Wolfskin (2006)

 

Wolfskin

(2006)

 

 

Paru entre Avril 2006 et Mars 2007, Wolfskin est une mini-série en trois épisodes produite par Avatar Press. Il s’agit d’un des nombreux travaux de l’auteur Warren Ellis pour la boite (comme Anna Mercury, Blackgas ou encore Doktor Sleepless), celle-ci lui garantissant l’absence de toute interdictions et censures sur ses créations. Avec Wolfskin, il se tente a une certaine démystification de la Fantasy en apportant un brin de “modernisme” à ce genre alors très à la mode à l’époque, à savoir des dialogues très crus et l’absence totale de surnaturel. En découle une version assez particulière d’un archétype plus que connu: le Barbare.

 

 

D’emblée l’affiliation avec le personnage de Conan, crée par Robert E. Howard, semble évident. Le héros est un colosse tout en muscle maniant les épées et le maillet, qui vit en solitaire et qui a une expérience hors du commun des guerres et des batailles. Il s’agit de l’inévitable cliché du Barbare que l’on retrouve dans des millions de médias depuis la naissance du célèbre Cimmérien. Bien heureusement, Ellis va faire de Wolfskin une variation sur le sujet plutôt unique dans son genre.

 

 

La toute première originalité du comic book est son réalisme. Pas de magie ni de créatures monstrueuses: ce monde est celui des hommes, de leurs religions et de leurs actes bien souvent cruels. Le personnage principal est un guerrier blond au visage balafré, instruit par une personnalité visiblement sage mais également érudit dans l’art du combat, provenant de la tribu des Wolfskins. Un clan nordique que certains prennent pour des loups-garous car leurs membres sont vêtus d’une peau de loup et sont réputés pour leur sauvagerie lors des batailles.

 

 

Ellis réinterprète ici les mythes nordiques et germaniques comme celui du berserker, c’est-à-dire un guerrier en état de fureur prétendue d’origine divine, se revêtant d’une peau d’ours ou de loup. Si on ne sait pas grand chose historiquement parlant sur leurs véritables origines, l’auteur opte pour un champignon hallucinogène qui agit comme une drogue et provoque une folie temporaire. Une manière d’aborder l’Heroic Fantasy sous un angle différent, les conversations entre le Wolfskin et son dieu n’étant qu’une illusion et la magie étant remplacé par un tout début de technologie (la poudre à canon et les premières armes à feu).

 

 

Mais le grand changement, l’innovation si l’on peut dire, vient ici du langage. Si les protagonistes jurent encore par leurs divinités, c’est désormais des insultes modernes qui vont jaillir de leur bouche en lieu et place des jurons fantaisistes stéréotypés. Il ne faut pas s’étonner de voir notre barbare lâcher des “fuck” ou s’exprimer dans un langage fleuri des plus hallucinant (“Your mother must’ve labored mightily to get shit to come out of a donkey’s cock”). A la vérité, il ne s’agit en rien d’un gage de qualité et on serait même tenté de dire que l’on y voit plus un certain anachronisme qu’autre chose. Toutefois connaissant l’aspect relativement vulgaire des publications Avatar Press, presque toujours portées sur le sexe et la violence, cela ne choquera pas vraiment.

 

 

Et à ce propos, Wolfskin ne fait pas exception puisqu’il aborde tout autant la nudité masculine frontale (le héros exhibant son engin face à une femme qui veut le tuer, allant jusqu’à lui dire qu’il risque de l’effrayer avec sa “bite d’animal”) et le gore extrême lors des scènes de combats. Éventrements, décapitations et autres mutilations sont légions et richement illustrés par Juan Jose Ryp, dessinateur fréquent de la boite que l’on le retrouvait déjà sur Frank Miller’s RoboCop ou les comics A Nightmare on Elm Street. Fidèle a lui-même, il délivre un graphisme très détaillés, voir même un peu trop fouillis. L’accumulation de détails nuit parfois à l’ensemble et on se surprend à regarder ses planches avec un certain recule tant on est parfois assaillit par ses traits. Un style particulier qui peut parfois rebuter mais qui s’accorde plutôt bien a l’ensemble, même s’il est loin d’être indissociable de la série (la preuve, il est remplacé par Gianluca Pagliarani sur la prochaine histoire du titre).

 

 

De son côté Warren Ellis nous gratifie d’un scénario des plus simplistes en reprenant dans ses grandes lignes la trame du Yojimbo d’Akira Kurosawa (ou de Pour une Poignée de Dollars de Sergio Leone) puisque notre Wolfskin, ayant été banni par son peuple après avoir massacré femmes et enfants lors d’une de ses crises berserk, va croiser par hasard un petit village perdu déchiré par une guerre entre deux clans, chacun lui proposant de les rejoindre. Profitant de la situation pour se nourrir, il va jouer sur les deux tableaux et bien mal lui en prend…

 

 

Si la totalité du scénario d’Akira Kurosawa n’est pas reprit ici, l’inspiration saute tellement aux yeux que l’on peut se demander si Ellis n’a pas eu recours à la facilité pour l’écriture de cette histoire. On l’a connu capable de beaucoup mieux et Wolfskin est loin de faire partie de ses chefs d’œuvres. De même que l’on peut être surpris de voir l’intrigue tenir en trois numéros, là où finalement un simple one shot aurait suffit ! Bien sûr on peut supposer que tout cela est dû à des raisons commerciales…

 

 

Cependant l’auteur nous réserve de bonnes surprises. Œuvre complexe malgré sa violence grand-guignolesque, Wolfskin mais en scène des personnages humains qui n’ont rien de manichéens. Pas de figure maléfique ici, pas plus que de figure héroïque. Les deux leaders s’opposant en conflit armé dans le petit village sont des frères qui versent des larmes à l’idée de s’entretuer ; une femme souhaite venger son mari, un “figurant” vite expédié au début du premier numéro, tandis que notre barbare s’oppose farouchement à l’idée de prendre sa drogue pendant l’affrontement, sachant pertinemment les risques que cela implique, avant de céder pour sa propre survie… Loin du cliché de la masse de muscle brutale et insensible, le Wolfskin d’Ellis est un homme avant tout, étant ce qu’il est du fait d’un monde où règne la loi du plus fort. Il pleure et vomit devant le résultat de sa fureur, maudissant son dieu et sa propre condition. Nous sommes bien loin de la glorification de la force absolue comme on le voit souvent, et l’épilogue jette un froid, concluant l’œuvre sur un “Fuck love ! Fuck God !” lancé au beau milieu d’un charnier.

 

 

Wolfskin propose une alternative différente à l’Heroic Fantasy, une version non pas historique mais réaliste, crédible, et rappelant avant tout à quel point cette époque était violente et sans pitié. Très proche des Conan originaux, la série bénéficie d’un traitement qui a le mérite de changer, tout en évitant des longueurs qui auraient pu lui être nuisible. Si ce n’est pas ce que l’auteur a fait de mieux, c’est déjà pas mal et ça se laisse lire très facilement. La publication de Wolfskin se fit à la manière habituelle d’Avatar Press, comprendre par là que chacun des numéros fut distribué avec d’innombrables couvertures différentes. Une stratégie commerciale sûrement payante puisqu’en Mai 2008, Warren Ellis reprit son personnage pour un one shot en collaboration avec Mike Wolfer (le Streets of Glory de Garth Ennis) tandis que son duo avec Juan Jose Ryp va se poursuivre directement après cette série avec Black Summer et No Hero.

 

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