightning ne sont pas vraiment des lumières. Difficile de croire que les intentions du Nightmare “maléfique” n’étaient pas néfastes tant la vérité derrière toute cette affaire n’a rien de sordide et qu’une gamine comme Caytlin aurait certainement compris que ses actions passées étaient une erreur qu’il regrette. Elle l’aurait forcément aidée à retrouver son amour perdu et réunir Somnia et Limbo. Et en cas de doutes, pourquoi même créer Catfight et ne pas gérer la menace Odium personnellement ? Peut-être que cela a un peu plus de sens en lisant chaque publication, mais vu le genre de compagnie qu’était l’éditeur, j’en doute fortement. Dommage car il y avait là un certain potentiel qui aurait mérité d’être exploité. D’autant que le concept de base fut inspiré par Freddy Krueger et son troisième opus, The Dream Warriors, dont le terme est d’ailleurs recyclé sur cette série. Pas un hasard si, lors d’un flashback, un des Odiums ressemble un peu au grand brûlé d’Elm Street avec ses ongles démesurément longs.
Du reste, la revue ne risquait finalement pas de se faire remarquer tant elle est banale, basique. Pas la BD la plus moche de son temps, mais combinant tous les défauts du genre. Si certains dessins ne sont pas mal et que l’on note un effort sincère sur les détails, la notions de proportion anatomique est à jeter par la fenêtre, les corps féminins se tordant dans des angles impossibles pour nous montrer tous leurs atouts en même temps. On relève des coquilles ici et là (weirdo écrit wierdo) et la page de crédits, aux écritures noires imprimées sur un dessin noir et blanc, est par endroit illisible.

 

 

Le lecteur attentif remarquera d’ailleurs que quelque chose cloche dans celle-ci, entre les noms de l’illustrateur et de l’encreur qui ressemblent à des pseudonymes (O’Clair Albert et David Mowry) tandis qu’il est impossible de trouver le scénariste ! A la place, un mystérieux Joseph Adam (très certainement Joseph A. Zyskowski) est inscrit comme “guest writer” quoi que cela veuille dire. Nul doute que derrière ces noms différents se cache en fait les deux frangins qui firent tout le boulot eux-même et tentèrent de faire croire leur équipe est plus grande qu’elle ne l’était réellement. Un vieux truc que l’on retrouvait autrefois dans les productions de Herschell Gordon Lewis et qui semble tout à fait logique de retrouver ici tant la situation est assez similaire.
Mais entre ça et le type d’objectifs de vente que le duo s’est fixé, il devient difficile de ne pas les considérer comme des petits magouilleurs un rien antipathiques. Une impression que la section du courrier des lecteurs, baptisée The Cat’s Meow !, ne risque pas d’arranger. Car après deux lettres vantant les mérites de Lightning Comics et de leurs héroïnes sexy se trouve le message d’un anonyme rouspétant à propos de la multiplication inutile des nude variants pour un même numéro. Joe Zyskowski lui répondra très sèchement en arguant que si Image Comics fait de même, pourquoi pas eux ! Et si l’on peut encore accepter qu’il défende son business, avait-il vraiment besoin d’insulter son mystérieux correspondant en sous-entendant qu’il n’est qu’un enfant et que son enveloppe était “dégueulasse” ? Le genre d’attitude qui n’aide pas vraiment à se mettre du côté de la compagnie, bien trop prétentieuse au regard de ce qu’il produit.

 

 

Exactement comme Marvel Comics de nos jours en fait, où la moindre critique est balayée d’un revers de la main avec tout un tas d’insultes visant à dévaloriser l’argumentation ou même le plaignant. Une attitude révélatrice qui ne fait que prouver que les “artistes” et “auteurs” en charge n’ont en réalité rien à foutre là. Et Marvel peut se reposer sur sa célébrité et sa longue carrière autant qu’elle le souhaite, ce genre de réactions immatures et malhonnêtes prouvent qu’il n’y a aucune considération ni passion derrière tout ça: seulement des ambitions. Ce qui ne suffit pas pour maintenir en vie son business. Dans le cas de Lightning Comics, il n’aura fallu que cinq ans avant de mettre la clé sous la porte…

 

 

 

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