Thor: Vikings
(2003)
Garth Ennis, tout le monde le sait, déteste les super-héros. Ayant grandit avec des bandes-dessinées de guerre, il s’est constitué un imaginaire basé sur le réel et les exploits de personnages certes plus grands que nature, mais dépourvus de pouvoirs ou de gadgets pouvant leur donner un avantage certains sur leurs adversaires. Pas tellement un problème puisque l’auteur est talentueux et œuvre dans des tas d’autres genres pour livrer de petites bombes comme Preacher ou des perles plus obscures telles que Rover Red Charlie ou Streets of Glory, et il est totalement libre de caricaturer les encapés avec The Boys puisque sa réputation n’est plus à faire à ce point. Il faut dire que son humour, bien que parfois méchant et juvénile (et surtout répétitif au bout de quelques livres) demeure absolument hilarant, mêlant avec brio blagues en-dessous de la ceinture et ultra violence surréaliste comme personne d’autre n’a jamais réussi à le faire.
Malgré ça, il trouve toujours le moyen de se faire engager par DC et Marvel pour écrire à propos de personnage qui ne lui correspondent pas. Donnez lui John Constantine, Nick Fury ou le Punisher et il reste dans sa zone de confort, mais le reste ? Autant dire que les fans de Thor ont toutes les raisons du monde de craindre ce Thor: Vikings, qu’il produisit au début des années 2000 pour le label MAX de la Maison des Idées. Une catégorie de comics beaucoup plus permissive que la normale où le scénariste est libre de ne pas respecter la continuité officielle, d’utiliser un langage ordurier et d’y aller à fond question sexe et violence pourvu que cela ne tombe pas dans la pornographie (on est pas chez Avatar Press quand même). Que l’on se rassure: quand il ne traine pas avec les Vengeurs, le dieu nordique reste au final un guerrier de l’ancien temps qui part batailler avec fougue, et cela convient parfaitement à Garth Ennis.
Oh bien sûr Boucle d’Or est horriblement malmené par l’antagoniste dans le second numéro, souffrant une défaite humiliante qui l’oblige à demander de l’aide à des protagonistes plus “normaux”, donc en un sens le scénariste irlandais se contente de refaire ce qu’il a toujours fait. Mais le héros ne passe pas pour un idiot fini, un couard ou un salopard prétentieux. Il reste Thor, fils d’Odin, et jamais ne recule ou n’abandonne face au danger. Un traitement finalement plus respectueux que celui de Disney dans Avengers: Endgame, où il abdique après un échec et se laisse complètement aller. Et heureusement puisque la menace que représentent les Vikings du titre est particulièrement vicieuse et bien plus tangible que les remous cosmiques d’un Thanos ou d’un Beyonder: il est ici question de morts-vivants indestructibles et dotés d’une force surhumaine venus piller et conquérir New York, massacrant la population sans que personne ne puisse les arrêter !
Un prototype de Crossed en quelque sorte, même s’il ne va jamais aussi loin. L’intrigue commence en 1003, en Norvège, lorsque le sanguinaire Harald Jaekelsson et ses hommes mettent un petit village à feu et à sang. Comprenant qu’un tel acte risque d’attirer l’attention du roi, le groupe décide de quitter les eaux locales pour naviguer vers le Nouveau Monde où ils seront libre d’agir à leur guise, mais l’unique survivant de leur raid lance sur eux une malédiction, les condamnant à naviguer pour un millier d’année sans atteindre la terre qu’ils recherchent. L’homme est aussitôt exécuté mais cela va détraquer le sortilège qui fonctionne selon un sacrifice de sang: en mourant, c’est tout son hémoglobine qui vient renforcer l’incantation, laquelle est alors interprétée au sens littéral. Pendant des siècles les meurtriers vont errer sur l’océan, leurs corps pourrissant avec le temps mais gagnant une force nouvelle pour survivre au voyage.
En 2003 ils atteignent enfin New York et envahissent Manhattan, taillant en pièces tous ceux qui leurs tombent sous la main et Jaekelsson choisi de faire de cette ville son nouveau domaine. Immortels et surpuissants, ils ne craignent ni les balles de la police, ni même la force de Thor qui intervient pour protéger les innocents. Le Vengeur est même salement blessé durant son duel contre le chef des Vikings, brisant ses mains et terminant au fond des eaux sales du port parmi les détritus. Pas de quoi le tuer mais son impuissance grande et il lui faudra l’aide du Dr. Strange pour contrecarrer la magie runique alimentant ces zombies. La solution ? Trouver les descendants de celui qui a lancé le sort car le même sang coule dans leurs veines, leur permettant d’outrepasser la malédiction, et les ramener dans le présent pour les envoyer se battre. Leur choix se porte alors sur les trois plus grands combattants que la lignée ait jamais connue.
