Martian Manhunter / Marvin the Martian
Special #1
(2017)
DC Comics et les Looney Tunes c’est une longue histoire qui remonte jusqu’aux années 90, lorsque la Warner Bros. s’associa avec l’éditeur pour un partenariat fructueux: une série régulière qui persiste encore à ce jour avec 237 numéros depuis 1994, les adaptations des films Space Jam et Looney Tunes: Back in Action, et puis bien sûr la fameuse mini-série Superman & Bugs Bunny, où déjà les super-héros de la Justice League clashaient avec les Toons fous lorsque le Dodo et Mxyzptlk s’associaient pour les faire tourner en bourrique. Dans la conclusion, les habitants du « Looniverse » deviennent des membres à part entière de la Ligue ! Dans la série Duck Dodgers, en 2003, Daffy devient le Green Lootern et affronte Sinestro avec le reste du Corps. En 2015, DC Comics produit une série de vingt-cinq variantes de couvertures pour quelques unes de leurs séries, chacune montrant les personnages interagir entre eux de façon amusante: Batman s’attaque à Rocky et Mugsy, Flash fait la course avec le Roadrunner et Speedy Gonzales, Wonder Woman joue la Walkyrie pour Elmer à l’opéra, Sam le Pirate est en pleine fusillade avec Deathstroke, etc. Ce mois de Juin 2017 marque une nouvelle étape avec l’arrivée de six comics assez particuliers. Pas vraiment des crossovers, mais plutôt une réinterprétation des Looney Tunes au sein de l’univers DC. Comme si la bande à Bugs Bunny n’avait jamais été des héros de dessins animés mais plutôt des seconds couteaux dans les pages de Batman et consorts.
En cela ce nouveau projet évoque un peu le concurrent IDW, qui a déjà eu quelques idées similaires avec ses Infestations et équivalents: plutôt que de montrer différents héros s’associer contre une menace commune, leurs histoires présentent le même antagoniste envahir différents titres, adoptant un aspect et un comportant différent en fonction de chaque série afin de s’adapter aux mieux à celles-ci. Qu’il s’agisse de zombies, d’abominations lovecraftiennes ou des martiens de Mars Attacks !, l’idée demeure: offrir de multiples interprétations pour un même point de départ, en fonction des personnages. C’est pareil ici avec six histoires qui sont totalement indépendantes les unes des autres et dont le style diffère en fonction des héros auxquelles elles sont associées. Celle avec Batman s’apparente à un film Noir, celle avec Jonah Hex donne dans le western ultra-violent, Wonder Woman joue sur les créatures mythologiques, Lobo est ce qui se rapproche le plus d’un cartoon avec cette touche de cynisme qui le caractérise et Legion of Super-Heroes est un hommage au Silver Age et à ses délires nonsensiques. Avec une parution au rythme de deux comics par semaine, la série débute via Martian Manhunter / Marvin the Martian, probablement le titre le moins remarquable du lot mais qui s’avère parfait pour entrer dans le bain. Comme le titre l’indique, la BD fait simplement se rencontrer les deux personnages, qui ne pourraient pas être plus différents l’un de l’autre…
Car après tout l’un est un défenseur de l’humanité, membre de la Justice League ayant adopté notre monde après la destruction du sien. Grand, fort et calme, il use avant tout de ses pouvoirs psychiques pour remplir ses missions. L’autre est un être de petite taille, colérique, susceptible et souvent seul. Il désire détruire la Terre pour des raisons insignifiantes et dispose pour cela de tout un arsenal de haute technologie. L’opposition est simple à exploiter et cela fait pour un bon rapport héros / vilain que le lecteur, même occasionnel, peut facilement appréhender. Qui plus est, la nature d’extraterrestre de Marvin fait que, même revisité, celui-ci conserve beaucoup d’éléments « cartoon » de son répertoire. De quoi ne pas trop surprendre celui qui est venu pour l’aspect Looney Tunes du livre. Ainsi retrouve-ton l’inévitable « Illudium Q-36 explosive space modulator », arme préféré du martien qui n’est portant qu’un gros bâton de dynamite, une soucoupe volante en gélule à laquelle il faut rajouter de l’eau afin de la faire apparaître (une référence aux « martiens instantanés » des dessins animés), et le personnage lâche sa célèbre réplique « Isn’t that lovely ? » lorsqu’il ne tire pas sur tout ce qui bouge avec son pistolet désintégrant. Enfin, si le personnage a été redessiné afin de correspondre aux graphismes de DC, il garde son apparence originale et demeure parfaitement identifiable. Bref pour ce qui est d’intégrer Marvin au sein d’une histoire de Martian Manhunter tout en respectant la source d’origine, les écrivains (Steve Orlando, qui a planché sur l’actuel crossover Batman / The Shadow, et Frank J. Barbiere) ont fait du bon boulot.
