Resident Evil: The Official Comic Magazine #3
Wolf Hunt
(1998)
Il est difficile d’expliquer l’ampleur du phénomène Resident Evil à l’époque. Avant les suites à rallonges, les spin-offs, les adaptations cinéma ridicules et les films d’animations. Avant la Franchise. Le jeu vidéo original avait déjà fait beaucoup parler de lui, réinventant le genre Survival Horror pour une nouvelle génération pas trop regardante sur le passé (Alone in the Dark ? Sweet Home ? Internet était inexistant, donc l’Histoire aussi pour beaucoup de jeunes). Mais c’est surtout Resident Evil 2 qui explosa à la face du monde, lui permettant de consolider sa réputation pour toujours. Son succès fut immense, engendrant plusieurs titres horrifiques chez la concurrence (The House of the Dead, Silent Hill et Parasite Eve pour les plus connus) et amenant même la presse non spécialisée à parler de lui. Mad Movies fit un article sur le sujet, alors pas du tout habitué à ce genre de média au point que les premières lignes appelaient même le lecteur à ne pas s’enfuir ! Oui les choses ont bien changées depuis… Et donc, entre quinze parties, le fan n’avait pas toujours quelque chose à se mettre sous la dent, la saga étant encore toute jeune et les prochains jeux en développement. Mais la demande entraine l’offre et apparurent les premiers produits dérivés: quelques figurines difficile à dénicher, les livres de S.D. Perry, mélange de novélisations et d’aventures inédites (de la fanfiction plus ou moins officialisée), et une série de comic-book publiée sous la bannière WildStorm, la compagnie de Jim Lee.
A l’époque celle-ci est techniquement toujours associée à Image Comics (dont le nom apparait dans les crédits de cette BD) même si ce partenariat touche à sa fin. Un an plus tard, DC Comics la rachète pour en faire un de ses nouveaux label. Et durant ce laps de temps un peu étrange né Resident Evil: The Official Comic Magazine, une série en cinq numéros qui débute au moment même où Resident Evil 2 débarque aux États-Unis. Un titre plus promotionnel qu’autre chose et cela se ressent lorsque l’on parcours les pages: aucun fil rouge, aucune ambition de développer la franchise, rien que du remplissage qui exploite des personnages et des monstres parfois en dépit du bon sens. Il est clair que certains illustrateurs et scénaristes ne savent pas du tout de quoi ils parlent et n’ont jamais joués aux jeux. Plusieurs monstres apparaissent clairement avoir été recopié via références mais avec d’énormes libertés dans le design, la personnalité de certains personnages se retrouve altérée et les effets des virus sont souvent aléatoires et contradictoires avec ce que l’on sait de leur fonctionnement (notamment le G-Virus). Il est clair que le titre n’était pas une priorité chez WildStorm, sans doute plus préoccupée par la recherche de nouveaux acquéreurs pour survivre. Et si parfois quelques idées semblent prédire l’évolution de la franchise (Leon S. Kennedy en agent secret qui élimine des menaces terroristes, Claire et Chris qui se retrouvent en pleine aventure), cette première version comics de Resident Evil est globalement un bordel sans nom où l’on trouve de tout et surtout n’importe quoi.
Preuve en est ce Wolf Hunt, ou plutôt A Resident Evil Story – Wolf Hunt, qui pourrait être une histoire totalement indépendante recyclée pour l’occasion, et tant pis si cela ne colle pas du tout à l’univers. Car il n’est ici pas question de mutants, zombies, d’épidémie ou d’armes biologiques, mais… d’un loup-garou ! Un bon vieux lycanthrope dont les origines, bien que mystérieuses, n’ont pas l’air associées aux expériences d’Umbrella ! En fait si en remplaçant Raccoon City par Sunnydale, Albert Wesker par Rupert Giles et Jill Valentine par la Tueuse, nous avons là une petite intrigue parfaite pour le comic-book Buffy the Vampire Slayer publié chez Dark Horse à la même époque ! L’intrigue est signée Ted Adams (un des fondateurs d’IDW Publishing) et se déroule avant les évènements du premier jeu, s’intéressant à l’université de Raccoon City – théoriquement la même que dans Resident Evil: Outbreak, et dont devait faire partie le personnage d’Elza Walker, le prototype de Claire Redfield dans la première version annulée de Resident Evil 2. C’est là qu’une série de meurtres étranges a régulièrement lieu, laissant la police dans l’embarras. Les corps d’adolescents sont retrouvés déchiquetés et les autorités ont imposé un couvre-feu en plus de taire l’information. Michelle, une étudiante venu de New York, pense qu’il ne s’agit que de rumeurs mais se fait attaquer la nuit tombée par un mystérieux agresseur.
