Space: Punisher
(2012)
Une bien étrange BD que ce Space: Punisher. Il s’agit moins d’une histoire que l’élaboration d’un nouvel univers alternatif pour Marvel Comics, une introduction permettant aux auteurs de placer les personnages de leur choix dans une continuité différente de l’officielle (dite 616). Un peu à la manière de Marvel Zombies, Noir, The End ou Marvel Universe vs. Ainsi le titre de l’œuvre, Space: Punisher, pourrait être décliné à l’infini et proposer d’autres volumes baptisés Space: Wolverine, Space: Deadpool, Space: Spider-Man, etc. L’auteur lui-même s’en amuse et, lors d’une interview à propos de son comic-book sur le site de MTV, racontait vouloir absolument écrire un Space: Mole Man, qui effectivement aurait sans doute été hilarant !
Et il faut reconnaitre que cette nouvelle version du Marvel Universe est plutôt séduisante puisque prenant la forme d’un space opera. Certes, nombreux sont les personnages cosmiques dans le roster de la Maison des Idées et, entre un Silver Surfer, un Super Skrull et quelques Gardiens de la Galaxie, il existe déjà une multitude d’aventures spatiales dans leur catalogue et il n’y a pas tellement besoin d’y voir plus loin. Mais ici le concept est de détourner toutes les figures connues, de les réadapter sans se soucier de logique ou de cohérence avec les publications précédentes: le scénariste est totalement libre de faire ce qu’il veut à qui il veut.
Au-delà de ça, Space demeure un vaste terrain de jeu où l’on ne se contente pas d’aligner quelques extraterrestres et vaisseaux spatiaux: c’est au contraire l’occasion parfaite de jouer avec les références, les hommages et les gadgets improbables ! Par exemple, si Frank Castle est un adepte de l’artillerie lourde sur Terre, jonglant entre les mitrailleuses, les lance-roquettes, les mines et les grenades, il se rapproche cette fois plus du Lobo de DC dans ses techniques d’extermination: épée laser, bombe à trou noir, téléporteur expédiant dans le vide de l’espace et canon spatial géant placé en orbite des planètes qu’il visite !
Le créateur, Frank Tieri (Punisher: Noir, qui revisitait déjà l’univers 616 sous une thématique particulière, le crossover The Darkness / Wolverine, mais aussi le jeu Marvel vs. Capcom 3, et son complément Ultimate), s’éclate dans tous les sens avec les nombreuses possibilités de son bébé, visant avant tout l’humour, le divertissement. Une illustration de fusillade reprend la fameuse pochette du jeu Doom, l’antagoniste réalise a quel point le Punisher est prêt à tout pour arriver à ses fins et s’exclame “Even vengeance has its limits” en une référence au film avec Dolph Lungren, et lorsque les Watchers entrent en jeu, ils étudient l’affaire Frank Castle en observant ses alter-egos de Punisher: Noir et de la version Garth Ennis du label MAX.
Outre les gags qui fusent dans tous les sens (le Général Ross qui désintègre un subalterne ayant un très mauvais sens de l’humour), ce qui retient le plus l’attention reste évidemment les transformations apportées à l’univers Marvel. Ici il est globalement tenu en ordre par la Avenger Federation, une ligue de super-héros si vaste qu’elle habite sur sa propre planète ! On y retrouve quelques figures connues et apparemment inchangées comme un Captain America, Vision, Thor ou la Sorcière Rouge, mais on constate ensuite que Ant-Man et Wasp sont des humanoïdes à moitiés insectes et Iron Man est une sorte de Two-Face mi-humain mi-robot. Une petite armée qui a fini par venir à bout de Galactus, mais un autre danger vient maintenant secouer les voyageurs de l’espace: Hulk. Toujours Bruce Banner, victime d’exposition aux radiations Gamma, sauf qu’ici le colosse vert fait place à un géant à quatre bras – hommage évident aux martiens de Edgar Rice Burroughs et de son John Carter.