Tellement même, qu’il est permis de dire que Marvin ferait une très bon ennemi régulier pour le super-héros ! Un autre « dernier martien » avec qui il aurait une forte connexion, un besoin de communiquer avec ce semblable, tout en devant s’opposer à lui malgré tout. Et ce Martian Manhunter / Marvin the Martian en représenterait le parfait premier numéro puisque mettant en place toute cette dynamique au sein d’une intrigue marquant leur première rencontre. Intitulée Best Intentions, celle-ci raconte comment J’onn J’onzz découvre à travers la télévision un message caché en langue martienne, possiblement un signal de détresse. Dans l’espoir de retrouver l’un des siens, il réactive l’invention qui l’avait sauvé de la destruction de sa planète et ouvre un portail d’où émerge bientôt un extraterrestre, M’arvinn, qui lui apparaît très dissemblable. Et en effet, s’il s’agit bien d’un martien, celui-ci provient en fait d’un univers parallèle, avec toutes les différences que cela implique. De plus celui-ci lui explique que sa transmission de communication a été brouillée par la technologie humaine et qu’il ne s’agit pas du tout d’un appel à l’aide: c’est une offre à tous les martiens existant à travers le multivers connu qu’il a lancé, cherchant ceux qui auraient besoin d’aide pour détruire leur version de la Terre ! (et le crossover d’avoir le potentiel d’inclure Mars Attacks ! dans de futures histoires – si seulement !) Le fait est que, comme J’onn, M’arvinn est le dernier représentant de son peuple, Mars ayant presque été détruite par les Terriens irresponsables.
Ayant été le seul à percevoir la menace qu’ils représentaient, il a échoué à convaincre les siens du danger et considère l’humanité comme primitive et dangereuse. Après avoir anéanti la planète dans son univers, il en a découvert une infinité d’autres à travers le multivers et, parce qu’il pense qu’aucun martien ne devraient endurer les mêmes tourments que lui, s’est donné la mission de les protéger. C’est tout naturellement qu’il pense que J’onn l’a invité pour se débarrasser de son « problème » et il l’entraine avec lui dans sa quête de destruction. Imaginez donc la tête du super-héros qui, passé la surprise de découvrir un autre martien, doit maintenant l’empêcher de détruire son monde adoptif… Et M’arvinn de ne pas l’écouter, gambadant à droite et à gauche, insaisissable, totalement braqué sur son objectif, et donnant l’impression d’assister effectivement à une improbable course-poursuite à la Looney Tunes. Quand l’un s’enfuit en vaisseau spatial, l’autre le poursuit en lui volant après. Quand M’arvinn balance une bombe qui fait exploser un avion, J’onn doit sauver celui-ci et faire face au mécontentement des voyageurs. Un des martiens s’attaque à une base militaire, et c’est naturellement l’autre qui prend à sa place. Et le script de nous rajouter un troisième larron sous la forme de Solovar 5000, un robot qui, avec ses quatre bras et ses défenses, apparait comme une référence aux martiens du John Carter of Mars de Edgar R. Burroughs. Une clin d’œil parmi d’autre, tout comme la présence d’une Aera 52 assurément reprise à Looney Tunes: Back in Action, où elle renfermait déjà pas mal de créatures de SF d’une autre époque…