Sa mort entraine l’implication des S.T.A.R.S, et Albert Wesker somme Jill Valentine et Barry Burton d’enquêter. Le duo, bien connu des joueurs puisqu’il comptait parmi les héros du premier jeu, opère comme dans Resident Evil: Jill est la protagoniste que l’on suit à travers l’aventure tandis que Barry fait office de renfort. Mais Wolf Hunt ne faisant pas plus de dix pages, sa présence fait office de simple figuration et ses interventions ne servent pas à grand chose. La faute au choix de faire de The Official Comic Magazine une anthologie, avec trois histoires courtes dans chaque numéro. Il n’y a pas matière à développer, et si certaines intrigues narrant la fuite de survivants dans un environnement hostile se suffisent à elles-mêmes, d’autres en pâtisse, comme c’est le cas ici. Les investigations se limitent donc à montrer Jill se faire passer pour une étudiante, laquelle va aussitôt tomber sur des amis de Michelle et les questionner. Comprenant qu’il ne fait pas bon de trainer près de la bibliothèque en fin de soirée, elle se rend sur place et tombe sur le meurtrier. Une silhouette animale qui l’a poursuit et qui se révèle être un loup-garou. Pourquoi, comment ? Aucune réponse n’est donnée. Et si l’on ne peut que supposer que la bête est une quelconque arme bio-organique conçue par Umbrella, cela n’est jamais confirmé. Même Wesker semble attribuer l’enquête à Jill et Barry par défaut, les autres S.T.A.R.S étant tous occupés sur d’autres affaires !
Il aurait suffit d’une case supplémentaire le montrant téléphoner ou rédiger un rapport, juste pour faire comprendre qu’il couvre Umbrella. Le monstre pourrait être un cobaye en fuite ou une expérience secrète, c’était très simple à faire. Mais en l’état, il faut juste croire que le surnaturel pur et dur à fait son apparition dans la série. Non pas que la question ne se posera jamais à l’avenir dans la franchise (à l’origine Resident Evil 4 devait être une histoire de maison hanté très différente de ses prédécesseurs), mais ce n’est pas le genre d’élément qui peut être intégré comme ça sans remettre toute la saga en question. La conclusion, précipitée, montre Jill simplement se servir de son arme pour neutraliser la bête, qui reprend évidemment forme humaine après coup, la jeune femme supposant alors qu’elle a dû mal voir son agresseur. Elle-même échappe à la fameuse “malédiction” du loup un peu par miracle, malgré qu’elle ait reçu un coup de griffes dans le dos: son vêtement, pourtant très fin et moulant, l’a totalement protégée. Le lecteur est ensuite littéralement abandonné, les S.T.A.R.S décidant que prévenir la police suffira bien pour cette fois ! Autant dire qu’il ne faut absolument pas chercher à satisfaire sa curiosité ou à raccorder les points, et se contenter du minimum… Encore une fois, WildStorm a certainement dû compiler tout ça en vitesse sans vraiment prendre le temps de s’y intéresser.
C’est dommage car il y avait là un potentiel assez sympa, avec ce concept à la 21 Jump Street et l’idée que Umbrella puisse être responsable d’un massacre au sein d’une école. Le loup-garou lui-même aurait pu faire un bon monstre, sorte de Hunter en plus poilu ou de Cerberus perfectionné. Notons d’ailleurs que l’héroïne n’aura pas eu besoin de munitions en argent pour le descendre, seul indice quant à sa véritable nature. Peut-être même que, en temps que préquelle, cette histoire aurait pu se connecter aux autres meurtres canins de la série, ceux qui ont lieu en-dehors de la ville et qui débutent tout le premier jeu. A la place il faudra se limiter à un peu de fan service, Jill portant ici clairement sa tenue alternative de Resident Evil (même le petit collier y trouve une fonction, étant ici un micro caché permettant à l’héroïne de communiquer avec Barry) bien que le coloriste ait remplacé la couleur noire du bellyshirt par du violet. Une petite erreur qui n’empêcha pas WildStorm de créditer son propre studio, WildStorm FX, plutôt que le type en charge du boulot ! La raison étant simplement que, à l’époque, la colorisation digitale devenait un atout pour les ventes. Marvel Comics avait d’ailleurs racheté la compagnie Malibu uniquement pour s’emparer de son département, très doué dans ce domaine. Il est certain que cette mise en avant était une énième tentative la firme pour attirer l’attention sur elle, et tant pis pour le fan acharné de Resident Evil.
Question graphisme, le tandem John Tighe et Mark Irwin fait du bon boulot et leur Jill semble suffisamment jeune pour passer pour une étudiante en plus d’être diablement sexy. Et il n’y a rien d’autre à ajouter. Après cinq volumes, Resident Evil: The Official Comic Magazine s’éteint mais WildStorm continuera de travailler sur la licence même après son rachat par DC. Vient alors Resident Evil: Fire and Ice, suite directe sur laquelle on retrouve Ted Adams au script et Mark Iwrin aux dessins, puis plus tard encore un autre Resident Evil s’inspirant plus de la période Resident Evil 5. Dans ces deux nouvelles versions, le concept d’anthologie est abandonné au profit d’une unique storyline s’étendant sur plusieurs numéros. Le résultat n’est pas meilleur puisque là encore les scénaristes donnent dans le n’importe quoi et que les illustrateurs sont trop extravagant. Mais il faut dire que d’ici là, la saga jeu vidéo aura fini par les rejoindre sur ce terrain, mal influencée par le cinéma Hollywoodien et les productions Triple A qui n’ont de cesse de se copier entre elles en dépit du bon sens. Wolf Hunt peut quant à lui être retrouvé dans le recueil Resident Evil: Collection One, qui regroupe l’intégralité des numéros 1 et 2 de The Official Comic Magazine, ainsi que deux histoires du 3ème et du 4ème. Aussi présent, la superbe pin-up Claire Redfield par Jim Lee qui fut utilisé ici comme couverture. Pour citer un ami, lorsque j’avais amené le livre au collège: “Ça c’est de la nana.”
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