L’une de mes résolutions pré-2017 (c’est-à-dire décidées courant Décembre dernier), c’est d’explorer totalement ma bibliothèque avant de racheter quoi que ce soit d’autre. Car, un peu comme pour les films qui s’accumulent à force de visions aléatoires selon le temps et l’envie, je dispose d’un grand nombre de bouquins et de bandes-dessinées qui attendent d’être lus. Et comme un livre met plus de temps à être parcouru qu’un film, ça s’entasse, ça prend la poussière, et je me dit toujours “dès que j’ai du temps je m’y mets”, ce que je ne fais naturellement jamais sans que cela ne m’empêche d’acheter d’autres ouvrages dès qu’ils me font de l’œil. Il y a un terme japonais pour ça d’ailleurs, on dit Tsundoku – hop, on mourra moins con cette année !
Et alors que les gros volumes attendent, parfois depuis plusieurs années (Orca, six ans, ouille), j’ai commencé à vider ma pile en débutant par le plus simple et le plus court, histoire de me donner l’impression d’y arriver assez vite. Dernièrement je me suis (re)mis à la série complète de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, par Alan Moore et son comparse Kevin O’Neill (à qui l’on doit Pinhead vs. Marshal Law, juste au passage). Alors attention, je ne parles pas juste des deux volumes connus avec Mina Harker, Quatermain, Nemo, Hyde et l’Homme Invisible, mais de la saga dans son intégralité, ce qui inclue la trilogie Nemo où l’on suit la fille du célèbre Capitaine, ainsi que Century, version moderne où Moore crache sur Harry Potter avec une hargne qui me fait immensément plaisir. Et avec ça, le fameux Black Dossier, troisième tome de la saga qui n’est pas du tout une BD (à l’exception de quelques pages) mais plutôt une sorte d’encyclopédie sur cet univers fictif.
A celui-ci se rajoute deux autres textes. L’un est une véritable nouvelle où l’on suit entre autres Quatermain et John Carter dans des zones oubliées du Temps, jusqu’à une rencontre avec les célèbres monstruosités de Lovecraft. Une histoire qui, en plus de faire office de préquelle au premier volume de La Ligue (en expliquant le pourquoi de la déchéance de l’aventurier dans les fumeries d’Opium) pose les graines de futurs intrigues. L’autre est un faux almanach pour explorateurs et aventuriers. Un très long texte passionnant où Moore regroupe a peu près tous les lieux surnaturels ou merveilleux que l’on peut retrouver à travers la Littérature depuis toujours.
Je n’ai pas encore terminé la chose, mais il faut vraiment souligner le travail de titan qu’a abattu l’écrivain, réussissant à créer une chronologie et une géographie fictive qui tient cependant la route et prend racine dans l’Imaginaire comme jamais. En fait à par Kim Newman et ses Anno Dracula, c’est du jamais vu tant les références abondent à vous en griller le cerveau. Il y a forcément des tas de références que le lecteur va ignorer, mais le texte est tel que ce n’est pas important: les infos offertes permettent (la plupart du temps) des recherches simples et donnent vraiment envie de se plonger dans la lecture pour être témoins de ces lieux et aventures délirantes.
Entres autres zones, Moore revisite évidemment les légendes arthuriennes et la mythologie grecque, en passant par les voyages du Prospero de Shakespeare, mais il explore aussi des centaines d’endroits inventés par des collègues écrivains et cinéastes à travers le siècle: ainsi revisite t-on le donjon de La Forteresse Noire, les Montagnes Hallucinées de Lovecraft ou encore la petite île de Robinson Crusoé. Et la France, mes amis !, qui selon Alan Moore s’appelait autrefois, dans les temps les plus anciens possibles, à l’Âge Hyborien, l’Aquilonie, et était dirigé par un roi nommé Amra. Le fan de Robert E. Howard que je suis ne pouvait pas plus sauter sur place (pour les curieux, la Cimmérie serait la Suède).
De notre pays, on y retrouve aussi bien les géants de Rabelais, l’Opéra et son Fantôme ainsi qu’un équivalent de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires nommé Les Hommes Mystérieux et constitué de Arsène Lupin, Fantômas (le vrai, pas celui de Jean Marais), Jean Robur, le fou volant de Jules Verne, du bizarre Monsieur Zénith dont j’ignore tout, ainsi que du Nyctalope, tout simplement le premier super-héros jamais inventé dans l’Histoire de la fiction, et oui ! Difficile de surmonter tout ça, jusqu’à ce que l’auteur ne mentionne une autre ville lors d’une référence à un roman plutôt obscur. C’est La Cité du Sommeil de Maurice Barrère, écrit en 1909 et dont il est visiblement difficile d’obtenir des renseignements.
Dans ce livre existe un sérum qui permet d’endormir les gens pour 300 ans. Les personnes exposées au produit sont alors placées sous cloche en verre et se réveillent pour découvrir un monde transfiguré par le temps et la technologie. Les évènements se déroulent évidemment à Paris et débutent en 1950, à la création de la formule. L’almanach de La Ligue étant supposément édité avant ces évènements, Moore a sensiblement modifié les faits pour faire comme si tout ceci n’était que rumeurs rapportées, mais pas vérifiées. Plutôt que de citer directement la capitale, il la place l’unité de lieu (Morphopolis, étrangement retitrée Morphiopolis pour l’occasion – y a t-il eu erreur quelque part ?) dans une zone pas bien définie, quelque part « pas loin de Blois ». Blois, que j’ai déjà évoqué ici et là sur ce blog, et pour cause puisqu’il s’agit de ma ville natale !
Pour mettre en considération, sachez qu’à chaque fois que j’évoque d’où je viens à des gens du même département que moi, il me faut préciser qu’il s’agit de « cet endroit situé entre Tours et Orléans » afin qu’ils se repèrent géographiquement ! Blois est un petit bled, qui était beau en son temps mais qui n’a rien de mémorable si ce n’est son château et actuellement la Maison de la Magie. J’ai passé ma vie considérer la ville comme un trou où les gens ne se rendent qu’afin de faire du tourisme dans la Province (étape obligatoire pour quiconque veut visiter les châteaux de la Loire), et subitement Alan Moore, LE Alan Moore de Watchmen, de V Pour Vendetta, de From Hell et de Swamp Thing, décide de la nommer dans son encyclopédie imaginaire où se côtoient tous les Classiques du Fantastique et de la Science-Fiction.
Ma mâchoire m’en tombe et, bien que j’ai a peu près quinze ans de retard sur les faits, il fallait évidemment que je partage cette trouvaille. Quitte à rédiger tout un article pour ce qui aurait pu être résumé en trois phrases.
Oui c’est tout.
Tout ça pour ça, oui je sais.
Quoi ? Et toi alors, ta ville natale elle est reconnue par Alan Moore ? Non ?
Alors tu fermes ta gueule !
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