The Vault of Horror #27
Strictly From Hunger !
(1952)
Oui, encore du EC Comics pour cet Halloween cuvée 2017. Et a vrai dire je pourrai continuer comme ça éternellement tant ils sont une source d’inspiration inépuisable: il me serait très facile de m’emparer de n’importe quel numéro de Tales From the Crypt, The Vault of Horror ou de The Haunt of Fear et de sélectionner une histoire au hasard, chaque revue renfermant d’innombrables trésors de l’Horreur qui méritent d’être explorés. Pour autant cette fois, j’ai voulu choisir l’une de mes favorites, une de celle que je n’ai jamais oublié malgré les années et peu de relecture. Et dont le monstre est particulièrement horrible. Avec Strictly From Hunger !, EC signe un épisode qui n’a jamais été reprit au cinéma ou à la télévision, qui ne compte pas parmi les nombreux Top 10 et Best Of que l’on peut croiser sur Internet, mais qui pourtant se démarque de ses semblables grâce à son sujet résolument plus moderne que les autres. Car si d’ordinaire les BD usent des thèmes classiques de vampires, fantômes, zombies et loups-garous, celle-ci se réclame du body horror, un genre jouant sur la répulsion et la peur primaire des changements qui peuvent arriver au corps humain: mutations, décompositions, mutilations, parasites, etc. Des cinéastes comme David Cronenberg ou Frank Henenlotter sont des références en la matière et il est vrai que l’impact de telles histoires est toujours plus effectif que l’utilisation d’un bestiaire fantastique ou du maniaque au couteau.
Si le concept diffère, la structure générale de ce conte conserve la patte EC: une narration s’étendant sur seulement six pages, extrêmement simple et naïve dans son déroulement. En revanche la lecture évoque moins les farces habituelles de Bill Gaines et cherche plutôt du côté de H.P. Lovecraft pour la lente mais atmosphérique progression des évènements. Non pas le Lovecraft de Cthulhu et autres monstruosités cosmiques, mais plutôt celui de Herbert West – Reanimator ou de L’Affaire Charles Dexter Ward. Des références pas nécessairement compréhensible par le lecteur lambda des années 50, mais qui résonnent beaucoup plus chez le public contemporain. L’épisode fait parti du sommaire du numéro 27 de The Vault of Horror, qui compte au moins un autre gros morceau: People Who Live in Brass Hearses…, raconté par le Cryptkeeper et qui fut adapté dans la série HBO avec rien de moins que Bill Paxton et Brad Dourif dans les rôles principaux ! A leurs côtés citons Silver Threads Among the Mold ! (un sculpteur découvre que sa femme le trompe et enferme son corps dans sa dernière œuvre) et A Grim Fairy Tale ! que narre la Vieille Sorcière (un royaume est envahi par les rats mais le roi et la reine ordonnent à la population de laisser les animaux tranquille malgré qu’ils dévorent absolument tout – le peuple se rebelle et fait avaler tout rond quelques rongeurs à leurs souverains, qui les mangent alors de l’intérieur).