Celui-ci navigue à poil dans le cosmos, pulvérisant le moindre vaisseau passant à sa portée, et les forces militaires font ce qu’elles peuvent pour se débarrasser de lui depuis qu’il a massacré les Quatre Fantastiques. Mais un danger plus grand se cache, inconnu de tous: une alliance entre différents tyrans intergalactiques portant le nom de Six-Fingered Hand (la main à six doigts). Une mafia œuvrant aux quatre coins de la galaxie, la contrôlant secrètement à travers toutes les organisations criminelles existantes.
Ses six leaders ce sont Magneto, qui ressemble à un sorcier, Ultron, apparemment organique même s’il est soit-disant artificiel, Red Skull, toujours le Nazi que l’on connait mais dont l’armée est constituées de Hitlers monstrueux possédant griffes, crocs, cornes ou yeux multiples, Dr. Octopus, dont les jambes sont remplacées par de véritables tentacules, le Green Goblin, qui garde son apparence habituelle sauf qu’ici ce n’est pas un costume, et enfin la Reine d’une race appelée Sym-brood, fusion entre les Broods (les Xénomorphes de Marvel) et les symbiotes ! Punisher: Space s’ouvre même sur l’image assez épique de plusieurs Acanti, ces poissons géant servant de vaisseau aux aliens, portant ici les couleurs de Venom…
Parmi les autres personnages croisés dans les pages du comic, citons également Rhino, désormais humanoïde-animal façon Rocksteady des Tortues Ninja, Barracuda, le “mutha fucka” hardcore qui est désormais un homme-poisson – même si cela ne l’empêche pas de regarder du porno (“fish porn !”) et le Corsaire, originellement pirate de l’espace et père de Scott Summers (le Cyclops des X-Men) et qui ici s’éclate dans des partouzes avec hommes, femmes, chevaux et sirènes !
Naturellement, Frank Castle lui-même est revisité pour l’occasion, et si le crâne sur le torse demeure, de même que sa croisade contre les criminels, il apparait presque comme un personnage totalement différent de celui que l’on connait. Peut-être trop d’ailleurs.
Le passé de ce Punisher n’est pas totalement révélé et on ignore s’il est un vétéran d’une quelconque guerre stellaire. Sa famille a cependant été tuée par l’organisation 6FH et lorsque le récit commence, cela fait huit ans qu’il traque les responsables, passant pour un fou aux yeux d’autrui puisque personne ne sait qu’ils existent vraiment. Frank Castle n’est toutefois pas seul dans sa quête puisqu’il peut compter sur l’aide d’un petit robot multifonctions, Chip (diminutif de Microchip, d’après son sidekick d’un temps dans l’univers 616), construit à l’image de son défunt fils, et l’intelligence artificielle de son vaisseau spatial. Baptisée Maria, du nom de sa femme, celle-ci en adopte même quelques traits de caractères et utilise sa voix !
Intéressante idée que d’offrir une famille de substitution un peu tordue à Castle, ce qui contribue à sa psyché endommagée et ne fait que le conforter dans son idée de vengeance. Pourtant, loin du tueur limite Boogeyman de la continuité officielle, ce Punisher là apparait comme un bout-en-train, cherchant constamment la blague foireuse, souriant comme un imbécile et se montrant extrêmement arrogant. Ajoutez à cela de longs cheveux qui lui donne l’apparence d’une star de films d’action des années 90 tendance Jalal Merhi, Steven Seagal ou un membre de l’Agence Acapulco, et il passe bien vite pour un gros… douchebag, à défaut d’un mot français…
Et voilà le problème de Space: Punisher. Si la construction de l’univers est intéressante, le concept à du potentiel et que le ton est volontiers léger et déconneur, il est tout bonnement impossible de s’attacher à son héros ni de s’intéresser à son histoire. Sa “vengeance” n’apparait pas vraiment légitime vu combien il compte sur ses compagnons pour se débarrasser d’un obstacle, donnant parfois l’impression qu’il ferait mieux de rester en retrait et laisser Chip et Maria faire le boulot efficacement. Tout simplement, on ne sent pas le “Punisher”, le soldat perdu dans une guerre qui ne se terminera jamais, celui qui exécute sommairement ses proies sans faire montre de regret ni de la moindre émotion. Même l’hilarant Jake Gallows, le Punisher 2099, exagéré à l’extrême, avait plus de légitimité par son attitude et ses actions.