Ce sont Sigrid, Viking ultra baraquée mais frustrée de ne pas pouvoir guerroyer parce qu’elle est une femme, Magnus, chevalier de l’Ordre Teutonique qui ne retire jamais son casque et Erik, aviateur allemand durant la Seconde Guerre Mondiale qui ne porte pas pour autant le Nazisme dans son cœur. Avec ces trois là capable de blesser la horde de Jaekelsson, Thor repart au combat pour libérer la ville de l’occupation dont elle est victime… Le reste n’est que jeux de massacre puisque les héros sont capable de pourfendre aisément leurs adversaires contrairement aux autres, et le fun du livre tient donc dans les innombrables coups d’éclats et mises à mort sanguinaires qui parsèment les pages. Et de ce côté Ennis ne déçoit évidemment pas, testant sans doute les limites du label MAX: la première page démarre sur l’image d’une femme violée plaquée au sol à qui l’antagoniste brise la nuque d’un coup de botte !
Des corps éventrés sont attachés de manières à recouvrir entièrement les façades des immeubles et l’île de Manhattan est coupée du reste du monde par des murs de têtes coupées. Les Marines envoyés par le gouvernement sont débités en morceaux, leurs trognes finissant au bout d’une pique dans tout Time Square. Ici et là s’accumulent des charniers géants façon camps de la mort tandis que le chef des morts-vivants utilisent les os des hommes les plus grands pour se faire un trône au sommet du Chrysler Building. Une courageuse policière est décapitée et un bus d’école est attaqué avec tous les enfants à bord tandis qu’un présentateur de télévision est tué en plein direct. Mais la BD n’oublie pas l’humour et retrouve même un petit côté 666 de Froideval et Franck Tacito dans l’invasion de New York, où les habitants ne semblent jamais réaliser l’ampleur du désastre, conversant mondainement avant d’être massacré par les zombies arrivant de partout.
Thor se fait même pratiquement arracher les mains lorsqu’il tape sur son adversaire avec Mjolnir, le dessinateur ne refusant pas de dessiner d’impressionnantes fractures ouvertes. Finalement seule la question du viol semble poser une limite, évoquée plusieurs fois sans que rien ne soit jamais montré. Cela n’empêche pas certains passages de présenter la chose l’air de rien, comme le corps de cette femme en soutien-gorge pendue parmi d’autres cadavres, et surtout ce clin d’œil possible à L’Avion de L’Apocalypse lorsque les Vikings décomposés débarquent en pleine séance d’aérobic. La vision de ces pulpeuses demoiselles en brassière de sport ne laisse aucun doute sur ce qui va se passer ensuite. Devant l’ampleur du chaos il est pratiquement impossible de dire si ces évènements se déroulent sur l’officielle Terre 616 tant ils devraient avoir un énorme impact dans cet univers, mais absolument rien ne vous empêche de le considérer.
Tout n’est pas que violence cependant, et avec Garth Ennis aux commandes Thor: Vikings contient son lot de scènes d’action dantesques et de pantalonnades. L’aviateur Erik préfigure un peu le revival du Phantom Eagle que le scénariste créera quelques années plus tard, toujours pour Marvel (War is Hell: The First Flight of the Phantom Eagle), et permet de mettre en scène une bataille aérienne infernale dans les 40s. Plus tard le voilà en plein dogfight entre son Messerschmitt et le drakar volant de Jaekelsson qui est capable de cracher du feu. A la Maison Blanche, le ministère doit expliquer à George W. Bush que les bombes atomiques engendrent des retombées radioactives pour le dissuader de détruire Manhattan et Strange doit justifier sa non intervention auprès de Thor durant le premier combat: “I’m Doctor Strange, not Doctor Suicidal”. Quant aux Avengers, évidemment qu’ils se prennent une grosse raclée, encore que ça aurait pu être pire.
Plus atmosphérique est la représentation du temps qui passe lorsque les Vikings navigue sur l’océan, croisant à travers les siècles le Titanic et un porte-avion moderne. Il y a également cette narration à l’ancienne durant le récit, donnant à l’histoire ce côté “saga” nordique qui prend tout son sens lors de la conclusion assez crève-cœur: si les compagnons de Thor triomphent et réintègrent leurs époques respectives, cela ne signifie pas pour autant que le destin fut clément avec eux. Mais le Valhalla demeure et sait comment accueillir les braves. En résulte une tonalité un peu déséquilibrée qui donne un effet montagnes russes, ce qui tout à fait usuel chez Garth Ennis. L’illustrateur permet d’unifier un peu tout cela, et avec Glenn Fabry (le responsable des couvertures démentielles de Preacher) cela fonctionne à merveille, avec de nombreux dessins très heavy metal dans l’âme.
Mention spéciale pour le coloriste Paul Mounts qui fait justement briller l’acier et le bronze comme pour accentuer cette impression, et à cette scène parodiant le Vikings de Richard Fleischer où un pseudo Kirk Douglas assez bluffant perd son œil d’une façon bien moins virile que dans le film. Paru initialement en cinq numéros entre Septembre 2003 et Janvier 2004, Thor: Vikings est désormais facilement trouvable en digital à défaut d’avoir une édition française digne de ce nom.
GALERIE
Je l’ai découvert il y a peu et j’ai adoré.
La raclée du siècle pour Thor 😂
Ah ça il s’en prend plein la gueule oui ! En même temps rien d’étonnant avec Garth Ennis comme scénariste 😉