Strictly From Hunger ! est cependant celui qui fut choisi pour illustrer la couverture du magazine, d’une part parce que sa créature est visuellement marquante mais aussi parce qu’il s’agit du conte qui impressionne sans doute le plus. Et donc l’histoire, qui se déroule dans un coin perdu du Tennessee, débute sur les chapeaux de roues en montrant une milice armée et menée par le shérif du coin traquer un meurtrier, responsable d’une dizaine de morts dans leur petit village. Un criminel qui mutile ses victimes en leur arrachant la peau, et même l’intérieur, pour ne laisser que les os ! Un être humain ? Plutôt une “chose” que quelqu’un a vaguement aperçu, quittant la maison d’un dénommé Pete Feeley justement porté disparu. La bête, quelle qu’elle soit, a prit la fuite pour se réfugier dans une caverne et c’est là que le groupe se réuni afin de l’exterminer. Arrive Docteur Chambers, médecin du village, qui les supplie de ne pas entrer dans la grotte et d’écouter son histoire. Car il a déjà vu la créature des années auparavant, et celle-ci ne ressemblait pas à un monstre à l’époque. Le groupe, d’abord contrarié de sa réaction, fini par l’écouter afin de comprendre à quoi ils ont affaire. Et tout semble désigner Feeley, qui vit reclus depuis plus d’un an et que personne n’a vu depuis. Faut-il croire que celui-ci est le coupable ? Presque… Le médecin narre alors l’étrange cas de celui qui fut son patient, venu le voir en raison d’une boursouflure apparue sur son bras. Une boule grossissant un peu plus chaque jour, le terrifiant…
Pas de chance pour lui, il s’agit d’un cancer et la tumeur est maligne: il ne lui reste que deux ou trois mois à vivre. J’aurai bien fait une blague sur le sketch de Coluche du cancer du bras droit, mais manque de bol c’est le gauche. Quoiqu’il en soit, Feeley se rend dans les montagnes où réside une vieille sorcière, la suppliant de le sauver. Quelques mois plus tard, et n’ayant plus de nouvelle du malade, Chambers va chez lui pour vérifier son état: il le retrouve vivant et de bonne humeur malgré que l’horrible tumeur se soit répandue sur tout son bras. Le membre est difforme, boursouflé, mais Feeley est tranquille: il ne peut plus mourir. Car la sorcière lui a jeté un sort et l’a rendu immortel. Sa seule exigence fut la promesse de ne jamais revenir la voir ni de lui demander de briser le maléfice. Une aubaine pour lui puisqu’il compte bien survivre coûte que coûte ! Chambers reste sceptique et le pense condamné, mais lorsqu’il retourne le voir plusieurs mois après, il constate que l’homme est toujours là même si son cancer a maintenant rongé la moitié de son corps. Le malade ne semble pas préoccupé par son apparence même s’il avoue être constamment affamé. Encore plusieurs mois passent et lorsque Chambers revient, il se fait rejeter par son patient qui ne le laisse même pas le voir. Il retente une autre fois, mais la voix de Feeley apparait incohérente, à peine compréhensible…
C’est à partir de là que les meurtres commencent et notre brave médecin, décidément un peu con, n’a jamais fait le rapprochement. Pour lui le tueur était probablement un animal, puisque personne d’autre ne pourrait arracher la totalité de la chair sur un corps au point de ne laisser que le squelette. En tout cas jusqu’à ce qu’il entende parler de la “chose” s’étant échappé de la maison de son patient. Lorsqu’il termine son récit, personne ne veut croire que la créature fut autrefois un homme. Et Chambers tient d’ailleurs à préciser que la Bête n’est plus vraiment Pete Feeley, expliquant comment fonctionne un cancer: c’est une dégénérescence, la tumeur dévorant les cellules saines pour continuer à grossir jusqu’à la mort de l’hôte. Et dans le cas présent, le porteur étant immortel, son organisme original a fini par être totalement avalé par la maladie, ne laissant de lui qu’une masse cancéreuse géante et dépourvue de conscience mais toujours en recherche de tissus organiques à corrompre ! D’où les meurtres, les corps réduit à l’état d’ossements et la demande de la sorcière de ne jamais retourner la voir… Le monstre choisira ce moment pour sortir de sa tanière et attaquer, révélant son aspect grotesque à tous. Un blob de chair humaine, immortel et cherchant à intégrer de nouveaux éléments à sa composition pour continuer de grandir. C’en est presque dommage que la couverture ait dévoilée ce moment, grillant une belle surprise pour le lecteur !