Bref, voilà qui est fort sympathique même si tout cela ne réinvente rien. Malgré le fort potentiel, l’absence de certains éléments se fait cruellement ressentir (pas de martiens blancs même s’ils sont évoqués, J’onn n’utilise pas ses dons de métamorphe et M’arvinn ne dispose ni de K-9 ni de ses autres créatures) et prouve que l’idée aurait mieux fonctionné sur une mini-série plutôt que sur un simple one shot. Cependant la conclusion est bien amenée et rappelle à quel point Martian Manhunter est un personnage puissant et capable de surprendre le lecteur. Graphiquement la BD est finalement très simple et sans grands exploits notables, à l’image de l’histoire qu’elle illustre, toutefois le plus remarquable reste la transformation de l’univers Looney Tunes en mode DC. Marvin conserve sa grosse tête noire et ronde, avec ses larges yeux, ainsi que sa tenue de centurion bien qu’elle soit plus détaillées et mise au norme anatomique. Il reste de ce fait totalement reconnaissable et l’artiste joue avant tout sur son langage corporel pour lui permettre de s’exprimer, lui faisant transmettre différentes émotions malgré son absence de visage. Passé la surprise de le voir si différent, il faut reconnaitre que ce design lui convient parfaitement, fusionnant comme il faut les deux univers. Concluons ce tour d’horizon avec The (Next to the) Last Martian, un petit bonus qui fait office de version Bizarro de l’histoire précédente. Écrit par Jim Fanning et dessiné par John Loter (deux experts en comics basé sur… Disney !), celui-ci montre plutôt ce qui arrive lorsque c’est J’onn qui est intégré au Looniverse, adoptant un style et une attitude typique de leurs cartoons.
L’intrigue, se situant clairement dans une autre continuité que la précédente, fonctionne comme un remake inversé: ici c’est Marvin qui se trouve dans son univers, voulant comme d’habitude détruire la Terre, jusqu’à ce qu’arrive le Martian Manhunter. Débarquant de nulle part, celui-ci se présente à son alter ego qui ne peut visiblement supporter un autre martien doté de super-pouvoirs. La guerre est déclarée et J’onn œuvre ici comme un Bugs Bunny, mais en plus gentil, esquivant tous les pièges et jouant l’empêcheur de tourner en rond. Il use et abuse de ses dons de transformations (se changeant en Bugs, Daffy et Porky) tandis que son adversaire tente de se débarrasser de lui avec l’aide de son fidèle K-9, utilisant des appareils vendus par ACME et les fameux « cookie » Oreo pour lesquels le super-héros à une addiction. En gros, presque tout ce qui manquait à Best Intentions se retrouve ici. La BD est extrêmement courte, tant parce qu’il ne s’agit que d’un supplément que pour reprendre le format des dessins animés classiques, et au final elle apparait plutôt agréable malgré qu’elle soit totalement insignifiante. Voilà donc beaucoup de points positifs pour ce Martian Manhunter / Marvin the Martian, bien qu’il soit l’un des moins bons comics du lot. L’humour est présent, les idées sont là, tout fonctionne parfaitement, mais il manque juste un petit quelque chose pour le rendre vraiment mémorable. Car il faut le dire, s’il n’y a rien à lui reprocher, il ne propose rien d’extraordinaire non plus et c’est surtout son concept qui retient l’attention.
C’est probablement pour cela qu’il fut, avec Legion of Super-Heroes / Bugs Bunny, le premier a paraître en boutique. DC semble avoir eu conscience de la différence de qualité entre les divers histoires produites pour ce projet, et a choisi de les sortir dans un ordre croissant de réussite, commençant par les plus médiocres pour graduellement s’améliorer jusqu’à une conclusion en beauté. Pas une mauvaise stratégie de vente si vous voulez mon avis, car nous avons ici véritablement l’impression de progresser à force de lecture plutôt que de se retrouver avec l’habituelle anthologie mitigée où il faut faire son tri, faisant pour une expérience en dents de scie.
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