Néanmoins il serait faux de dire que Frank Castle n’existe que sous sa version moderne, ayant prit forme lorsque Garth Ennis s’est emparé de lui, et les années antérieures regorgent d’histoires où celui-ci apparait différent, parfois plus détendu et limite James Bond, parfois caricatural dans sa rage meurtrière. Citons au hasard Échec au Caïd, où il prenait le temps d’avoir une aventure sexuelle avec une jolie équipière… Certains lecteurs n’auront donc aucun problème avec le du personnage tel qu’il est présenté ici, même s’il faut reconnaitre que sa croisade rencontre tellement peu de difficultés qu’elle n’est guère passionnante.
C’est plutôt Hulk qui vole la vedette, apparaissant ici et là au fil des pages et servant surtout comme une sorte de Deus Ex Machina dans le dernier acte. Comparé à Moby Dick par le scénariste, dans sa présence implacable à travers l’espace, son invulnérabilité et son comportement destructeur, il offre parmi les meilleurs scènes du comic-book. Comme lorsqu’il arrache la tête de Deadpool d’un coup de dents pour mieux la recracher dans l’espace, ou qu’il étrangle Samson avec ses propres cheveux ! Il fait un nœud avec le corps élastique de Mr. Fantastic et à bon usage de ses quatre bras lorsqu’il s’agit d’étriper une bande de Watchers aussi grands que lui. La meilleure scène ? Quand Bruce Banner réapparait, toujours vivant à l’intérieur du corps, comme une sorte de Chestbuster prisonnier, suppliant Castle de l’achever.
D’autres moments d’anthologie montre la douloureuse agonie du Dr. Octopus, attaché à l’avant de Maria et lentement déchiqueté par la vitesse du vaisseau en plein vol. Prisonnier d’un rêve idéal, Castle fini par briser l’illusion en se tirant une balle en pleine tête tandis que qu’un duel le confronte au gringalet Jarvis, majordome des Avengers, qui ici semble totalement invulnérable. Notons enfin la conclusion, loin d’être satisfaisante puisque trop “ouverte” mais semblant être un clin d’œil à ces intrigues où le Punisher va si loin qu’il fini par détruire le monde (Punisher Kills the Marvel Universe, l’apocalyptique Punisher: The End ou encore Marvel Universe vs. The Punisher).
Avec tout ça, allez comprendre, l’éditeur ne semble pas vouloir inclure d’insultes dans le livre et celles-ci s’affichent sous l’habituelle forme censurée (“^#*%”), ce qui a toujours l’effet de me faire sortir du récit, personnellement. Quoiqu’il en soit, et malgré ses défauts, Space: Punisher est suffisamment innovant et fun pour mériter le coup d’œil, d’autant qu’il possède un autre atout dans sa manche: son artiste, Mark Texeira. Déjà présent sur quelques numéro du Punisher “normal” par le passé, celui-ci ne se contente pas de dessiner les quatre numéros qui forment la publication, puisqu’il travail aussi la peinture. Son style offre une atmosphère particulière qui détonne des travaux plus communs de ses collègues, et s’il n’est pas Alex Ross, il demeure extrêmement talentueux. Jetez un œil à ses représentations de Red Sonja et Vampirella, pour voir ! Elles y sont belles comme des déesses.
Il apparait presque étrange que l’univers Space n’ait jamais été réutilisé, quand bien même la BD appelait à une suite en “libérant” son univers de toute force supérieure pouvant contrôler ou limiter ses personnages: l’épilogue montre le chaos s’étendre à travers la galaxie et les héros peuvent tous se mettre au travail, laissant la place à un Space: Avengers Federation qui n’a jamais vu le jour…
Le Battleworld de Secret Wars aurait été une bonne occasion de ressortir l’idée, même à petite échelle, et on peut toujours espérer qu’un quelconque crossover ou Big Event puisse ramener cette version du Marvel Universe. Pour l’heure, l’ouvrage reste disponible, au choix, dans son format original ou dans le volume TPB les réunissant. Ou au format digital, comme l’indiquait cet horrible sticker sur les couvertures, gâchant de si belles illustrations au passage…
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