L’épilogue montre alors le triste sort de Feeley qui, ne pouvant être tué, est repoussé dans la grotte par les flammes avant que la milice ne dynamite l’entrée, l’enfermant dans les ténèbres pour toujours. Le groupe espère évidemment que personne ne libèrera jamais le monstre par mégarde tandis que le Vault Keeper nous encourage justement à partir là-bas pour jouer les prospecteurs, car après tout, on ne sait jamais ce que l’on peut trouver au fond d’une mine… Le récit, en toute honnêteté, est presque gâché sous ce format et aurait mérité à être exploité sous la forme d’une nouvelle bien écrite. A la Lovecraft. Car la narration fonctionne avant tout sur la lente progression de la maladie jusqu’à la révélation finale, une vision d’horreur absolu, et expédier cela en quelques pages n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir. Même l’ambiance, pourtant tendue lorsque Chambers termine son récit, en prend un coup dans le nez puisque l’intrigue a ce côté “résumé” qu’on toutes les histoires EC en raison de la limitation de pages et la surutilisation des cases de narration. L’idée de la sorcière est presque de trop et il aurait été plus mystérieux, plus effrayant, de voir Feeley survivre par sa seule volonté. Quelque chose d’incompréhensible, surtout du point de vue du médecin qui sait pertinemment ce que l’organisme peut endurer ou non. L’effet psychologique aurait été bien plus efficace que les éléments d’Horreur “à l’ancienne”, moyennement compatibles avec le genre du body horror.
Mais si j’ai l’air de faire des reproches à Strictly From Hunger !, c’est uniquement parce que son potentiel surpasse le carcan des Fifties et pourrait totalement fonctionner à notre époque. A la manière d’HBO pour son adaptation télévisé, je ne peux m’empêcher de vouloir moderniser le sujet afin d’obtenir une version ultime de cette histoire. Cette étrange idée de cancer vivant m’a étrangement séduit et je ne peux que féliciter le duo Bill Gaines / Al Feldstein pour avoir lancé cette idée à une époque où l’on s’offusquait d’un rien – un peu comme maintenant en fait. Un belle preuve que, décidément, EC Comics était en avance sur son temps. Pour conclure, créditons au moins correctement l’équipe pour ce joli travail: si Gaines comme Feldstein sont crédités en tant que scénaristes, et considérant leur façon de travailler, il est certain que Gaines a eu l’idée de base en laissant trainer ses oreilles ici et là, s’inspirant d’un quelconque texte à propos du fonctionnement des tumeurs. C’est Feldstein qui ensuite pondu le script dans sa forme actuelle, son partenaire l’attribuant alors à un artiste de son choix. C’est George Evans en l’occurrence, pas l’illustrateur le plus connu de l’écurie mais son travail est fonctionnel. A la couverture, Johnny Craig attire les regards même si son monstre apparait un brin différent de celui de l’histoire, plus protozoaire que mutant. Peut-être aurait-il dû s’amuser avec l’horrible siamois décomposé de People Who Live in Brass Hearses… plutôt que de gâcher la surprise finale, surtout qu’en l’état son dessin évoque plus les revues Weird Fantasy ou Weird Science que The Vault of Horror…
Comme la plupart des travaux de la branche horrifique de EC Comics, cet épisode fut réimprimé de nombreuses fois au fil des ans: dans les années 80 avec The Vault of Horror #3 et EC Classics #6 – The Vault of Horror chez Russ Cochran, puis durant les 90s avec The Vault of Horror #2 chez Gladstone et The Vault of Horror #16 chez Gemstone. Plus récemment, c’est tout le magazine original qui est inclus dans la compilation The EC Archives – The Vault of Horror, T.3, qui regroupe les numéros 24 à 29 de la série. C’est évidemment cette dernière version qui fut utilisée ici pour illustrer la chronique, comme la dernière fois, la restauration des planches originales étant de haute qualité et forcément plus agréable à regarder en plus d’avoir été recolorisées le plus exactement possible par rapport à la publication d’époque.
Ouais très bien, excellent mêle (juste une petite faute, quatrième paragraphe en partant de la fin à brave . . . ), on parlera jamais assez des EC Comics, tjs scandaleusement ignoré ds notre contrée . . . . .
Oups, corrigé. Mais à sa décharge il peut être brave tout en bavant.
Merci d’avoir signalé et d’avoir, ça me change un peu !