Strange Tales #21
The Man Who Cried Vampire !
(1953)
Qu’il est loin le temps où la Marvel s’appelait encore Atlas Comics ! Pour cela il faut remonter aux années 50, et même alors l’éditeur existait sous une forme plus ancienne encore nommée Timely Comics. L’univers des super-héros n’en étant qu’à ses balbutiements après le Golden Age, avec seulement une poignée de personnages en activité au sein de la compagnie (la première Torche Humaine, en fait un robot, Namor le Prince des Mer et l’oublié Marvel Boy), il fallait que les scénaristes mises sur d’autres genres à la mode pour attirer l’attention: espionnage, guerre, romance, suspense… et bien sûr l’horreur, alors très à la mode grâce aux EC Comics dont les publications – The Haunt of Fear, Tales From the Crypt et The Vault of Horror – faisaient un carton phénoménale. Naturellement tout le monde tenta, sans grand succès, de copier la formule afin de capitaliser sur cette mode du gore et des monstres, chacun y allant de son anthologie macabre. Pour Atlas ce fut Strange Tales, qui beaucoup plus tard deviendrait important.
Mais avant d’être le Strange Tales de Jack Kirby et Steve Dikto, le Strange Tales qui nous fit découvrir le Docteur Strange et Nick Fury, la revue nous bombarda de créatures visqueuses, d’extraterrestres belliqueux et de phénomènes surnaturels plus ou moins drôles et plus ou moins cauchemardesque. L’histoire qui nous intéresse, publiée en Août 1953 dans le 21ème numéro, penche plutôt du côté de l’humour noir tant affectionné par William Gaines. S’étalant sur cinq pages, elle narre les déboires de Ricky Stone, petit truand sans envergure et probablement homme le plus malchanceux du monde ! Persuadé qu’il est destiné à toucher le gros lot et ne plus vivre misérablement dans les ruelles de Chicago, il s’attaque à un poivrot afin de le détrousser, pensant pouvoir faire fortune de cette manière. Mais lorsque la victime se débat et appel à l’aide, Ricky perd son sang froid et le poignarde avant de s’enfuir par le train pour éviter la police. Clandestin, il est découvert et passé à tabac pour avoir resquillé, se retrouvant largué au milieu de nulle part.
C’est là qu’il fait la connaissance de Lucy, une fermière qui va le ramener chez elle afin de le soigner. Le voyou découvre qu’elle est la richissime propriétaire d’un ranch, le plus grand de toute la région, et qu’elle est célibataire. Sans hésiter, il l’épouse et prévoit de l’assassiner avec de récupérer tous ses biens. La dame étant apparemment très superstitieuse comme le montre sa bibliothèque remplit de livres sur l’occulte, Ricky espère la faire mourir de peur en lui faisant croire qu’un vampire rôde dans les parages, s’attaquant au bétail. Pendant des mois il la terrorise, provoquant des attaques cardiaques, et lorsqu’un jour le médecin lui apprend qu’elle est désormais si faible que la prochaine crise pourrait lui être fatale, le vile homme se prépare à l’achever une bonne fois pour toute. Son plan est de sacrifier un veau à coups de couteau afin de persuader Lucy que le vampire a encore frappé, mais alors qu’il erre en pleine nuit au milieu du troupeau pour se mettre à la tâche, il est surpris par quelqu’un…
La chute, c’est bien sûr que le suceur de sang existe bien et qu’il s’agit de Lucy. Mais le twist ne se contente pas de cette révélation et va plus loin que la simple parodie du garçon qui criait au loup, auquel le titre de la BD, The Man Who Cried Vampire ! (l’homme qui criait au vampire), fait référence. Le scénariste ironise sur le statut de bandit de Ricky, lui-même une sorte de vampire puisqu’il tue autrui afin de survivre avec leur argent, qui n’est finalement qu’un petit joueur par rapport à Lucy ! La fermière n’a en fait jamais craint la présence d’un Nosferatu dans les parages et avait simplement peur que Ricky ait découvert son secret. Car celle-ci est également cupide et ne compte pas fuir son ranch, certainement pas avec tout ce que lui rapporte son business. Elle choisit donc de se débarrasser de son mari plutôt que de perdre son magot, et tant pis si elle l’aimait sincèrement, n’ayant pas compris que celui-ci essayait de la tuer. Et l’affaire de se conclure sur un dernier gag montrant Ricky être tué non pas par la fermière mais par ses vaches, elles aussi vampires !
Voilà le secret derrière le succès de son élevage: elle laisse ses bêtes se nourrir sur les animaux de ses voisins et concurrents, les rendant énorme et pleine de vitalité. Et l’illustrateur de représenter quelques taureaux avec canines géantes et ailes de chauves-souris ! On se marre, n’empêche que quelqu’un chez Marvel s’en souviendra lorsque, plus de vingt ans plus tard, débarque un autre bovin vampire débarque dans les pages de Giant-Size Man-Thing #5. Il s’agit de Bessie, une vache laitière mordue par Dracula (qui passait par là et, mourant de soif, dû faire ce qu’il avait sous la main) qui se transforme en… Hellcow. Plus d’ailettes mais une jolie cape à la Bela Lugosi à la place, les crocs gigantesques se trouvant toujours là. Une blague qui perdure encore de nos jours puisque le personnage revient de temps en temps faire des apparitions chez des personnages peu sérieux comme Deadpool ou Howard the Duck. Personne n’a jamais officiellement fait le lien avec les créatures de Strange Tales #21, mais ne soyons pas dupe.
La Maison des Idées aime recycler, revisiter, réadapter, et c’est d’autant plus pratique lorsqu’il n’y a personne à créditer pour l’idée initiale. Ainsi, si l’artiste Joe Maneely est bel et bien mentionné comme artiste sur le projet (Stan Lee estimait qu’il aurait pu être le prochain Jack Kirby, s’il n’était pas mort d’un accident de train à l’âge de 32 ans), le scénariste n’est absolument pas mentionné. De deux choses l’une, ou bien le dessinateur s’occupa également du scénario sans juger bon de le signer, ou alors, plus probablement, c’est Stan Lee lui-même qui fut à l’origine du script. Celui-ci était rédacteur en chef à l’époque et il avait sans doute déjà développé sa fameuse “Méthode Marvel” d’écriture / mise en page, qui permettait de gagner du temps durant le processus de conception de la bande-dessinée pour produire à la chaine. Peu importe au final, ce qui compte étant surtout que l’idée même d’une vache vampire ait survécu depuis tout ce temps. Voilà exactement pourquoi les comics sont si importants !
Depuis sa publication originale, The Man Who Cried Vampire ! a été exhumé dans l’un des volumes de la collection Marvel Masterworks – Atlas Era: Strange Tales, qui compile l’ensemble des numéros du magazine durant cette période. Cela ne sortira probablement jamais chez nous, aussi il serait bon de faire comme ce bon vieux Comte Dracula et prendre quelques leçons d’anglais si jamais cela vous intéressait.
Commentaires récents